C’était un début juillet en Alpes de Haute Provence.
La route des vacances nous avait conduits jusqu’à Céreste sous les chênes marcescents encore tout en feuillage bien vert.
Les cigales cymbalisaient déjà, stridulaient de plus en plus bruyamment à mesure que la chaleur montait.
Nous étions invités chez Emile et son épouse pour le repas de midi.
Emile merlan à la retraite, Lucile secrétaire retirée d’un syndicat très connu qui avait oublié de la déclarer. Elle venait de s’en rendre compte en cessant de travailler et vivait du maigre pécule de son mari.
Elle n’était point aigrie, restait fidèle à ses idées qui avaient combattu pour des clopinettes. Elle prolongeait son activité de jeune retraitée en faisant la comptabilité de commerçants qui continuaient à la payer au noir. Elle tombait de Charybde en Scylla.
Depuis dix heures Emile, le roi du gigot de Sisteron était au barbecue portable, installé sous les chênes à bonne distance de sa demeure qu’il louait.
Il était aux anges, sensible aux félicitations et flatteries diverses de ses invités, il tournait inlassablement la manivelle de sa broche au-dessus d’un bon tapis de braises.
Vers onze heure, les autres invités arrivaient et venaient le saluer devant son brasero qu’il ne quittait plus jusqu’à la fin du rôtissage. Une tape amicale sur le dos ou l’épaule :
– Alors chef, tout va bien ?
Ses lunettes enfumées riaient, il adorait s’entendre nommer chef. Pour rien au monde il n’aurait raté son rôti préalablement aillé, abondamment recouvert d’herbes de Provence.
Son plus beau moment, après l’entrée, était son arrivée triomphante avec son gigot d’agneau croustillant qui embaumait le trajet assez distant de la table.
A peine, le voyait-ils approcher avec sa broche fermement tenue à bout de bras, les convives avaient écarté leurs mains, prêtes à claquer pour acclamer son apparition dans la salle à manger.
Ah, qu’il était fier d’arriver sous les applaudissement nourris !
– Mimile, Mi mile, Mi mile, Mi mile ! Scandaient les invités, et lui riait de bonheur.
Pour rien au monde, il n’aurait manqué cette entrée en fanfare, c’était, sans doute, son moment de gloire dans leur misérable et maigre retraite, fut-elle sous des chênes marcescents.
Alors, notre hôte, levait son couteau affuté pour la circonstance, adressait un sourire aux convives et tranchait largement demandant qui aime le croustillant. Il servait les premiers amateurs, alléchés par les effluves aillées et le parfum du thym grillé.
J’adore la partie croustillante mais je ne manifestais aucune allégresse pour être servi, j’attendais la partie rosée dépourvue de toute « croustillance ».
J’étais resté une partie de la matinée à ses côtés et je regardais ces nuées de moucherons, de moustiques, valser au-dessus du fumet. La vague, tel un banc de sardines ailées, évoluait en nuage mouvant, montait, descendait puis, piégé par la fumée, se collait sur la grillade. D’autres moucherons arrivaient de nulle part, renforçaient le bataillon, tournoyaient et s’abattaient sur la viande pour constituer une croute brunâtre.
A mesure que l’ensemble prenait de la croustille et noircissait, tout se confondait, on aurait dit une couche de poivre noir donnant son meilleur aspect au gigot rôti.
Emile, les yeux mi-clos, ses mains en éventail actif, s’éventait le visage et ne voyait rien du boléro qui se déroulait devant lui.
Je ne pipais mot pour ne point le troubler, je savais que les autres, vaguement grisés par l’apéro, allaient se régaler.
Les tranches servies n’ont pas fait un pli et une nouvelle salve d’applaudissements salua le talent du cuistot…
Jamais moucherons imprudents ne firent meilleure impression à table !
Moralité :
Après un bon apéro, moucheronnade au brasero vaut mieux que moucherons importunant convive.
La photo en titre, réalisée à travers trois vitres, celle de la maison et deux de la voiture.
Le petit plus du jour :
Le hibou plutonien.

Relu avec plaisir 🙂
Ce n’est pas le même texte, l’histoire est identique.
Je l’ai réécrit d’une autre manière pour un ami.
Je racontais cette histoire à table, ce midi.
Il voulait voir comment j’écrivais, en combien de temps… etc.
Bonne fin de samedi Al.