Avec mon ami Antoine, nous formions une doublette parfaite pour servir la messe.
Nous avions la confiance du chanoine et nous étions largement mécanisés, sur notre trente et un, en aube blanche imprégnée de l’odeur de l’encens, crucifix sur la poitrine, pour l’office dominical.
Dans la semaine, nous étions de toutes les messes matinales avant de filer à l’école située à un peu plus d’une centaine de mètres de l’église. Le curé calculait ses horaires afin que nous eussions une marge suffisante pour arriver à l’heure.
C’est souvent in extrémis, après un dernier « amen », que nous franchissions la grille du groupe scolaire alors que nos camarades pénétraient dans la salle de classe.
Nous aurions assuré l’essentiel des canoniales, matines, nones, vêpres et complies, s’il l’eut fallu !
Nous enchaînions les séries de messes matinales – Il y avait peu de candidats pour cet exercice – de quarante jours d’affilée pour gagner au bout de l’aventure, un crucifix en ivoire. Il était de bonne facture mais en plastique qui imitait parfaitement le « métal » de défense d’éléphant. La série nous semblait interminable, et la moindre absence d’un jour annulait le parcours déjà couru, le compteur était remis à zéro. Très peu d’enfants de cœur parvenaient à tenir la distance. Nous, nous étions bien affûtés en matière religieuse, moins à l’aise dans le parcours scolaire durant cette période. Nous étions plus enclins à faire la génuflexion qu’à passer au tableau, plus habiles avec le bénitier qu’avec un bâton de craie, plus sûrs à réciter un « Notre Père » ou un « Je vous salue Marie » qu’à dire une poésie. Précisons, à notre décharge, que les récitations changeaient souvent alors que les prières restaient immuables, apprises une bonne fois pour toutes et définitivement mémorisées.
Devant l’autel, nous étions de parfaits majordomes minuscules, bien organisés entre officiant et fidèles.
Le lutrin (support incliné pour recevoir un livre) changeait d’emplacement durant l’office, nous savions à quel moment intervenir pour le déplacer, à tour de rôle. Le carillon et le claquoir attendaient leur utilisation, à portée de main sur la dernière marche qui mène à l’autel. Sur la droite, un peu à l’écart, posées sur une étagère, les burettes patientaient sur un plateau. L’eau servait à rincer les doigts du prêtre, le vin censé représenter le sang de Dieu était versé dans le calice. Le tabernacle toujours fermé à clé abritait le ciboire rempli d’hosties dont la plus grande prenait place dans l’œil de l’ostensoir pour présenter le corps du christ à l’ensemble des fidèles.
L’hostie, n’avait aucun secret pour nous.
Dans la sacristie, le curé détachait les plus petites destinées à la communion des croyants et nous donnait les chutes. Les pastilles blanches étaient prédécoupées à l’emporte-pièce sur des plaques rectangulaires.
J’ai gardé le souvenir de ces rondelles légères qui restaient collées à la voute palatale comme pour évoquer la voute des cieux. Il n’était pas facile de décoller la pastille ramollie ainsi plaquée au plafond. Nous nous ingénions longuement à la déloger avec la langue pour la retourner afin qu’elle fonde plus rapidement car nous n’osions pas mordre et réduire en miettes le corps du déjà crucifié. Parfois, faut bien l’avouer, il fallait y mettre les doigts ! Cela nous occupait un bon bout de temps car à l’époque les hosties était de facture solide, pour bien marquer les esprits de cette présence divine, sans effet sur les papilles.
Le vin de messe m’intriguait. Je me demandais s’il était meilleur que celui de Maria Barbara qui tenait un bar au quartier Insorito et le vendait au détail à nos parents et grands-parents. Je pensais qu’il était de qualité supérieure mais je n’avais pas de point de comparaison pour le savoir. Pour cette raison, j’étais tenté de le goûter un jour.
Je stationnais chaque fin de semaine devant confessionnal et cela m’empêchait de passer à l’acte car je vidais totalement le sac des péchés et je n’avais pas envie d’endosser celui de buveur de vin de messe, sans doute gravissime aux yeux d’un confesseur.
Je redoutais la sentence, la note risquait d’être lourde, à la hauteur d’un chemin de croix. Il m’arrivait d’inventer des peccadilles lorsque je m’estimais être blanc comme neige, il fallait bien donner du grain à moudre au curé.
