Toute une partie de mon enfance s’est déroulée sur le flanc de la colline de Cacareddu entre chênes et châtaigniers, un espace visible sur la photo.
Nous habitions sous les châtaigniers à droite.
Nous avons beaucoup déménagé et chaque quartier m’a laissé un souvenir particulier.
Aujourd’hui, de ma maison, il m’arrive de jeter un regard vers ce sommet pour revisiter mon passé d’enfant. Un temps où nous n’avions rien d’autre à faire que nous inventer des occupations secrètes.
La maison de Zi Santu, que nous louions, se trouvait presque à mi pente entre le stade de Jeanjean et le sommet entièrement recouvert de chênes verts. Si serrés les uns contre les autres, un monde presque impénétrable qui sollicitait mon imagination féconde.
Mes amis évoquaient un enfer noir tant l’obscurité était profonde, aucun rai de lumière ne pénétrait à travers le feuillage dense. Parfois, l’un d’entre nous, suggérait un endroit mystérieux, domaine interdit d’un châtelain peu recommandable. Des rochers se détachaient dans le ciel au-dessus des arbres, et nous faisaient croire à un donjon, celui d’un lugubre château moyenâgeux.
A l’automne, de gros cèpes poussaient à la lisière de la chênaie, nous nous enfoncions de quelques mètres pour en chercher d’autres, en restant sur nos gardes. L’univers semblait hostile, personne n’osait aller plus profondément à l’aventure, quelques frissons intenses nous commandaient de rebrousser chemin.
Nous n’étions jamais certains de retrouver la voie du retour si nous nous aventurions plus avant. Nous entretenions le mystère en nous inventant des légendes racontées à la Piazzona, aux alentours de minuit, les soirs d’été.
Nous nous chargions d’émotions supplémentaires pour assurer le grand frisson lors du retour à la maison.
Au moment de rentrer, souvent après minuit, je piquais des sprints mémorables comme si j’étais poursuivi par le fantôme de Cacareddu. A cette vive allure aucun spectre ne m’aurait rattrapé.
En refermant la porte derrière moi, la frayeur s’évacuait d’un coup, parcourant tout le corps d’un tremblement comparable à la décharge d’une prise de terre. A cette forte frousse inventée, succédait le sentiment de sécurité qui marquait son contraste dès que je m’engouffrais dans le lit. Je faisais le plein de sensations, c’est peut-être pour cela qu’aujourd’hui, je suis tout en émotions, vibrations, très imprégné de la joie de vivre. J’adore frémir, me sentir en danger et me révolter… ça vient de là, sans doute.
L’après-midi, nous convergions tous vers le stade situé au pied de la colline, dans les châtaigniers de Jeanjean, pour des parties de foot interminables qui s’achevaient à la tombée de la nuit. Des matches dont la durée était déterminée par le score : la première équipe à marquer six, huit et même douze buts, gagnait la rencontre. Lorsque qu’il était tôt dans l’après-midi, nous matchions jusqu’aux douze buts pour clore la partie. Imaginez la durée du match si nous arrivions à onze partout, en attendant le dernier point. Nous n’avions pas de montre, parfois nous portions un réveil juste pour l’humour, le soleil comptait le temps à notre place, le crépuscule bien avancé sifflait la fin de la partie. L’arbitre était dans le ciel, nous surveillait en réglant la luminosité…
Souvent, à l’aplomb du stade mais très loin, ma mère se montrait à mi pente et m’appelait en criant pour que j’aille chercher les chèvres qui gambadaient encore sur la colline. Je faisais un peu de résistance en attendant le prochain appel.
Je n’étais jamais fatigué.
Je courais tout le temps surtout lorsque je passais devant une assemblée de personnes et de filles de surcroît. Je filais comme une flèche me contentant de faire un signe au passage. Certains se demandaient pourquoi ce « coup de vent » ce Speedy Gonzales qui ne s’arrêtait jamais : ma grande timidité à l’époque, tout simplement. Ce profil de garçon toujours filant fut à l’origine de mon goût pour les courses de longue haleine, adolescent, j’étais un crossman redoutable, un temps, je détins le record des internes du lycée de Sartène, des 1000 mètres.
Je grimpais en vitesse à la recherche des chèvres sans m’arrêter devant la maison. C’étaient des caprins de location qui d’ordinaire rentraient seuls mais parfois, s’attardaient comme la chèvre de M. Seguin. Nous avions peur de les perdre, c’est pourquoi je n’attendais pas la nuit pour partir à leur recherche. Elles étaient entravées pour limiter la gambade et leur autonomie, mais parvenaient, quelques fois, à se défaire de leur entrave unilatérale confectionnée avec des vieilles cravates.
