Psychomotricienne.

Le mot claque comme un mystère.
Nous étions devant l’adjoint au maire responsable des écoles pour présenter la nouvelle structure qui devait s’implanter dans sa ville.
Un homme austère, ancien inspecteur de la jeunesse et des sports qui ne laisse pas de place à la bonne humeur communicative, tout était sérieux dans sa conduite de l’entretien. Il n’a pas esquissé le moindre sourire durant notre présentation.

– Alors, disait-il, vous, vous êtes psycho quoi ?
– Pédagogue, psychopédagogue !
– Ah ! Bien bien, bien !
– Vous ?
– Logue, psychologue !
– Ah, voilà, voilà ! Et vous, psycho quoi ?
– Motricienne, psychomotricienne !
– Ah, bon bon !

Je l’imaginais à l’opéra en plein « Figaro ci, Figaro là », Psycho ci, Psycho là.

Il prenait des notes, se délectait des mots que nous balancions, tous remplis de « psycho », et c’est devant « psychomotricienne » que je le sentis plein d’émotion.
Motricienne ? ». Un long silence, un peu perdu… Il était rêveur, que pouvait-elle bien faire celle-là, la mystérieuse ?
Sa commune en tenait une… et elles allaient défiler au fil des ans. Je fus le seul à garder le même poste une vingtaine d’années avant de m’envoler vers ma Corse natale.

C’était dans le début des années soixante-dix, les tout nouveaux GAPP (Groupe d’Aide Psycho-Pédagogique) se mettaient en place dans la banlieue parisienne. Un groupe de trois personnes, une psychologue (c’était presque toujours une femme), une psychomotricienne (souvent une femme aussi) et un psychopédagogue (partagé entre les deux sexes avec un avantage féminin à 70%). Les mauvaises langues disaient que ce groupe était constitué de trois personnes pour instaurer une zizanie permanente… Un triumvirat pour une mésentente assurée, à trois, on ne s’entend jamais, le ronronnement a du mal à s’installer.
J’ai pu le vérifier tout au long de ma carrière.

Les psychomotriciennes avaient la cote auprès des enseignantes ou étaient carrément détestées.
Elles n’étaient pas directement concernées par l’apprentissage scolaire, des prêtresses du corps essentiellement. Elles veillaient à l’épanouissement de l’enfant, d’abord bien dans sa peau pour être bien dans sa tête et aborder une scolarité normale, absente jusque-là. Elles étaient beaucoup plus indépendantes que les autres intervenants du groupe par leur formation et les attentes aux limites mal définies. Plus insaisissables aussi.
De nombreux parents assimilaient leurs interventions à des pratiques inutiles ou déplacées, sans aucun rapport avec les difficultés scolaires de leur enfant. Elles dérangeaient ou faisaient beaucoup rêver les collègues féminines qui en enviaient l’allure et parfois l’aura. Certaines, souvent les plus jeunes de l’école, mal dans leur peau, cherchaient leur compagnie et en devenaient même des copines. Les plus âgées, bien coincées depuis longtemps, faisaient des risettes par devant et des grimaces par derrière. Les hommes les regardaient avec envie mais se gardaient bien d’aller plus loin tant ils les sentaient insaisissables voire inaccessibles. Personne n’était indifférent devant la mystérieuse psychomotricienne.

Même les psychologues en étaient jalouses. Les conflits naissaient souvent de là. Indépendantes, elles ne supportaient pas les commentaires autour de leur pratique qui pouvait paraître  fantaisiste. Je me suis parfois trouvé à jouer le rôle d’arbitre totalement inopérant au milieu de leurs bagarres terribles. Des bancs renversés, des placards retournés, des dossiers valdingués aux cours de réunions dites de synthèses… Des situations délicates, dominées par l’hystérie à son paroxysme sans que je puisse être du moindre secours. Après coup, l’une et l’autre me reprochaient de ne pas être un bon soutien… jusqu’à ne pas avoir été bon chevalier servant. Fallait-il que je serve l’une plus que l’autre ? Voyez l’asservissement auquel je devais me plier en prenant parti…

Toutes, avaient une originalité. J’ai connu la « gitane » – dans l’allure – avec sa large jupe bariolée, souvent pieds nus et toujours aérienne. Elle se déplaçait sur la pointe des pieds. C’était une énigme permanente et souriante qui parlait très peu et ne se livrait jamais. Un paradoxe aussi, car elle ne supportait pas la proximité. Elle attirait et repoussait à la fois. Cette femme vaporeuse et dansante nous entrainait avec elle mais nous ne savions jamais sur quel pied danser. Sèche et répulsive,  elle a laissé derrière elle un grand mystère, un large sourire énigmatique… des années plus tard, on ne sait toujours pas qui elle était. J’ai imaginé une femme fragile qui se protégeait derrière une fausse indépendance mal distillée.

