Cet enfonceur de portes ouvertes.

DSC_0011Est-ce bien raisonnable d’enfoncer des portes ouvertes ? Je pense « oui », lorsque c’est fait sciemment. On passe en douceur et l’on recueille plus facilement l’adhésion du plus grand nombre en frisant la presque lapalissade.
J’ai failli titrer : « Lorsque j’étais ‘rien du tout’ ». Une sorte de titre pied de nez à « Quand j’étais président » ou « Quand j’étais encore jeune »…
Nous sommes tous puissants de quelque chose. A la tête d’un état, puissant du vers ou de la prose, du pinceau, de la faucille ou du marteau. Mon père était le roi de la bêche, le roi du jardin des autres. Il en était fier et se sentait puissant d’avoir rendu leurs planches fécondes. Il en parlait le midi à table et sa ferveur faisait plaisir à voir. Il maniait la houe et le râteau mieux que personne. Tel qu’il rentrait le soir chargé comme une mule, dégoulinant de sueur avec le sourire aux lèvres est l’image qui s’est imprimée à jamais dans mon conscient. Une image qui titille parfois mon inconscient lorsque l’onirisme du plus profond de la nuit remet une couche de plaisir. Je pense avoir retrouvé les mêmes sensations que lui. J’adore retourner la terre, celle du jardin qu’il avait promis de bichonner. Un jardin qui n’existait pas et que j’ai créé à la sauvage sur un terrain pentu. Un jardin qui me ressemble. Un peu de rationnel, beaucoup d’anarchie et de laisser aller. Il n’a pas eu le temps. Il doit bien rigoler en me voyant à la peine. J’aime ces moments de communion avec lui, même lorsqu’ils torturent mes articulations vieillissantes, toutes ces jointures qui craquent et grincent en prenant de l’âge. Cette lenteur qui me gagne, ce pied incertain, moi qui gambadais comme un cabri et qui rêvais de finir mon existence sur une course de fond sans jamais baisser de rythme. C’est lorsque la douleur et le plaisir se contredisent, lorsque les contrastes de ce monde sont plus marqués, lorsqu’il est déjà trop tard, qu’on devient l’enfonceur des portes ouvertes de la vie.
La vie, ce contenant de tisane, d’eau plate ou pétillante, d’alcools doux ou forts, de vinaigre ou de Javel décapante… Depuis les palaces ou les suites jusque dans le ruisseau au fond d’une vallée, enfoncé dans un fauteuil confortable ou le pied meurtri dans une chaussure crevée… finir. Finir dans la douceur d’un palais ou la froideur et l’humidité d’une cabane… Qui fut le plus heureux de passage ?
Quand le temps a couru, toute rétrospective de l’autre est absurdité. Une absurdité qui remplit la vie du vivant. Celui qui n’est plus là, puissant ou misérable, n’a été qu’un impuissant de la vie.
Si la vie de mon père continue avec moi c’est parce qu’on vit deux fois, parfois trois. Une fois vivant, une deuxième ou troisième fois dans le souvenir de ses enfants puis de ses petits-enfants… ensuite on ne sait plus, on oublie tout.
La porte était largement ouverte, il suffisait d’entrer sans tambouriner… On n’oublie jamais de sortir. La vie nous expulse en nous faisant croire que nous sommes attendus de l’autre côté en franchissant cette autre porte grande ouverte sur le gouffre de l’éternité. Cet endroit où l’on espère retrouver ceux que l’on a aimés et qui vous conduit à l’oubli n’est pas un lieu, c’est le néant.
Laissez vivre les enfonceurs de portes ouvertes, ils sont faiseurs de vent. J’adore être la brise ou la bise, la tramontane ou le mistral, le sirocco ou le blizzard, ces souffles qui vous caressent, vous giflent ou vous cinglent et qui vous disent la vie.

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