Généralement, le lecteur tout venant se fie au titre pour entrer ou non en lecture.
Dès qu’il semble un peu lourd à digérer c’est la fuite, clic ! On tourne la page.
Ne vous inquiétez pas Tubal et Ponocrates sont des copains qui font avancer les choses…
Rien de bien transcendant mais cela mérite un peu de réflexion tout de même.
Ce matin à la très fraîche, j’écoutais les infos qui généralement vous donnent le bourdon pour le restant de la journée. J’ai tendu l’oreille en entendant que 4 à 5 élèves, grosso modo, par classe ne croient pas aux attentats. Ils pensent que ce sont des complots inventés pour servir les politiques ou on ne sait qui d’autre. Cela ne m’a pas étonné. Faites un tour sur les réseaux sociaux ou dans les commentaires qui suivent l’article d’un média en ligne, vous serez fixé sur l’état d’esprit des adultes aussi.
Je n’étais pas surpris disais-je, mais quelle drôle d’époque !
Non pas que cela n’existait pas avant… aujourd’hui tout se sait grâce à la toile et à l’info plus rapide que l’éclair. Une info n’a même plus le temps d’être digérée puisque l’autre chasse l’une, en cours de digestion.
On s’habitue et l’appétit vient par l’information en boucle, plus qu’en s’informant.
La boulimie s’installe, on devient consommateur de nouvelles vite défraîchies car la suivante, encore meilleure et très attirante, bouscule tout.
Les pseudos journalistes ne parviennent plus à suivre et balancent comme ça vient, parfois en proposant un titre ronflant que le contenu de l’article ignore, souvent sans contrôler les sources. On s’adapte puis on boit ce petit lait quotidien qui viendrait sans doute à nous manquer si on nous servait matière plus consistante à traiter.
Cela m’a renvoyé quelques longues années en arrière. J’ignore s’il existe un rapport entre tout cela mais l’idée s’est imposée, déclenchée par cette absence totale de sens critique, ce sens d’analyse qui demande un peu de recul et de temps avant de porter un jugement.
Je me suis souvenu du temps où l’on pensait à harmoniser les notes et les appréciations dans les écoles.
Il fallait alléger l’approche des exercices en les rendant accessibles à l’ensemble des élèves.
Finies les questions qui demandaient la lecture approfondie d’un texte et la rédaction d’une réponse précise et documentée à minima. Enoncer et rédiger clairement une idée ressemblait à un calvaire pour les moins doués des écoliers, il fallait trouver une parade, fut-elle fallacieuse.
On a vu fleurir un peu partout les fameux questionnaires qui appelaient la réponse OUI ou NON. Pour s’assurer que tout le monde avait compris un texte, on répondait en cochant la case affirmative ou négative.
C’était simplissime, rapide, facile à corriger avec un œil exercé pour pointer la litanie de la bonne suite des « oui/non » en suivant toujours le même parcours avec la pointe du stylo.
Au bout du compte, même l’enseignant n’avait plus besoin de réfléchir en évitant de rentrer dans les détails.
Il n’y avait plus de détails avec ce système.
Il n’était plus question d’apprendre à rédiger, ni exprimer clairement sa pensée. Il n’y avait plus de pensée élaborée. Les enfants étaient contents de ne plus se référer à un texte, contents d’éviter la torture d’une formulation écrite devenue angoissante. Chacun y trouvait son compte, les parents étaient rassurés par les notes qui s’amélioraient artificiellement. En exagérant à peine, on peut affirmer que l’exercice de lecture négligeait lecture et écriture avec ce moindre effort.
Lorsqu’une note habituellement basse pour un enfant devenait acceptable cela rassurait tout le quartier et dispensait de chercher si la compréhension était bien réelle ou pas. On passait à autre chose allègrement. C’était cocagne, la conscience tranquille et les méninges au repos puisque le questionnaire, qui ne prouve rien, l’affirmait clairement.
J’avais demandé à une maîtresse, l’autorisation de tenter une expérience de lecture dans sa classe.
Voici le protocole.
Il s’agissait de proposer une situation totalement absurde avec un questionnaire de dix suggestions sur un texte inconnu, qu’il fallait identifier comme vraies ou fausses.
Je disais aux enfants « Voilà un questionnaire, il faudra répondre en cochant la case OUI ou NON.
Je ne vous propose pas le texte, c’est inutile, ne vous inquiétez pas vous pouvez répondre sans l’avoir lu, vous verrez c’est rapide et fastoche, vous trouverez la bonne réponse sans difficulté ».
Voici un exemple : « La petite fille de l’histoire s’appelle Annie. Oui ou Non. »
Ils étaient partants pour ce jeu original, amusant, prêts à tout, personne ne s’est inquiété de savoir comment c’était possible.
L’esprit en joie de trouver les réponses sans lire l’histoire les enthousiasmait.
C’était magique.
A la correction, il y avait quelques « copies » très bien notées et pas forcément des bons élèves habituels. Cela a permis d’organiser un débat sur les notes.
Comment était-il possible d’avoir une bonne note sans connaître le texte ?
Deux observations se dégageaient : Le coup de bol répété du « pile ou face » chanceux et la certitude qu’il n’était pas possible d’avoir compris un texte sans l’avoir lu.
La remise en cause de l’efficacité de tels exercices dont le principal intérêt est de se voiler la face devenait évidente. On n’est jamais certain qu’un enfant qui obtient 10/10 a vraiment tout compris, même après lecture puisque la part de hasard induit par « OUI/NON » joue son rôle, possiblement important en l’occurrence.
Leurre absolu et tranquillisant.
L’exercice du « Oui/Non » était à prendre avec des pincettes et non l’afficher comme un étendard aux couleurs joyeuses.
Les enseignants sont conscients de cela mais l’exercice est tellement pratique qu’ils finissent par oublier cet aspect primordial des choses. L’idée se dissout dans cette pratique bien arrangeante.
Certes, on ne propose pas que cela dans les classes mais certains en abusent largement.
Cette commodité permet de passer tranquille sans trop revenir sur l’approfondissement des idées, beaucoup plus contraignant et plus long à mettre en place… On file, file, en enfonçant inconsciemment dans les petits crânes qu’un survol rapide des choses est largement suffisant dans la vie.
Enseigner est un art difficile.
Il n’y a pas de progrès dans l’art, c’est ainsi que depuis la scolastique d’un Tubal Oloferne* et l’humanisme d’un Ponocrates* dans l’éducation d’un Gargantua, rien n’a changé. Un humaniste du temps de Rabelais au savoir limité dépasse infiniment un enseignant au savoir plus large de nos jours.
L’art et la manière, du recul et de la réflexion avant toute chose. Avoir une tête bien faite plutôt que bien pleine ou mal remplie, n’est pas une mince affaire…
Apprendre à apprendre plutôt que jouer au devin.
Heureux les acteurs d’une telle rencontre.
Apparemment cela ne court pas les rues…
Si vous estimez avoir tout compris, vous méritez 10/10, dans le cas contraire il faut relire, mais en avez vous envie ?
Pour profiter de la vie, il ne faut pas rechigner à remettre le cœur à l’ouvrage.
*Tubal responsable d’une éducation (de Gargantua) par accumulation de savoirs inutiles et desséchants…
*Ponocrates proposait une approche humaniste, ouvrir l’esprit et la curiosité par une éducation joyeuse qui tient compte de la personnalité de l’élève… Vers la sagesse et la liberté à travers la capacité à analyser et comprendre les choses…

Pour le plaisir.
Une coccinelle en vadrouille non loin des véroniques, une mouche sur un prunus sauvage se frotte les mains, on file vers le printemps.
Le petit plus qui n’a rien à voir :

Quoiqu’on fasse, on va toujours vers la facilité, ce qui rend le métier d’enseignant si difficile.
Parfois on souhaiterait que les réseaux sociaux soient interdits ou du moins largement surveillés mais là se pose le problème de la « liberté d’expression » si chère très contradictoirement à ceux qui justement voudraient imposer des loi contraires à la démocratie et plonger le pays dans l’obscurantisme.
L’homme est un animal compliqué.
Compliqué qui se complait dans la facilité, en l’occurrence 😉
Bon, c’était pour changer des écrits habituels, je ne changerai pas le monde…
Article fort intéressant. J’adore vos articles sur l’enseignement.
Je confirme, enseigner est un art difficile, on cherche toujours la solution de facilité et le pire, c’est qu’on en est conscient. Je travaillais ce matin sur l’argumentation avec une classe de terminale dans le but de mener un débat sur l’utilisation du téléphone portable en cours. La majorité des élèves m’ont dit que le téléphone n’avait pas sa place en classe car c’est un objet qui invite à la distraction et empêche la réflexion (enfin, leur terme était plutôt « c’est la solution de facilité » pour chercher l’information). Ces mêmes élèves utilisent pourtant le portable en cours de façon assez régulière.
Ces articles n’intéressent pas grand monde.
Dès la lecture du titre on tourne le regard, seuls quelques lecteurs osent s’aventurer ici.
Or, on traite d’un sujet de société important, la conduite des enfants vers la liberté : le penser utilement par soi-même, par la réflexion et l’analyse approfondies. Ce temps est révolu et le bon sens n’est plus la chose au monde, la mieux partagée.
Nous sommes entrés dans l’ère de l’impression et de la sensiblerie exacerbée qui empêche la lucidité, la prise de distance et l’objectivité.
Les fondamentaux ont laissé beaucoup de plumes, on demande trop à l’école, on veut sensibiliser à tous les problèmes de société et au lieu de les calmer, on les exacerbe, on sensibilise à contresens.
Je vais bientôt m’atteler à un ouvrage qui s’intitulera probablement « A l’ombre de l’école » dans lequel plusieurs aspects seront abordés. A travers des rééducations on dévoile les modes de vie, on comprend les travers de certains enfants qui n’ont pas de gros handicaps, à priori, mais sont plongés dans les difficultés à cause de problèmes « d’élevage » notamment. Chacun y a sa part de responsabilité.
J’ai été confronté au retour dans une classe, faute de poste convenant à ma fonction, après avoir pratiqué la rééducation individuelle durant de nombreuses années.
Au lieu de casser mes codes pour devenir maître « normal », j’ai pratiqué la classe autrement.
Un travail difficile et lourd, il faut être courageux et convaincu de sa mission…
Cet ouvrage s’adressera à tout le monde.
J’ai hâte de lire votre prochain ouvrage. C’est toujours un plaisir de vous lire.
Bonne journée
Tout le plaisir est pour moi Tatiana, sans lecteurs, mes textes seraient coquilles vides laissées à l’abandon -)
J’ai trouvé cet article fort intéressant. J’ai pris un réel plaisir à le lire
Bonne soirée Simon 🙂
Et bien, cela me fait plaisir aussi, car je pensais que pas grand monde le lirait.
C’est trop tard pour vous souhaiter bonne soirée, alors bon jeudi Gys ! 🙂