J’ai glissé.

Le silence calami n’est pas dans mes habitudes, vous l’avez remarqué.

J’ai commencé à glisser vendredi en fin d’après-midi. Non pas sur une peau de banane, ni sur le verglas qui n’est plus de saison, mais j’ai glissé…

En période pentecôtienne vous pouvez glisser tranquille.
Jusqu’au prochain mardi, la médecine de terrain est en villégiature et les pharmacies de garde, sans ordonnance, ne peuvent délivrer que pipi de sansonnet.

Si le phénomène est infectieux, il a tout son temps pour s’installer confortablement.

La longue glissade a commencé par une forte fièvre qui m’a mis en frissons, puis je suis parti à la conquête d’autres mondes.
Sans doute, mon subconscient avait-il pris le dessus en se souvenant que les frissons ont toujours été, pour moi, de grand froid plus que pyrétiques.
Alors j’ai glissé vers le nord des Etats Unis dans l’Idaho, d’abord.

Pourquoi cet état-là plutôt qu’un autre ?
Parce que le froid y est vif.
En homme du sud, j’ai toujours eu une préférence pour le froid, c’est ainsi que je cultivais les contrastes pour mieux apprécier ma condition méditerranéenne.
Je me suis souvenu, dans mon rêve glissant, que cet état doit son nom à l’imposture d’un certain Georges Willing qui le proposa au Congrès en affirmant qu’il signifiait « Diamant des montagnes » en langage indien.
Lorsque la supercherie fut découverte, Idaho était déjà largement imprimé dans les esprits…
Je ne me suis point attardé par ici.

Assez rapidement, après une hésitation avec le Montana, je me suis envolé vers l’Alaska.
La nuit était profonde.
J’étais perdu dans la forêt, muni d’une lampe puissante pour éclairer mes pas dans la neige haute jusqu’aux genoux. Le froid pesait sur moi bien plus que ma charge de trappeur. J’avançais péniblement, insensible au danger qui me guettait à tout instant. Cela a duré un bon moment, le froid pénétrait mon corps lui imposant une frénétique danse de Saint-Guy.
La cabane n’était plus très loin. Une lumière projetée d’une fenêtre illuminait la clairière. Quelqu’un m’attendait et m’accueillit avec toute la tendresse du monde. La pièce était chaude, j’étais fatigué, fragile, largement réduit à l’état de dépendance.
Dans un coin de la cabane, l’appel d’un lit sommaire en forme de grand berceau m’attirait inexorablement. En automate, je m’y étendis, les bras croisés, les genoux pliés quasiment en position fœtale, l’autre me couvrit de peaux épaisses déjà très chaudes et je m’endormis, le visage tourné vers le mur de rondins, vers l’extérieur.
Dans mon sommeil profond, délesté de tous mes frissons, mon esprit se mit à voyager encore.
Très loin de mon abri, dans un vol silencieux et lent, je revins sur mes pas pour refaire tout le trajet, prenant conscience des dangers encourus jamais remarqués.
Je refaisais ma vie en revisitant toutes les embûches qui ont jalonné le chemin qui me conduisit jusqu’ici.

J’ai dormi pendant deux jours.

Je commence à refaire surface, je n’imagine pas avoir attrapé la covid, cela fait plus d’un an que je n’ai vu personne ou très peu, vacciné de surcroît.
A moins qu’une âme mal intentionnée n’ait parachuté le virus juste au-dessus de ma maison et que le petit malin, introduit par la cheminée, attendît le moment propice pour me choper.
Je ne crois guère à cette affaire tarabiscotée, juste bonne à prolonger le récit. 😉

Lentement j’émerge, je glisse à reculons, progressivement, sans trop me faire remarquer, je retourne à l’ici et maintenant…

Il y a quelques minutes, je me suis regardé dans la glace, mes yeux ont pris vingt ans, ils ont perdu leur malice, je ne les ai jamais vus aussi tristes et fatigués.

Dans un coin de ma pupille, une lueur d’espoir… je crois que reviens à la vie.

Ces êtres du voyage.

11 Comments

  1. Pas étonnant avec le temps qu’il fait, un coup on a trop chaud, un coup on grelotte !
    Prenez soin de vous et d’Annie, à lire ce texte et à voir les illustrations, je pense que vous avez repris le dessus 🙂

    1. Du repos, c’est difficile, le débroussaillement et le jardin m’attendent.
      Merci pour votre attention Gyslaine. 🙂

  2. Promis, je ne suis plus contagieuse et FB n’est pas un vecteur de mauvaises ondes …en tous cas …pas pour moi ! Bon rétablissement Simon ! Doliprane toutes les 4 heures ! Bonne soirée, bonne nuit 🌃

    1. Merci docteur ! Cela me fait penser à l’histoire de « Pine Celine toutes les deux heures », je vais essayer 🙂 et la nuit sera douce !

  3. Quels que soient nos volontés, nos forces mentales, le corps est le Maître. Nous sommes corps, incarné, pesanteur. S’éprouver si affaibli, vivre un instant la vie qu’en voyages de l’âme, effleurer la fin promise … épreuves certes, mais certitude de conscience acérée lorsque petit à petit, le corps revenant à lui, fait ressentir la vie aussi fort que l’arbre dépouillé qui perce son premier bourgeon.
    Nous pensons fort à vous et à Annie qui a dû s’inquiéter de voir son roc élevé, tout embrumé.
    Ne brusquez pas la remontada, appréciez la dans toute sa lenteur, dans chacun de ses petits effets, en dialogue amoureux avec Maître Corps. Je ne me permets pas l’impératif pour le conseil dont vous n’avez certainement aucun besoin ; il vient naturellement parce que laisser le temps au temps est un des secrets impératif, je crois, du voyage et de ses transmutations.
    Du bien à vous 2.
    PS : Nous ne pouvons être trop inquiets constatant la qualité toujours aussi vive de cette publication.

    1. Et vous, toujours aussi vivante.
      Figurez-vous que je viens de terminer à l’instant un texte amusant.
      Il arrive bientôt, hiboux en renfort, c’est vous dire si la vie monte toujours malgré l’état encore un peu vacillant 🙂
      Ce sera « Mourir gâteau ».
      Merci Sylvie.

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