A cozza. (Le coin)

Ce texte ne va pas intéresser grand monde ou va en laisser plus d’un perplexe. Je vous le propose tout de même comme une petite bouteille à la mer, en espérant une ou deux rencontres sur la rive des lecteurs.

Le coin (a cozza) sert à fendre le bois résistant à la hache et/ou au merlin. La précision est d’importance car il ne s’agit pas d’un vague coin au soleil ou coin ombragé, c’est bien plus important que cela…

« C’est peut-être un détail pour vous
Mais pour moi ça veut dire beaucoup
… »
Sans que je sois joueur de piano debout ni même de pipeau, je pense comme France Gall.

C’était jour de ramonage. Comme naguère lorsqu’on tuait le cochon, en moins nombreux, nous nous sommes retrouvés, Louis, moi et trois autres personnes pour donner le coup de main. Chacun à sa tâche.
Louis a la poigne solide pour ramoner fermement le conduit, je joue parfaitement de la balayette ou de l’aspirateur pour que tout soit nickel.
Le ramoneur professionnel nous aurait enfumés en montrant la quantité de suie extraite en un minimum de temps. L’essentiel étant d’avoir son bon de ramonage qui rassure assureur et assuré. Même sans le précieux bon de garantie nous sommes certains que le risque de feu de cheminée est quasiment inexistant après notre intervention.
Je me souviens de personnes qui s’extasiaient devant le contenu du bac présenté par le fumiste* pressé de visiter le maximum de cheminées… On aurait pu en tirer autant en effectuant d’autres passages avec le hérisson.

C’était une belle journée de septembre et l’occasion de nous retrouver autour d’une table nous enchantait. J’étais au piano, debout devant les fourneaux pour marquer la journée du meilleur plaisir possible, selon mes habitudes culinaires que j’avais quelque peu trahies en mariant vuletta et brugnons à la confiture de figues. Une sorte d’incongruité mais qui, au fond, me caractérise bien. J’adore mélanger les genres pour surprendre un peu ou beaucoup.
Voyant arriver le plat, on fait la moue, l’air dubitatif et puis soudain les sourires s’éveillent :
– Ah ! C’est surprenant, tu as sublimé le brugnon… 
Puis ont suivi gigot confit et flageolets au beurre d’escargot. Le rosé et le rouge avaient coulé plus que de raison pour que nos discussions nous amènent jusqu’au cimetière. C’est ainsi que cela se passe, les jours arrosés de rosé, comme une sorte de point Godwin.
– Tiens, tu sais qu’un tel va être enterré juste à côté de moi ?
– Ah bon ?
– Oui, juste à gauche de ma tombe.
– Attinzioni u terrennu faci cozza ! (Attention, l’endroit fait coin !) S’exclama Louis le maçon.
Il parlait de l’emplacement entre deux tombes, qui devait servir de repos éternel au copain.

Cette expression « faire coin », en traduction littérale, peut avoir deux significations selon les contextes. Soit cela signifie que quelque chose agit comme un coin qu’on enfonce pour écarter deux parties (une racine dans une fissure de  rocher qui fait éclater le bloc, en grossissant avec l’âge, par exemple), soit cela suggère que l’endroit forme triangle et que dans le cas évoqué du cimetière, il ne sera pas possible de creuser une fosse à géométrie rectangulaire.
Cette expression n’est certes pas d’une importance capitale mais montre à quel point notre langue imagée fabrique des évidences qui tombent sous les sens sans autre précision. Ce caractère implicite se suffit à lui-même, fait réagir instantanément sans pousser l’explication plus avant.

Dans ces moments de simplicité, alors que les discussions se déroulent dans l’authenticité et le droit fil de notre identité, on mesure l’importance d’une langue et d’un mode de vie qui se dissolvent dans  la « mesévolution ».
Je veux dire, la fausse évolution qui gomme les différences et les subtilités propres à nos quartiers, à notre singularité, à notre identité villageoise ou micro-régionale. Une langue qui se voudrait rassembleuse de tous les parler de l’île, gommant toute particularité. Une langue officielle, commune à tous pour unifier le langage. Vaste programme et surtout véritable saccage du particularisme.

Si l’on veut parler d’évolution, je n’en crois rien.
L’expression « faci cozza » m’est apparue comme une nécrologie, c’est notre âme qui s’en va… Nous la tenons encore un peu. Après nous, non pas le déluge, mais ces expressions locales, à fortes connotations, auront vécu…

Il faut parler une langue pour la perpétuer, il faut la pratiquer pour la faire vivre…
En l’occurrence, l’école n’est qu’une récréation qui ne structure rien et fixe juste quelques vagues souvenirs…

*Fumiste=synonyme de ramoneur

Voici des images du ramonage :

6 Comments

  1. Simonù je dois vous gronder ! si vous commencez par la négative (ce texte ne va pas intéresser grand monde) vous n’encouragez pas à la lecture ! et qui plus est vous vous dévaluez ! quand on aime le style d’une personne, ou encore les témoignages, rien n’est inintéressant !

    1. Oui, Gibu, j’accepte volontiers vos remarques 🙂 mais je pensais que l’effet inverse allait se produire, ne serait-ce que par curiosité.
      Je rappelle aux futurs passants qui vont passer par là, que Gibu a vu ma présentation du texte sur FB.
      Je la livre ici : « Un titre qui fera fuir plus qu’accourir… »
      Merci Gibu ! 😉

      1. Ce n’était pas une remarque Simonù, je ne me permettrais pas ! tout au plus un ressenti amical 😀 mais votre point de vue se défend aussi 😀

  2. La difficulté, c’est qu’il a été interdit aux deux générations précédentes de parler la langue corse. On ne parle donc plus corse à la maison, alors que c’est le lieu où l’on transmet le plus les différences et les subtilités dont vous parlez.

    1. On nous interdisait de parler corse à l’école mais nous le faisions quand même en cachette et surtout nous le parlions chez nous car parents et aïeux n’étaient pas à l’aise en français.
      Les plus belles anecdotes sont celles de moments de parler corse à l’école, j’en connais quelques croustillantes, sans doute les meilleures, à mon avis.
      C’est vrai que de nos jours, rares sont ceux qui le parlent à la maison avec les enfants.
      Même sur le continent, je parlais corse avec mes parents en visite chez moi…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *