Cette étoile brille encore.

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Pour Joséphine, ces iris de saison.
Vous connaissez sans doute l’expression : « Longtemps après sa mort, une étoile brille encore ». Elle s’est éteinte mais tous ses lux ne sont pas encore parvenus jusqu’à nous à cause de la vitesse de la lumière et la distance en années-lumière qui nous sépare de cette étoile.
Joséphine clignote toujours dans ma mémoire.
Elle habitait le 77 Boulevard François Grosso à Nice. J’étais l’ami de son fils. Cet ami qui m’avait transporté dans ses bagages pour que je puisse effectuer des études supérieures. Sans cette rencontre, je n’avais aucune chance de me trouver là, j’étais promis à une vie incertaine non loin de mes parents.
C’est ainsi que des vies basculent. Ce pion qui faisait équipe avec moi au lycée de Sartène avait du caractère. Vous pouvez passer à côté de mille personnes sans que rien ne bouge pour vous. Il était persuadé que je ne me donnais pas toutes les chances et se proposait de jouer le rôle du propulseur juste le temps de prendre mon envol. Un envol qui ne viendra pas.
La lumière fut trop vive pour moi. Je n’étais pas préparé à ce changement imprévu, arrivé trop vite. J’ai juste réalisé que je vivais désormais dans un autre monde et que j’allais découvrir une autre vie. Tout était nouveau. Même et surtout les filles que je n’osais aborder, ici, prenaient ce qu’elles avaient envie de prendre… une approche grandement facilitée.
Joséphine s’illuminait lorsqu’elle me voyait arriver. Elle riait ou plutôt, je la faisais rire, même sans avoir dit un mot. J’avais la frimousse d’un ange, d’un candide qui semblait perdu dans l’éclairage auquel il n’était pas habitué. Son visage fortement ridé, affichait un large sourire, presque le bonheur malgré sa condition difficile de femme de ménage. Elle me caressait les joues en disant que j’avais la peau douce et m’appelait bébé Cadum.
Je n’habitais nulle part, elle s’en doutait. Je n’étais pas en danger non plus, j’arrivais à vivoter de manière suffisante. Souvent me voyant passer non loin de chez elle, elle m’invitait à manger le midi. J’avais droit à la salade de tomates épépinées avec olives, œuf dur et huile d’olive qu’elle ramenait de Corse après ses vacances estivales. Puis venait le steak géant servi saignant, accompagné de frites comme pour son fils. C’était le moment de me parler de sa famille, de ses enfants. Elle trouvait toujours un petit reproche à leur faire. Dans ces moments, j’étais très gêné, je me sentais intrus. Lorsque je lui disais que ses fils étaient des gens bien, qu’ils travaillaient alors que je glandais, elle me couvrait de compliments… et trouvait toujours une bonne raison de voir une lueur souriante poindre de ma personne. Evidemment c’était agréable et encourageant.
Une image est restée gravée dans ma mémoire. Nous étions en train de manger lorsque son troisième fils que je ne connaissais pas sortit de sa chambre. Il était rentré de Londres, où il exerçait le métier de croupier, pour passer quelques jours de vacances. Ce grand taciturne n’a pas dit un mot et s’est assis au fond de la salle dans un fauteuil, encore en peignoir marron. Il nous regardait avec un sourire attendri comme s’il ne voulait pas nous déranger. Il est resté ainsi jusqu’à mon départ. Ne sachant trop comment m’y prendre c’est à ce moment que je l’ai salué d’un geste d’au revoir comme l’aurait fait un enfant avec sa main.
La raison de ce texte est toute simple. Toussaint, son fils et héros du récit intitulé « La gabardine » noyé quelque part dans ce blog, est venu me voir presque incidemment, il y a deux jours. Je lui ai rappelé ces moments heureux. Lui, avait oublié et surtout pas mesuré l’importance de cet épisode de ma vie. Un bouleversement radical sans lequel je n’aurais sans doute jamais quitté mon village. C’était pour lui un simple geste d’amitié. Nous n’avions pas le même vécu, il a changé l’orientation de ma vie sans en être conscient.
Progressivement, certaines images sont remontées à la surface. Je voyais qu’il n’était plus là devant moi mais transporté dans le temps. Nous avions quarante ans de moins, nos regards se croisaient sans trop insister… nous étions émus. Joséphine était encore avec nous le temps d’une évocation.
Il n’y a pas loin de la fiction à la réalité lorsqu’on ranime ceux qui vous ont apprécié et vivent encore dans un coin secret. Ce sont les aléas de la vie qui vous font prendre conscience de l’importance du passé… pour ma part, j’avais pris l’habitude de vivre en direct. Le différé renforce les choses, parfois les sublime.
J’ai toujours considéré salutaire le fait de se souvenir d’où l’on vient. Juste un électron qui se croit libre alors qu’il évolue en fonction de toute sorte d’attraction qui intervient dans sa vie. A mesure des textes qui s’amoncèlent dans ce blog, j’ai l’impression d’avoir traversé plusieurs vies. Je retrouve une densité étonnante. Je n’ai donc pas arrêté une seconde ? Et le plus surprenant c’est que je n’y vois que bénéfice, plus rarement il m’arrive de faire les gros yeux mais je passe très vite sur ces moments désagréables. Je considère qu’ils sont les points d’appui qui nourrissent les instants joyeux… par contraste.
Dans l’évocation du jour, le côté errant de ma vie d’alors servait de balance pour apprécier mes rencontres comme celle avec Joséphine. Son sourire ne m’a jamais quitté et son visage sculpté par un artiste joyeux n’a pas changé.

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Des couleurs de la vie.

 

1 Comments

  1. Et Voilà! Grace au talent d un peintre poète que est celui de Simon D., l’étoile Josephine, de condition de vie modeste, avec ses rides, son sourire de velours (Iris) et sa générosité, continue à briller …
    Encore un beau « brin de temps » qui nous est donné ! Merci…

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