Malgré l’intitulé de ce texte, il ne s’agit pas d’une fable mais bien de réalité.
Papa, dit « u spazzinu » (balayeur municipal), et Jacques le ministre étaient cousins germains.
Père m’a toujours parlé de ce cousin parti à la conquête de Paris, me disait-il avec son langage de rêveur.
Il lui vouait une profonde admiration, si bien qu’à chacune de ses élections, il avertissait le quartier Navaggia à staccato de mousqueton italien de la deuxième guerre mondiale. Il se plaçait à la fenêtre de sa chambre et les coups annonçaient bon scrutin, à ceux qui attendaient les résultats électoraux, « l’habemus diputatu » à défaut de l’habemus papam.
Qu’il était fier de son cousin !
Grand-mère faisait quelques beignets et papa arrosait la bonne nouvelle chez Vescu, avec ses copains.
Casanis et Riccard, en compagnons joyeux se mêlaient à eux, s’offrant largement sous les glaçons, 51 était des leurs aussi.
C’est alors, au comptoir, que mon père racontait l’anecdote qui le faisait rire à chaque fois, Jacques lui avait dit à propos d’un homme politique :
– On ne peut pas le redresser, il est tordu comme une banane !
Que voulez-vous, Siki, c’était son surnom, n’avait pas franchi la maternelle !
Il n’obtint pour baccalauréat que bac à sable de la petite école avant d’aller garder les chèvres, très très jeune, sans goûter au primaire. On ne s’élève qu’au niveau de ses capacités.
Les siennes étaient, au moins, facétieuses.
J’imaginais parfois, le lettré et l’analphabète, tête contre tête, l’âne Roland au flanc de papa, gravissant joyeusement la montée de Pilili, les conduisant de la Navaggia à la rue principale, la Sorba. .
Une image, que dis-je une icône, que n’aurait pas reniée Jean de La Fontaine pour illustrer une de ses fables.
Le 25 décembre de 1980, j’arrivais de Paris en croyant revoir mon père vivant, une dernière fois… hélas, il était décédé durant mon voyage vers notre demeure.
Dans la précipitation, nous avions oublié l’essentiel. Jacques n’avait pas été prévenu.
Le jour de ses funérailles, l’homme politique rentrait de Paris et lisant le Nice-Matin Corse, découvrit l’avis de décès dans le taxi qui le ramenait chez lui. Il demanda au chauffeur de le conduire directement jusqu’à Levie.
Nous étions à l’église, un mouvement perceptible parmi les fidèles, un léger brouhaha inhabituel annonçait surprise. Nous nous sommes retournés. Jacques, silencieux vint se placer derrière nous après une tape sur mon épaule.
Il a accompagné son cousin préféré, disait-il, jusqu’à sa dernière demeure, ne retourna chez lui qu’après être passé à la maison…
A la fin de sa vie, Jacques cherchait à me rencontrer, nous nous sommes « ratés » à deux ou trois reprises, il s’était rendu à mon domicile, je n’étais pas à la maison. Il m’a écrit, nous nous sommes revus chez lui.
Il souhaitait me raconter sa vie au village avec papa, avant de le rejoindre.
Il me disait qu’il n’aimait pas qu’on l’appelle Siki.
Après avoir lu dans mon blog, le pourquoi de ce surnom, il m’avoua qu’il était rassuré et plutôt amusé.
Lors de nos deux dernières rencontres, j’appris que malgré l’écart d’âge – papa était bien plus âgé – ils étaient souvent ensemble.
Doué pour le swing et la danse en général, mon père, à vingt ans, écumait les fêtes de villages, ne ratait aucun concours de valse ou de paso.
Son cousin évoquait leurs escapades jusqu’à Quenza (16 km) à pied pour participer aux pirouettes de Vienne… Père gagnait quelques sous et quelques trophées dérisoires.
Il m’a narré beaucoup de passages de leur jeunesse.
Il se souvenait du vieux Joseph, un communiste, un opposant qui l’avait aidé à faire sa campagne électorale au village.
Il visait la mairie. La famille ne l’a pas suivi.
Le voyant galérer, Joseph lui avait dit : Je vais t’aider.
Il assura l’affichage et lui prêta un porte-voix pour qu’il aille dans les quartiers annoncer sa candidature.
Ce fut un échec.
Fortement déçu de son score, Jacques décida de s’exiler à Paname, c’est à partir de cette décision que père disait :
– Battu à Levie, Jacques est parti à la conquête de Paris.
Chaque fois qu’il rencontrait Joseph avec sa fille Josette, en promenade vers Cirana, le ministre s’arrêtait pour saluer celui qui l’avait aidé naguère, malgré leurs crédos opposés.
« Je n’ai jamais oublié cet homme ! » me disait-il.
J’ai trouvé une similitude dans nos trajectoires, mes demandes pour être instituteur en Corse sont restées lettres mortes… Même pas refus mais le silence, presque un mépris.
Cinq années plus tard, alors que j’étais installé non loin du château du Roi Soleil, avec quelques galons de plus, je reçus une offre de remplaçant à l’école de Zonza.
La vie se montre généreuse pour qui part à sa conquête !
Ce fut un clin d’œil de la providence…
J’avais à cœur de vous raconter l’amour ordinaire, et si précieux, de deux cousins germains aux antipodes de la connaissance.