U ballonu. Le ballon.

En écrivant le texte « Le ballon de Julien » à l’adresse des villageois, évoquant un moment souriant de notre jeunesse, j’ai réalisé l’importance du ballon durant notre enfance.

Nous rêvions tous de figurer un jour dans l’équipe de foot lévianaise, nous avions nos idoles locales, nos ambitions se résumaient à la notoriété au village.
Sans aucune conscience de la chose, nous nous préparions dans le secret de nos quartiers à mériter d’abord « A Piazzona », la place de l’église et le plus haut degré, Ciniccia le stade de Lévie.

Mon plus grand souvenir restera ce jour de match contre Aullène. J’étais plutôt gringalet et le capitaine Alex Fittipaldi m’avait désigné pour tirer un pénalty. J’étais dans mes petits souliers, m’avançant à reculons, il dû user de son autorité naturelle pour m’imposer tireur. Je vous avoue que je ne savais pas où j’étais, je ne voyais pas les poteaux, une grande partie des supporters lévianais s’étaient massés derrière les buts. Je me suis avancé presque flageolant et je ne sais comment, j’ai pris le gardien à contre-pied. Laurent Gallucci pénétra sur le terrain, me hissa sur ses épaules et fit le tour du terrain. C’est lui, le soir chez Vescu, au bar du Progrès qui me raconta comment j’ai tiré ce pénalty.
Voyez donc à quel point figurer dans cette équipe était important, jusqu’à en perdre ses moyens.

Parvenus à ce palier ultime, nous avions l’impression de conduire une mission de la plus haute importance, défendre nos couleurs et figurer honorablement dans les tournois de L’Alta Rocca.

Revenons à notre ballon.

Chacun, dans son quartier, faisait ses gammes pour s’élever un jour au grade footballeur capable de figurer dans le onze local qui cherchait sa place en Alta Rocca.

Curieusement, du moins en ce qui me concerne, j’ai commencé avec une balle en caoutchouc de la grosseur d’un pamplemousse. C’était parfait pour apprendre à tricoter avec ses jambes, jongler et dribler. Sa capacité à bondir facilement influait sur notre vivacité à la tourner en bourrique. Vous imaginez aisément qu’avec un tel traitement, sans ménagement, fortement claquée contre un mur, notre balle de fortune destinée à l’usage plus calme de nos sœurs, cousines ou voisines, ne résistait pas longtemps, finissant par rendre l’âme assez rapidement. Nous la maltraitions encore un peu, il fallait bien continuer à jouer, jusqu’à ce qu’elle se déchire totalement, en deux morceaux le plus souvent.

Nous ne trouvions pas sur le champ une balle de remplacement et comme nous étions bien mordus, il nous fallait de quoi dégourdir nos jambes. Déjà mécanisés à la feinte, cela nous démangeait, de sorte que la moindre boîte de sardine qui trainait, plus souvent une boîte de lait Gloria sucré, prenait le relais sur la Piazza di Coddu devenue annexe du stade de Ciniccia.

Certains jouaient pieds nus, le fer blanc n’était pas très recommandé, alors nous confectionnions des boules de tissus divers, bien serrés et cousus de manière sommaire. Cela nous assurait au moins une partie.

Un temps, bien avant la place de l’église, nous faisions nos classes sur le stade de Jean-Jean situé en contrebas de la boulangerie Marenghi, au milieu des châtaigniers. Là, nous étions tranquilles sauf lorsque le ballon atterrissait dans le jardin situé plus bas que le terrain de foot. Si le propriétaire était présent sur les lieux, il fallait faire plus vite que lui pour récupérer la balle, s’il arrivait avant nous, il la crevait avec une dague vissée dans sa canne.

En grandissant nous avancions en grade en visant la Piazzona le plus souvent. Sur la grande place de l’église située au cœur du village, nous rencontrions les enfants des autres quartiers et nos équipes constituées par affinités franchissaient une étape nouvelle.

Depuis sa terrasse du cabinet dentaire, François Grimaldi, nous guidait.
Juché sur son promontoire, il dominait le jeu et relevait toutes nos manies, nos mauvaises habitudes. Avec des gestes et des conseils claironnés afin que chacun entende bien, il se faisait entraîneur le temps qu’une anesthésie fasse son effet. A la fin de ses consultations, il ne résistait pas à l’appel de la balle venant se mêler à nous pour participer au match.

Les parties avaient une durée variable. Il n’y avait pas d’arbitre, personne n’avait de montre. Soit nous fixions un score à atteindre, soit nous jouions jusqu’à l’épuisement ou la tombée de la nuit. Il est arrivé que quelqu’un porte un réveil mais nous eûmes la préférence de nos habitudes qui prolongeaient le temps de jeu.
On apprenait à se connaître et déjà des idées d’équipe germaient dans nos esprits.

Je me souviens d’une année, nous avions trouvé, je ne sais où, un ballon de basket. Plus volumineux et plus lourd que celui de foot. Il avait été réparé de manière sommaire, recousu de sorte que la couture formait une longue barre apparente à l’extérieur.
D’abord très contents de cette trouvaille, nous n’avons pas tardé à déchanter.
Très vite, nous évitions les coups de tête « chi suntunaiani u ciarbeddu » – qui ébranlaient le cerveau – nous étourdissant pour un petit moment et si d’aventure nous avions frappé sur la couture, une belle marque restait gravée sur le front. Une estampille, ou plusieurs lorsque un joueur persistait à jouer de la tête, restait visible durant quelques jours.

C’était le sceau di u ballonu maio. (Du grand ballon)

Le ballon de basket n’a pas fait long parcours, pourtant, je m’en souviens encore.
C’est à ce moment que j’ai pris l’habitude de toujours baisser la tête au dernier moment pour éviter de secouer les neurones, mes amis pensaient que c’était une feinte de dernière seconde. Je ménageais mon front et veillais sur ma cervelle, grand bien m’en fit…

Nous étions prêts pour la grande aventure, l’étape ultime se profilait, figurer dans l’équipe lévianaise, fouler enfin l’herbe de Ciniccia, notre Parc des Princes.

La place de l’église (A Piazzona)
On devine la terrasse du dentiste, juste sous la lumière qui flanque l’arbre à droite.
De là, il dominait le jeu.

4 Comments

  1. Si bien évoqué qu’on vous imagine très bien, tous, sur cette belle place, en train de taper dans le ballon ou dans autre chose 🙂
    Votre histoire m’en rappelle une autre et là, la justice a été rétablie. Je me promenais un jour avec mon labrador qui était fou de balles et de ballons. Une amie lui avait offert un magnifique ballon tout neuf, ce qui était ridicule mais passons, il était content mais avait bien du mal à le trimballer du fait que gonflé à bloc, il ne pouvait y accrocher ses crocs. Nous étions dans un endroit vallonné, sur un petit sentier tandis que nous entendions des enfants jouer sur une plate-forme au-dessus. Mon chien qui adorait les enfants, les a rejoints, je les ai entendu jouer avec lui puis il est revenu, exhibant tout fier le vieux ballon tout pourri et crevé des gamins dans sa gueule. L’échange avait été fait d’un commun accord et tout le monde était content 🙂

  2. Les joutes foot doivent être aussi passées dans les gênes … Chaque année les jeunes du village de Moïta, pour leur heureux mois d’août au village où tous se retrouvent, revivent les scènes si bien décrites, avec peu de moyens en plus, avec une énergie zélée, une envie de marquer « l’histoire » tout aussi vive. Les ados des autres villages font régulièrement des descentes à fond de pédales sur leurs vélos et des parties s’organisent ; belle occasion aussi de traîner ensemble ensuite jusqu’à tôt le matin. C’est ainsi que passe après passe, action mémorable après coup malignotu, soirée après soirée, que nos jeunes ados deviennent des amis pour toujours et qu’ils initieront à leur tour, leurs petits qui rejoueront la partie dès lors qu’ils auront grandi. La chance d’avoir des racines, d’avoir un village … précieux !

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