Au moment où j’écrivais ces lignes, elles étaient petites et ne me connaissaient pas encore. J’ai retrouvé ce texte tout chiffonné dans ce nouveau blog. Il y a des centaines d’écrits comme celui-ci qui sont passés d’un abri à l’autre en mauvais état. Sans doute les mystères de l’informatique que je ne maîtrise pas, j’ignore par quel mauvais précédé cela est arrivé.
Je ne souhaitais pas que la pensée d’un aïeul s’affiche en si vilaine posture. Elle vieillira d’une autre manière. Voilà la raison de cette reprise.
Photos : En titre, Margault, ci-dessous, Fancon. Deux portraits brossés par leur grande tante Michèle à partir de deux photos prises par mes soins. (Aquarelle et pastel)
Margault et Fanchon vous êtes si jeunes et construisez votre vie loin d’ici.
Je suis votre grand-père, votre missiau comme on dit chez nous. Je vous imagine dans quelques années lorsque vous pourrez lire ces lignes qui vous sont adressées. Des grandes et jolies filles du monde.
Vous nous avez vus une fois. On vous dit : minna et missiau sont en Corse, vous nous adressez vos mamours suggérés, par téléphone. Vous êtes innocentes encore, mais sachez qu’on pense à vous, très fort. Un jour, la vie s’offrira plus interrogative encore.
Je vais vous raconter une histoire. Ce matin, je suis descendu au jardin. J’ai préparé le terrain pour planter des légumes d’été, nous les cueillerons ensemble.
Je sais que Margault aime les concombres, Fanchon, je ne sais pas, elle est trop petite encore. Vous connaîtrez mon univers, très peu de temps, mais je vous ferai écouter le chant des grenouilles et je vous montrerai mon étoile qui clignote au-dessus de la barrière en direction du Piatonu.
Vous verrez plein de belles choses dans la nuit après les pizzas cuites au four à bois sous la Zinella que votre maman connaît très bien. Elle sait son histoire et vous la racontera un jour lorsque missiau sera dans les étoiles… Gardez précieusement ce souvenir en vous, ce sera votre lumière lorsque l’obscur et le doute vous interpelleront. Une vie se construit avec ses racines, je suis presque certain que vous retrouverez les vôtres, tout naturellement.
De bon matin, je bêchais. J’écoutais le chant des rainettes sans savoir d’où il venait. Depuis deux jours, elles rôdent autour du bassin, elles sentent l’eau toute proche. J’ai reconnu leur mélodie. Nous irons, la nuit tombée, assister à leur concert cet été lorsque vous serez là. Le bassin n’est pas plein, je les cherchais dans l’eau mais ne les voyais pas. Peut-être étaient-elles dans les parages, tout près, en approche seulement, en attendant que la vasque se remplisse…
Hier soir vers minuit, j’ai fait un tour dans le potager. Le ciel était mobile. Les nuages couraient devant la lune, la brise était légère pourtant. Je me suis assis sur les marches qui conduisent au poulailler, vide désormais, et j’attendais.
J’attendais, je ne sais quoi, un signe sans doute, le passage du hibou ou de la chouette… rien dans les airs. Le hérisson était en vadrouille. Je l’entendais rire sous la haie qui sépare les deux jardins. Il n’était pas seul, Ariel, la tortue de votre grande sœur Leia, l’accompagnait. Je ne comprenais pas tout ce qu’ils se racontaient mais cela devait être drôle et joyeux puisque la bonne humeur régnait. Ils murmuraient et riaient dans la nuit étoilée par endroits.
Tout était calme, les sangliers ont dû patrouiller ailleurs.
Juste devant moi, à deux mètres à peine, j’ai entendu un frémissement. Je n’ai pas bougé, retenant ma respiration sans oser tourner la tête. Il est passé presque sous mon nez sans sursauter et sans fuir.
« Même pas peur ! » m-a-t-il adressé en me désignant de son museau pointu.
C’était un campagnol presque somnambule en titubant et furetant mécaniquement dans les herbes fraîches qui profitent d’un début de printemps. Il s’est arrêté tout près, faisant mine de m’ignorer totalement. Il s’est trémoussé sur place avant d’agiter frénétiquement ses moustaches comme s’il se moquait de missiau, puis il a levé son petit museau au ciel pour humer l’air frais. Ses vibrisses sensibles avaient détecté un lombric imprudent qui refaisait surface après un long séjour sous terre.
Le pauvre, il n’a pas eu le temps de s’enfouir dans le sol, le rat des champs l’a aspiré comme un spaghetto, l’agrippant avec ses petites dents de rongeur, se faisant accessoirement insectivore. Sans doute content de sa prise, frrrrt, il a bondi dans un fourré !
Vous voyez, la vie est simple par ici. L’endroit est calme et missiau qui n’a pas peur de la nuit, s’amuse comme un enfant.
Peut-être un jour, perdues dans une ville, loin de ma campagne natale, aurez-vous une petite pensée souvenir, vous savez, une de ces pensées qui surgit sans crier gare, un petit moment de répit, un élan vers cet Aratasca qui fut le paradis de votre grand-père. Un souffle venu de nulle part vous assaille pour vous ressourcer. Une bouffée d’air frais, un retour à l’essentiel, un sourire sans doute, une image vous frappera au cœur et vous donnera une bonne raison d’aimer la vie.