La blonde qui se savait belle et en jouait largement. Chaque geste, chaque posture, chaque intervention se faisait dans la séduction. Son complet en cuir crème la moulait parfaitement, laissant le dessin d’une croupe à couper le souffle. Elle multipliait les postures suggestives qui vous mettent l’eau à la bouche et vous  laissent dans la soif. Elle rayonnait et lâchait des éclats de soleil dans son sillage pour qu’on la suive à la trace. Elle semblait vouloir éclairer chaque recoin. Les femmes qui l’admiraient, c’était visible à leur regard,  recherchaient sa présence et se demandaient, sans le faire savoir, ce que pouvait cacher tant d’élégance et de lumière.
A quoi sert la beauté fuyante qui papillonne sans jamais butiner ?

La rêveuse venait du privé, on se demandait ce qu’elle faisait là. Une paresseuse finie qui en faisait le moins possible, arrivait le matin, souvent en retard, encore ensommeillée d’avoir veillé toute la nuit à écouter de la musique. Elle n’était pas prête pour le métier, elle n’était pas finie non plus dans sa personnalité. Elle ne savait pas ce qu’elle voulait ni ce qu’elle cherchait. Trop d’incertitudes pesaient sur elle qui devait porter un regard réparateur sur les autres. Ce fut un passage éclair presque sans histoire, dans la platitude et l’ennui… peut-être savait-elle qu’elle n’assurait qu’un bref intérim.

La fausse femme libérée faisait des ravages autour d’elle. Une incomprise persuadée d’être toujours dans le vrai et qui avait pris de très grandes distances avec le scolaire. Surprenante ou intrigante elle ne laissait personne indifférent. A son égard, c’était la haine, la curiosité ou la fuite tant elle faisait peur par son comportement jusqu’à en devenir déstabilisante. Elle explosait les faibles en croyant les aider. Sa force d’attraction était tout en fragilité pour qui savait percer son mystère. Elle avait connu une vie chargée qu’elle dut décharger puis recharger maladroitement car elle n’était jamais satisfaite de ses nouveaux tourments. De nombreuses femmes enviaient sa fausse indépendance, cherchaient sa compagnie puis la fuyaient, incapables de soutenir la comparaison. C’était la croqueuse du sans souci.

Et puis celle qui était probablement une erreur de casting. Une femme vieillotte en plein âge mûr, coincée dans ses fringues d’une autre époque. Bizarre, elle était l’image inverse de celle que l’on se fait d’une psychomotricienne.  Très croyante, elle ne jurait que par Dieu et ne laissait aucune place à l’humour… J’ai pu le vérifier à mes dépens. Mal dans sa peau, coincée dans son pardessus gris même par temps chaud. Celle qui devait libérer le corps des autres cachait le sien dans un carcan et traversait la cour avec un cartable vide pour se donner une contenance. Son porte-documents qui ne portait rien, lui donnait une assurance, une crédibilité qu’on avait du mal à lui accorder tant sa présence était maladroite et affichait un terrible  mal à l’aise. Persuadée d’être habitée par le Seigneur, elle n’a jamais réussi à décoincer un enfant avec ses leçons de morale. Elle pratiquait la psychomotricité assise à une table, sans mouvement, en prodiguant la bonne parole. Un jour, elle eut une révélation : elle n’était pas faite pour le métier, elle a compris qu’elle devait partir dans d’autres lieux mieux adaptés à ses convictions, le noviciat.

Toute une carrière parmi ces dames, j’ai toujours été le seul homme du groupe : un grand plaisir pour moi sous cet éclairage très fort qui n’était pas visible par tous. Une lumière crue, presque aveuglante qui ne m’a jamais fait cligner des yeux. Bien au contraire, je les ai gardés largement ouverts pour ne rien perdre de ce spectacle de la vie et me délecter de cette richesse surprenante. J’ai beaucoup rêvé aussi…

Je n’ai pas souvenir d’avoir rencontré paisible et transparente psychomotricienne…

7 Comments

  1. Intéressante étude des travers humains et de la prétention à travers un mot ronflant ne propulsant que du vent 😉
    J’adore le zhibou, toujours dans le vrai 🙂

    1. Ah oui ! Ça ronflait 🙂
      Mais que c’était instructif pour l’étude des personnalités comme dans la fable « Le dépisteur, le clinicien et le systémique » ! Trois visages différents du psychologue, à l’époque des balbutiements, du moins.
      Belle journée aujourd’hui.

    1. C’est bien Gys, vous m’encouragez.
      J’aime bien mettre de l’humour discret, parfois latent dans mes écrits et je souris en écrivant.
      Bonne soirée Gys ! 🙂

    2. Vous remarquerez, une fois de plus, que ces titres qui semblent suggérer l’ennui ou le trop sérieux… font fuir les lecteurs. 😉

      1. J’ai remarqué, dans mon cas, qu’il y a corrélation avec ce que le titre évoque.
        S’il semble barbant, je dis bien « semble » car le contenu est tout le contraire, la répulsion est garantie.
        J’ai connu des dimanches heureux 🙂
        Bonne journée Gys, la mienne sera très chargée.

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