L’autre péril en la demeure.

Extrait d’un texte ancien.

« Les murs sont épais, la chambre est sombre et sent le remugle.
Les cadres affichent des icônes d’un autre âge.
Des saintes au sourire de miel, aux mains de flanelle, offrent un cœur pour apaiser les esprits.
Une vieille herbe de l’Ascension est suspendue au-dessus de la tête du lit et veille encore sur les âmes endormies. Désormais desséchée, momifiée par le temps, devenue cassante et légère, elle dodeline son squelette poussiéreux sous le moindre souffle léger.
A son côté, « una crucetta », une petite croix tressée dans une feuille de palmier, légèrement penchée, semble pointer sa flèche vers le côté gauche du lit.
Des symboles religieux survivent au passé et livrent encore des signes…
On dirait que le temps s’est assoupi derrière les volets et file vers l’éternité en baignant dans le calme recueillement d’un purgatoire.

Juste en face de l’oreiller qui gonfle l’édredon, le portrait d’un bisaïeul, d’un trisaïeul peut-être, exhibe sa barbe blanche épaisse et sa moustache qui rebique vers les cieux. Un air d’Artaban ou celui d’un pape sévère qui a pontifié il y a très longtemps. Du fond de son passé, il veille sur l’avenir.
Dans un coin plus sombre, presque à l’abri des regards, une grand-mère tout aussi sérieuse semble attendrie, le regard tourné vers la couche.
Ces images pèsent sur le lieu et parlent dans le silence d’une histoire achevée. Ces présences absentes, pourtant très marquées, habitent encore la petite pièce.

Ici, on dort.
C’était lieu de passage et de repos quotidien, mais aussi endroit secret où naissaient rêves et envies. »

La bâtisse indestructible, à l’ossature robuste, solides pierres de taille d’un granit millénaire, résistera encore aux siècles à venir.
En indivision dit-on. On ne divise pas cette entité ancestrale sauf pour satisfaire un fisc gourmand, pour mettre fin au cache-cache propriétaire, un éparpillement des responsabilités devenu insupportable pour le traqueur de foncier.

Hier, on parlait d’indivision.
Un lointain héritier, très lointain même, qui n’avait jamais mis les pieds dans le village, avait entendu parler de maison familiale.
Il avait projeté de visiter l’endroit avec sa jeune épouse et avait élu domicile pour deux ou trois jours, le temps du passage sur les terres de ses ancêtres.
Les jeunes visiteurs se faisaient joie d’une première nuit dans ce sanctuaire dont ils ignoraient la pesanteur.
Ils étaient dans la légèreté de leur temps.
Le vieil homme barbu les fixait sévèrement. Le jeune garçon visé par son regard inquiétant, fermait les yeux, l’œil de Cain s’était imprimé dans sa tête.
Sa compagne, moins concernée par l’histoire, bien plus détachée et amusée de se trouver dans un tel endroit vieillot, ne parvenait pas à réveiller le cobra, sa douce sérénade n’y pouvait rien.
Le lit gémissait à chaque mouvement profane et lâchait des petits cris lancinants, « tiinn tiinn, tiinn tiinn » . Cette plainte confortait la lourdeur d’une atmosphère antique et coupait tous les sifflets.
Ici, jadis, on y disait prières pour fonder famille.
On ne batifolait pas, on n’expérimentait pas tout le Kâmasûtra.

Au petit matin, le soleil leur souriait déjà.
Dans l’accueil des hautes herbes, les deux tourtereaux s’en donnèrent à cœur joie.

L’austérité de la vieille maison, où les âmes d’un autre temps veillent encore, avait agit comme un répulsif, ôtant toute convoitise au cher héritier lointain dont le rêve s’effondra en une seule nuit.

On ne construit pas son temps sur les décombres d’un passé qu’on n’a jamais connu.
Un futur se bâtit sur ses envies et ses élans, non sur des convoitises…

Le petit plus du jour qui a quelque chose à voir avec le sujet :

Si ce n’est la faute à Danton
C’est la faute à Ma…

Les effets pervers d’une fausse bonne idée 😉




Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *