Voyage dans le froid…

Ce texte est la reprise d’un ancien récit, légèrement revisité par le temps qui m’ordonne des visions plus précises.

Troisième jour de pluie et de froid.
Le paysage est triste presque invisible dans la grisaille ambiante.

Je viens du sud.
Un sudiste qui rêve parfois du grand nord par goût marqué des contrastes.
Je suis un voyageur sédentaire qui ne quitte jamais son petit coin de maquis et parcourt inlassablement des terres inconnues.
J’ai cette faculté de me transporter là où je n’ai jamais mis les pieds, le plus souvent dans des endroits qui contrastent fortement avec les paysages qui m’entourent.
Quand on voyage dans sa tête tout est permis. Les panoramas sont imaginaires, il suffit de localiser un coin du monde et de lui inventer une vie.

Je ne rêve jamais de pays chauds, de plages et de palmiers.
Je veux du froid, du grand froid sec. Un froid glacial qui vide les trottoirs, rend les rues désertes et renforce la solitude. C’est ainsi que j’aime gambader sur des voies totalement nues, sans âme qui passe, lorsque la nuit est tombée sur la ville.
Je n’ai pas besoin de mettre le pied dehors, je sais que je n’irai jamais plus loin que mon univers.
Pour cette raison, je sais aussi m’inventer le froid et le subir comme une réalité. Avec mes souvenirs d’enfant, je connais le vent, la pluie, la neige et les nuages lourds.
Je sais le frisson qui vous pénètre jusqu’aux os, je l’ai connu et je l’ai gardé en moi comme une réserve, un terreau pour cultiver les opposés de l’existence.

Dans mon transport imaginaire, je me suis perdu là-bas.
Il n’a pas neigé. Le silence est total, le ciel est plombé dans cette ville de l’acier. L’atmosphère est métallique, froide dans la lumière blafarde des lampadaires. Une lueur blanchâtre, humide, grelotte dans les flaques qui ne vont pas tarder à se figer.
Le froid se fait vif. La chaussée se vitrifie, devant moi le chemin s’embrume et s’efface.

Les murs sont silencieux, les fenêtres jettent des lueurs orange qui suggèrent la douce chaleur d’un poêle à bois. Des silhouettes passent devant les carreaux des fenêtres et semblent flotter à la lueur d’une flamme chaude.
L’intérieur douillet et l’extérieur frigorifié se chamaillent dans mon esprit, se tirent la langue dans un conflit de sensations antagonistes.

Seul, je suis perdu dans un monde inconnu à la recherche des émotions finales aux confins de la vie et du supportable. Parvenir aux portes du mystère sans rien voir mais croire à l’autre face du monde. Comme une addiction, pousser toujours un peu plus loin et puis, un jour, franchir la dernière marche, aspiré par le vide. Plonger dans l’abîme infini.

Un brouillard givrant s’est installé sur la ville nordique. La respiration devenue haletante à chaque pas, génère une vapeur qui trouble ma vision. Il n’y a plus de relief. Seule, une couleur rouge transparait au bout de la rue. Des maisons aux murs carmin, aux portes et fenêtres blanches s’agglutinent autour d’une église dont le clocher semble vêtu de neige. Un petit village s’est construit à la sortie de la ville. J’entends des voix, j’entends des prières, j’entends la vie mais je file. Les lumières s’estompent, les voix s’éteignent, j’ai franchi les habitations et m’en vais dans le noir absolu, dépasser la vie…

Devant ma cheminée, mon esprit vagabond m’a conduit dans un pays que je ne connaitrai jamais.
Ce soir, le temps oisif m’a posé dans les rues de Lulea au nord-est de la Suède dans le golfe de Botnie.
Je n’ai vu personne, le port était glacé mais je n’ai pas eu envie d’aller voir la mer et ses bateaux… trop d’eau par ici, je suis saturé, je n’irai pas voir la Baltique.
Je ne sais si ses reflets sont d’argent, si ses vagues battent ou caressent le quai. J’imagine un quai qui brille de couleurs métalliques dans une atmosphère mouillée. Un froid salé, fortement iodé jette ses embruns sur le port et enveloppe les embarcations d’une humidité arrachée à la Baltique.  
Je sais que le ciel est fermé et qu’il ne veut rien dire.
Rien, désespérément rien, définitivement rien.
Dans son silence de mort, le ciel nous fait croire des choses…

Aux confins de Lulea. Photo internet.

Je flotte dans le mystère du là-bas.
Heureux ceux qui y voient une lueur…
Je suis parti faire le plein de frissons, bien au chaud, à la flamme d’un feu de bois.
Je sais que les fantômes du feu, qui dansent dans l’âtre, me parlent des contraires, qu’elles m’inventent des sensations fortes dans des ailleurs qui confortent l’ici et maintenant.
Parfois confrontent les espaces divers et les temps changeants.

Mon esprit bouillonne, le corps exulte, la vie ne cesse de battre son trop plein d’envies…
C’est l’amour de la vie qui s’étire à l’infini.

2 Comments

  1. Quelle douceur dans ce sublime récit Simon , c’est comme cela que je le récent peut être des lointains souvenirs d’enfance enfouis dans mon coeur .
    J’ai vu ce récit comme une poésie signé Simon .
    C’est une merveille pour moi .🙂.
    Merci 💝

    1. Merci Pierrette, dès qu’une idée me traverse l’esprit, je voyage sans retenue, les mots me précèdent, me guident et je les suis !
      🙂

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