Ces jours de mensonges, de péchés truqués, agenouillé devant la sainte recommandée par le prêtre pour faire pénitence, produisaient un autre effet.
Je commençais à douter de la confesse.
C’est à force de relativiser ce passage au confessionnal, que j’eus le courage un jour, de boire un peu de sang du christ au moment où nous remplissions les burettes bien avant la messe. Ce ne fut pas un instant d’extase, plutôt de grimace, de moue provoquée par l’acidité trop prononcée pour mon goût davantage exercé au saccharose.
Que Dieu me pardonne, faute même tardivement avouée doit être pardonnée. J’imagine qu’il était déjà au courant.
Le sang divin perdit un peu de son mystère, je me demandais s’il ne venait pas tout droit d’un tonneau de Maria Barbara ou de la production locale d’un particulier, tournant vite au vinaigre.
C’est à partir de ce jour que commença à décliner doucement mon penchant pour l’aube blanche et le drelin-drelin, drelin-drelindrin du carillon…
Mais je l’avoue, si je ne pratique plus aujourd’hui, j’ai gardé un penchant pour le christianisme patrimonial, c’est mon histoire et celle de mon village.
Malgré mon inclination (disposition) à l’humour en rédigeant ce récit, le volet de mon enfance, fondateur de mes valeurs, restera gravé à jamais au fond de mon être.
J’ai beaucoup de respect pour les gens qui tiennent encore debout les fondations de notre civilisation.
Que cette église est belle dans sa simplicité !
Un grand moment les hosties qui collent au palais……. le jour ou, la bouche trop sèche, je m’en suis allée la décoller avec les doigts, j’ai pensé que l’enfer me guettait après ce sacrilège !
Mais si le vin de messe était délicieux tous nos prêtres finiraient pochtrons, que Dieu ma pardonne 😀
Vous m’avez fait rire Gibu !
Voilà pourquoi, je donne cette touche d’humour, souvent, à mes écrits
Il nous aura, certes, mais morts de rires 😉
Le vin de messe dit-on est le seul qui soit pur et bio puisque rien ne doit être ajouté à sa composition naturelle, j’imagine que s’il avait été bon, vous seriez devenu curé comme le souhaitait votre tante Marie 😉 Non en fait je n’imagine pas cela une seconde!
Belle histoire qui ne manque pas de piquant 🙂
Une fois de plus, je me suis bien amusé en cours de rédaction.
Bonne suite Al. 🙂
Quel bon parfum d’antan ! Nostalgie de garnements qui ne tiennent pas en place et se transforment en petits anges sages et fiers, entiers à leur devoir sacré.
Garnements bouillonnant d’intelligence aussi, capables d’observer, de mettre en doute et de s’affranchir de la grande menace du pêcher du vin de messe. Pureté aussi, non naïveté, de ne vouloir « réduire en miette, Son corps déjà crucifié » !
Comme toujours, la forme sied à cette ambiance de mystère et le film se déroule ; on y est ! de « la voûte palatale » à la « voûte des cieux ».
Les photos de l’église sont à propos : déluge et apocalypse, elle, toujours bien bâtie, solide et dressée.
J’apprécie beaucoup le religieux patrimonial qui a été préservé en Corse ; je voulais aller aux chemins de croix organisés à Lévie, partagerais volontiers les honneurs faits chaque année à Saint Antoine ou autres Saints dans tel ou tel village, le Catenucciu (j’espère bien orthographié) raisonne sacré en mon coeur comme un Salve Regina chanté à cappela dans l’enceinte de la maison de Dieu.
La sensation forte de beauté qui me traverse à chaque fois est dans l’homme transfiguré dans l’union le temps du rituel séculaire, avec son énergie concentrée vers l’Insondable, l’Inconnaissable, là où il ne peut plus se prendre pour le Maître.
Merci pour ce beau voyage dans le temps.
C’est plaisir de constater à quel point vous pénétrez ces écrits, c’est exactement ce qui m’anime lorsque je claque chaque mot, je m’y vois encore, j’y suis et y prends toujours tout le jus…
Vous devriez lire « Perdono mio Dio » qui décrit dans le détail et l’émotion la procession du vendredi saint à Lévie.
Je vous remercie Sylvie, c’est vraiment agréable de vous voir arriver avec un beau panier de fleurs 🙂
bien beau passage qui m’a amusé je dois le dire 😉
Objectif atteint, si vous vous êtes amusée 😉
Bonne soirée Gyslaine.