Vous souvenir, même de si peu, sera d’une grande force, d’une intensité qui prend aux tripes, une émotion qui toque et puis s’en va…
Un jour, vous comprendrez.
1. Marie louise bois
22 Mar 2017 à 6 h 24 min Modifier
Les larmes sont montées très vite en te lisant Simon je te félicite, j’ai fait un retour dans mon enfance et l’émotion était très forte
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2. BATTESTI
23 Mar 2017 à 19 h 06 min Modifier
Très belle histoire Simon. Etant moi aussi mina je peux, en lisant ton texte, ressentir toutes ces émotions que tu sais si bien transmettre.
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3. Dominique et Manette Tibéri
30 Mar 2017 à 17 h 29 min Modifier
Mon épouse Manette me fait prendre connaissance des différents textes qui me touchent, et comme pour beaucoup de corses nous ramènent a notre enfance et à la vie de nos villages dans un temps passé, qui ne reviendra plus…étant aussi grand père je me retrouve dans une situation identique avec mes 3 petits enfants. Félicitations, qui vont aussi à la tante pour les portraits …aquarelles ou pastels ???
Je ne vais pas être originale, les larmes montent aux yeux n vous lisant…
Je connaissais les portraits plein de délicatesse.
Un dialogue au vent et qui grandira avec le temps.
Un aïeul dit pour une cueillette dans l’avenir 🙂
Bonne soirée Al, le temps est couvert depuis ce matin…
Bonsoir Simonu,
Quel talent : vos aquarelles sont magnifiques.
Merci de nous faire pénétrer dans l’intimité familiale corse.
Belle soirée.
Cat
Bonsoir Cat,
Je suis l’auteur du texte mais pas des peintures.
C’est expliqué en début de récit.
Merci d’être venu(e) jusque là, prendre le frais.
Ce soir, l’atmosphère est brumeuse, un temps qui d’ordinaire m’inspire 🙂
Bonne soirée.
Bonsoir Simonu,
Pardon pour cette erreur.
Cela fait très longtemps que je n’ai consulté les articles de mon « reader » et je suis allée trop vite, a priori. 😉
Merci pour votre réponse.
Belle soirée dans votre beau département.
Cat
Je me suis douté d’une inattention 🙂
Je peignais aussi, pas aussi bien, j’ai quitté les pinceaux, il y plus de vingt cinq ans…
Bonne soirée Cat.
Bonjour Simonu,
Puisque, comme moi, vous aimez autant les mots que les photos, peut-être aimerez-vous le dernier poème que j’ai écrit pour mon 5ème anniversaire de blog :
https://lopticoindescurieuxdecuriouscat.wordpress.com/2021/02/04/du-nadir-au-zephir-hemera-leternelle/ (like, évaluation, commentaire…).
Belle journée.
Catherine
Bonjour Cat,
Je suis passé vous voir, les images y sont belles et l’écriture flamboyante.
Votre page, et sans doute les autres, est à mon modeste espace ce que Versailles est à un petit musée de campagne. L’endroit doit fourmiller de visiteurs.
Vous êtes dans la lumière… 🙂
Bonne journée, bien brumeuse chez nous.
Toujours un réel plaisir de vous lire, cela me rappelle mes années à la campagne 🙂
Quel plaisir, pour moi aussi, de savoir que c’est partagé.
Bonne nuit Gyslaine. Merci 🙂
De rien bonne journée 🙂
J’aime beaucoup texte et « photos ».
Merci de nous donner à lire des moments aussi sensibles.
Je viens de terminer un autre récit qui relate un moment inoubliable de ma vie, à plusieurs titres.
Un temps lointain qui fréquente volontiers le présent.
Merci Chat et bon voyage dans la nuit 🙂
C’est bien. Peintures et texte.
En témoignage de ce que tes invitations à se remémorer ne sont pas vaines, bien au contraire, un souvenir d’un vieil enfant :
» Mon grand-père s’appelait Henri. Son Aratasca en Seine et Marne accueillait fréquemment la famille étendue alors sur trois générations. On y faisait la vaisselle sur la grande table de la cuisine avec l’eau pompée au puits dans une cuvette émaillée. Puis la première dument nettoyée servait à la toilette du soir des enfants, sur la même table. Pour eux dans la journée il y avait, les fraises et groseilles d’un vaste potager, les fruits souvent véreux d’un verger, le raisin de la treille et ses guêpes, une remise-caverne d’Ali Baba à l’ombre d’un grand noisetier. Celui ci était si productif que le soir venu les loirs, débordaient en cavalant sur les toits au temps précisément des noisettes. Henri m’y emmena les observer. Nous nous tenions assis sur un banc, silencieux et complices dans l’obscurité.
Je crois n’avoir pas souvent omis de réitérer ce type de geste.
Semons Simon.
Merci Gaëtan, nous savons désormais où nous en sommes tous les deux.
Bonne fin de soirée.
Quelle chance ont ces petites filles, d’avoir un tel Missiau 💗
Merci pour ces bons moments d’émotion 🥰🌷🥰
🙂