Le lait était partagé avec le propriétaire et les années de cocagne nous avions droit à deux cabris, tout le monde était servi pour le réveillon de Noël.
Parfois, lorsque la porte d’entrée restait ouverte, nos chèvres s’abritaient dans le couloir devant la porte de la chambre. Je les ai trouvées un après-midi, de chaque côté du lit, surveillant mon père qui faisait la sieste. Ce ne fut pas une mince affaire de les chasser pour qu’elles regagnent leur cabane. Comme pour nous signifier leur mauvaise humeur, elles lâchèrent toutes leurs billes du jour, le long du passage, surtout dans le couloir comme si elles étaient conscientes du désagrément causé. L’une d’elles a même bêlé bizarrement, un long « bêêêêê ! », sans doute un « tiens prends ça ! » en langage humain. C’était le rire d’une chevrette facétieuse et délurée, à n’en pas douter.
Cet endroit revêt pour moi une importance toute particulière. L’expérience d’une forte amitié sincère avec Antoine qui est parti beaucoup trop tôt. Il revient souvent faire un tour dans mes pensées. Nous habitions à quelques pas l’un de l’autre et nous nous retrouvions souvent chez sa voisine. Une vieille dame à la bonté comme il n’en existe que dans les histoires de grands-mères.
Une sainte femme toujours ravie de nous accueillir et qui nous servait le goûter avec des tartines de beurre blanc de sa confection. Je me souviens de grains de gros sel, apparents, qui faisaient perler des gouttes d’eau. Ces images indélébiles vous poursuivent toute la vie lorsqu’une telle attention vous touche définitivement.
Il me reste une anecdote scolaire, racontée mille fois, dont je ne me lasse pas, qui fait référence à cet endroit et nous a beaucoup amusés en cours de français. Une rédaction qui répondait au sujet suivant : « Au cours d’un jeu, vous êtes frappé par le pittoresque du paysage. Racontez.»
En outre, nous avions étudié le passé simple, il était fortement recommandé de l’employer dans notre récit. Un passé simple que tout le monde n’avait pas bien assimilé. Un camarade s’est souvenu des grands châtaigniers de notre chère colline et rendait le texte suivant :
« Un jour, on jouait à cache-cache à Cacareddu. Je monta, je monta tout doucement pour chercher. Sans faire de bruit. Arrivé à côté du châtaignier, pan ! Je receva un coup derrière la tête. C’était le pittoresque qui était caché derrière l’arbre, qui m’avait frappé. »
Pour parodier et saluer notre ami fâché avec l’usage du passé simple et le pittoresque frappeur, je dirais :« Moi aussi, je passa de sacrés moments à Cacareddu et je viva heureux comme un pinson. Je m’en souviendra toute ma vie »
Quelle vie ! Une vie qui vous offre une belle histoire !
Quelques vues de l’emplacement du stade de Jeanjean, la surface est réduite mais on devine encore l’existence d’un terrain de foot.




Le petit plus du jour qui n’a rien à voir avec l’histoire :

Je me régala fort de ce récit qui sent bon l’enfance heureuse et explique ce que l’adulte est devenu 🙂 , comment il s’est construit.
Jolies photos d’automne !
Que vous vous régalâtes, me ravit !
Les images datent de la Toussaint dernière.
Bonne journée Al 😉
J’ai adoré ces anecdotes qui m’ont encore fait rire. J’imagine vos chèvres semant leurs petits cailloux 🤣🤣
🙂
Tu me fis rire avec ton pittoresque dont ma mere se plaisait a raconter l’anecdote qui avait fait le tour de l’ecole.
Et la vieille dame disait « ridi ridi ò tisò chi ti faci bè ! (Ris, ris, mon trésor ça te fait du bien)
Une autre anecdote : « Vous jouez, racontez le déroulement du jeu. »
« Je jouais à la balançoire avec ma sœur et je la poussa, la poussa, la poussa… à la fin la corde craqua…
Eh, il était temps qu’elle craque sinon on y était jusqu’à demain matin! »
Voilà, voilà… Bona sera.
Belle histoire Simon merci . Nom du stade et de la propriété » A CHIUSA » . Nous fauchions du foin et une fois sec une meule , ensuite des cavalcades avec son âne : que de chutes et rigolades . Encore merci et à prestu .
Quel plaisir de retomber dans ce souvenir.
Ce que tu as vécu, je l’ai connu aussi quelques années plus tard, car j’y passais mon temps à jouer aux cowboys et aux indiens et à faire des glissades sur la fougère le cul sur un carton. Comment oublier les matchs de football que nous faisions A Chiusa ? Merci pour ces moments agréables que tu nous fait passer.
Bonne soirée à vous deux 🙂
Merci pour ce commentaire qui encourage à poursuivre l’aventure sur ce blog.