Mais comment a-t-il fait ?

Je vais vous dire, approchez vous un peu, encore un tout petit peu, voilà, comme ça.
Maintenant lisez tout bas.
Pourquoi tout bas ? Parce qu’on pourrait nous entendre et certains n’y croient pas.
Ils pensent que c’est du pipeau, d’autres doutent fortement et ceux qui me croient, se demandent comment cela fut possible.

Pourtant c’est du vrai de vrai, c’est la vérité.
Qui a chuchoté « C’est pas possible ? »
C’est vous ?
Eh bien, je vais vous raconter mon histoire.

C’est vrai, je n’ai pas lu un seul livre de ma vie.
Je l’ai déjà dit, à part « Igloos dans la nuit » que j’ai tenté de terminer sans y parvenir, je n’ai rien lu d’autre. C’était, il y a très longtemps.
Comment est-ce possible d’écrire abondamment dans un tel cas de figure ?
Le cas doit être rare, unique par ici !

L’explication est toute simple, je fus un lecteur tardif, je n’ai su lire de manière convenable qu’à l’âge de 14 ans, à cause d’un handicap auditif qui a retardé mes apprentissages scolaires.
Les lecteurs tardifs comme moi en gardent des séquelles à vie.
Une fatigabilité du lire survient en conséquence. Si les textes sont trop longs, une difficulté à poursuivre la lecture d’un roman, par exemple, s’ensuit. La pénibilité prend toujours le dessus sur un possible intérêt ou plaisir suscité par l’histoire, on capitule.
Un tel lecteur presque devenu lecteur normal en apparence mais resté petit lecteur, développe toujours des stratégies particulières pour pallier cette carence et ce fut mon cas.

Je pratique la lecture en diagonale, c’est à dire en survolant, en picorant çà et là. Une prise de sens au vol et avec ce peu d’informations, une concentration maximale des données s’en trouve enregistrée.
Souvent je commence un livre par la fin. Je remonte quelques pages et très vite, je me dis « Ah c’est ça ! », j’ai compris, pas la peine de poursuivre plus loin. Au bout de deux ou trois pages, parfois un peu plus, juste de quoi gober la substantifique moelle, l’affaire est pliée. Peu m’importe de savoir si j’ai tout compris, j’ai suffisamment d’imagination pour deviner les méandres qui mènent jusque là.

Je ne suis pas un ignare total de la chose écrite, je lis des articles courts, beaucoup d’articles scientifiques surtout. D’ailleurs, il suffit de voir le format de mes textes, toujours presque le même, assez court aussi, comme si je n’osais pas m’aventurer plus loin.
Comment voulez vous qu’un piètre lecteur se fasse écrivant – écrivain ne convient pas – de longue haleine ? Ce serait encore plus surprenant. En procédant de la sorte, je demeure dans le concevable et je suis plus crédible aux yeux de ceux qui lisent ces lignes.

C’est pour cette raison que je n’ai jamais songé à publier. C’était chose impensable pour moi, presque une imposture. Ne pas lire de livres et proposer un bouquin me semble déraisonnable. Pourtant, j’en ai des histoires à raconter, je suis intarissable sur les choses de la vie. C’est comme si on m’avait mis sur terre pour faire la preuve d’un phénomène improbable et pour cela, je devais vivre plusieurs vies.

Vous savez, j’ai réussi tous mes examens sans lire le moindre bouquin. J’ai contourné, j’ai pensé par moi même, osé souvent et jamais je n’ai triché. Mieux encore, mes coups risqués qui sortaient de la pratique commune, m’ont valu les meilleures appréciations.
Mon enseignement fut la pédagogie du regard porté à l’autre. Je construisais en sondant les besoins de chacun, jamais sur un manuel scolaire de prêt à enseigner. Nous cheminions ensemble en apprenant la vie et les connaissances de base nécessaires à un épanouissement.

Réussir à l’examen écrit de législation sans jamais avoir lu une loi, reste un exploit et un vrai coup d’bol. Ce fut la surprise générale.
On nous avait proposé d’écrire un article dans un journal local, sur un quart de page format A4. Je n’ai cité aucun article de loi mais parait-il, si j’en juge par le commentaire sur ma copie « Du style et de l’à propos », je fus habile lorsque d’autres se sont embourbés dans la citation de lois qui ne tenaient pas sur ce bout de papier et laissaient très peu de place au commentaire . C’était un coup risqué qui fit mouche. Il y en eut bien d’autres dans le genre.
Lors de ma formation spécialisée à l’école normale de Versailles, une dame prof de psychanalyse nous avait imposé une bibliographie monstrueuse, il y avait de quoi construire une maison avec tous ces livres. Découragé, je lui annonçai ma démission en lui expliquant mon cas. Elle m’en dissuada fermement en me disant ceci :

– Surtout ne faites pas ça, ne dites rien à personne, on s’arrangera.
Nous avions déjà assisté à trois cours, elle ajouta :
– C’est vous qui participez le plus activement à mes cours, je vous ai repéré…
Cela s’appelle un coup d’bol ! N’est-ce pas ?
Mon parcours fut jalonné de chance, je le raconterai un jour.
Ce sont les femmes qui m’ont toujours sauvé. Des femmes intelligentes qui voyaient plus loin que le bout de leur nez et détectaient intuitivement des potentiels masqués par les choses de la vie.

Voilà, comment un piètre lecteur, un laborieux de la lecture et de l’orthographe se retrouva un jour spécialiste de la rééducation de ces deux mêmes disciplines et de la dyscalculie.
Je me suis régalé en entrant au plus profond de toutes les démarches boiteuses des enfants en difficulté.
C’était ma vie que je revisitais avec eux et ce fut un vrai métier, un régal, une fête inoubliable.

Ne soyez pas déçus, il n’y a pas de mal à être original 😉

Et lorsque vous apprendrez que si je ne lis pas beaucoup, je cause, vous serez encore plus surpris.
Je vis longtemps isolé sans parler à personne, le premier qui se présente paie pour tous les autres, il a beaucoup de mal à en placer une.
Le plus surprenant, encore, alors que j’ai le sentiment de les avoir dissuadés de me retrouver à nouveau, il se disent intéressés et reviennent.
Enfin, pas tous ! 🙂

Tout dépend du pouvoir d’absorption de chacun et de l’intérêt porté à l’approfondissement des choses dites anodines…

La fête continue.

Le petit plus qui n’a rien à voir.

9 Comments

  1. J’avoue que cela me surprend en effet que vous n’ayez songé à écrire quelques romans, vous avez tellement de sujets intéressants !
    Bonne journée à vous 🙂

    1. Une surprise, peut-être, non pas que j’en sois l’instigateur mais une sollicitation et je me suis laissé faire.
      Rien n’est certain encore, dans l’attente 🙂
      Des romans j’en ai plein la tête mais ça bloque…

      1. Je ne parviens pas à aller au bout, j’ai l’impression de faire du remplissage et du superfétatoire.
        J’ai les trames, bien précises, même des scenarii pour des films, le corps y est, on peut l’habiller à sa guise, enfin c’est l’impression que j’ai .. et donc je bloque sur cela…
        Bonne soirée 🙂

  2. quand je pense que, à l’inverse, un de mes employeurs m’a fait faire une journée de formation en lecture transversale 😀 et pourtant des livres j’en ai lu !!! 😀 comme quoi toutes les routes sont bonnes à prendre et je n’ai pas plus brillé que ça dans mon cursus 😉

  3. Bonjour Simonu,
    Merci pour ces « messes basses » dont je tire le plus grand espoir.
    L’esprit curieux, plus que de raison, je consacre moi-même peu de temps à lire et me sens toujours dans l’imposture quand certains me trouvent plus cultivée que la normale.
    Plusieurs de mes contacts, font sur leur blog, ou les réseaux sociaux, l’analyse intelligente de nombre d’ouvrages. En comparaison, je me sens nulle, faute d’avoir, comme vous, croisé sur mon chemin de vie les mentors qui auraient dépassé mes raisonnements et comportements neuro-atypiques… 🙁
    Dans le domaine des apprentissages, les choses ontglobalement commencé à évolué, dieu merci (pédagogies alternatives, AFEST -Actions de formation en situation de travail, etc).
    En tous les cas, j’admire votre facilité d’écriture et, comme je vous l’ai déjà écrit, suis certaine que vous trouveriez un public pour apprécier, avec bonheur, vos « tableaux phrasés ». 😉
    Belle journée, à bientôt.
    Catherine

    1. Bonjour Cat,
      Je me suis forgé une façon de pratiquer la vie en totale autodidactie et pour rien au monde, je ne me serais prêté à des pédagogies pour changer ma manière de procéder et d’être dans le quotidien.
      Je faisais partie de ces groupes en tant qu’animateur et je pratiquais plutôt la pédagogie du regard, une pratique personnelle. D’abord regarder et écouter l’autre, essayer, ensuite, des approches… rien de construit au préalable, ni de prêt à enseigner autrement… Bref, je vivais intensément ce que j’entreprenais.
      Lorsque j’étais en fac, des personnes, des filles disons-le franchement, prenaient des notes pour moi durant les cours d’amphi. J’ai préféré me former seul et arrêter « l’arène » car je ne synthétisais pas comme elles, je retombais dans le délayage inutile. Je concentrais plutôt et ces notes ne me ressemblaient pas dans la démarche, je les aurais prises autrement…
      J’ai procédé ainsi avec tout, quitte à perdre du temps et me planter souvent, j’avançais à coups d’erreurs et me suis accommodé de ce processus qui m’est très personnel.
      Arrivé au bout du chemin, j’ai l’impression d’une vie multiple très accomplie, je suis tranquille et heureux à la fois.
      Pour le reste que vous esquissez, sait-on jamais, tant que la fontaine n’est pas tarie, qui peut dire que je n’irai pas boire son eau ? Parfois la soif arrive tard si l’on résiste à l’altération, c’est mon côté dromadaire ou chameau, je dois avoir deux bosses 😉
      Merci Cat, d’être passée par là. Bonne semaine.

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