Un éblouissement galactique.

Courir les torrents, traquer la macrostigma ou la fario n’est plus recommandable pour moi. Sauter de rocher en rocher, escalader les parois abruptes ou passer sous les ronciers n’est plus raisonnable. Ce temps est largement révolu mais cela reste un souvenir impérissable.

On m’avait vanté les rives du barrage. L’endroit est accessible, le parcours pépère, sans risque, et la carpe abondante, disait-on. C’était une première pour moi. Une pêche inédite, cool, très éloignée de celle plus sportive de la traque à la truite qui me procurait toujours des sensations fortes. Je ne dormais jamais la veille d’une sortie, je refaisais mille fois le trajet dans ma tête en imaginant les risques encourus, revisitant toutes les chausses trappes que je connaissais par cœur. Je repassais les coins dangereux à éviter à tout prix. La peur, je l’usais pendant la nuit. Je savais toutes les chutes possibles en me remémorant les fois où j’avais frisé la catastrophe. Impossible de dormir, je parcourais mille fois ce chemin tant redouté sans jamais trouver raison. Jusqu’à l’heure du départ, bien avant l’aurore, j’apprivoisais la frayeur. Jusqu’au dernier moment, je cherchais à me persuader de ne pas tenter une nouvelle fois l’aventure. J’espérais que le sommeil me gagne, me réveiller trop tard. La raison ne prenait jamais le pas sur le frisson. L’adrénaline gagnait inévitablement. J’étais levé au moment choisi pour le départ et dès que je posais le pied par terre, toutes mes peurs imaginées disparaissaient d’un seul coup. J’avais perdu ma nuit de sommeil, c’était ainsi à chaque fois.

En arrivant au bord du lac, rien n’était comme je le craignais. Pas la moindre embuche, pas le moindre risque. Tout était calme et plat. Seul, un courant d’air très frisquet courait sous les pins. Il faisait encore nuit noire. J’avais repéré un endroit caché entre les rochers, je savais que je bougerais très peu autour de cet endroit. Rien à voir avec un parcours au fil de l’eau vive. Je n’étais pas pressé, je pensais que j’étais arrivé trop tôt. C’était la première fois. Je me suis calé dans un creux encaissé et m’endormis en attendant le jour.

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Hostile.

Durant mon sommeil, je m’étais égaré dans les étoiles qui clignotaient dans un ciel dégagé. Comme souvent, je visitais les galaxies, faisais une halte sur une planète nouvelle pour converser avec des êtres inconnus. Mes rêves, toujours étranges, m’inventaient des profils à l’image de la vie sur terre. Des personnages inquiétants surgissaient pour m’intimer l’ordre de retourner chez moi. Je n’étais pas le bienvenu. D’autres créatures plus rassurantes m’invitaient à rester dans leur monde. Un vague et curieux dilemme m’envahissait : Qui avait raison, celui qui me poussait à déguerpir ou celui accueillant, plus hospitalier ? Une étrange sensation me poussait à filer ailleurs voir d’autres horizons. D’astre en astre, je courais l’univers en m’envolant, sans ailes et sans aéronef. L’inconscient et l’imaginaire sont d’excellents voyageurs. Ils connaissent tous les recoins cachés dans les circonvolutions cérébrales… Ils naviguent sur la matière grise qui grise les rêveurs.

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Explosion galactique.

Soudain, sorti de nulle part, un géant éclaira puissamment mon visage d’une lumière très vive et aveuglante. Je fus réveillé en sursaut sans comprendre ce qui m’arrivait. L’endroit était inondé d’une lueur éblouissante et très blanche, comparable à celle d’une fin de monde, la lumière apocalyptique d’une explosion nucléaire silencieuse.

Le soleil venait de se lever, pleins phares sur mon visage.

Très vite l’endroit devint plus accueillant, moins inquiétant. Je ne mis que quelques secondes à comprendre que je venais de faire ma nuit et ce sommeil fut un tantinet réparateur.

La pêche fut bonne mais sans intérêt particulier. De retour au village, je filai chez le berger, invité à diner chez lui. Nous avons grillé les carpes à la belle étoile, ce fut une catastrophe culinaire. Elles avaient le goût de la vase…

Plus jamais, je ne suis retourné tenter le cyprinidé friand de grains de maïs. Désormais, je fréquente l’endroit pour chasser les images.

J’ai gardé le souvenir d’un éblouissement galactique.

Déclinaisons sur des souches.

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7 Comments

  1. Entre rêve et réalité, toujours un enchantement de se balader en votre compagnie. J’aime beaucoup les traitements que vous avez faits, qui font penser à des toiles, la dernière étant ma préférée… »Le monde de silence »

    1. C’est mon mode de vie entre rêve et réalité.
      En sublimant le rien je vis dans la magie et transforme la vie.
      J’épicure de rappels fréquents 😉

  2. Tu dois avoir un temps liquéfié qui s’étale à l’infini pour faire tout ce que tu fais que tu donnes à voir ! Je me demande qui de nous 2 est le plus corse selon la légende ! 😉
    Bonne soirée ! Je suis en retard partout sur le blog pour les lectures !

    1. Là, c’était le récit d’un temps révolu.
      Je rêve beaucoup Dominique et j’ai pas mal baroudé, avec les souvenirs de mes mille et une vie, c’est une impression qui me poursuit, j’ai de quoi écrire plusieurs tomes…
      Je suis encore très actif et capable de faire plusieurs choses à la fois.
      Lorsque j’écris, par exemple, je suis les infos avec un casque, cela ne me perturbe pas le moins du monde.
      En ce moment j’écris et je suis un film.
      On m’appelle l’extraterrestre, c’est dire !
      Aujourd’hui, je racontais de quoi surprendre encore un ami qui n’a pas fini d’en apprendre 🙂
      J’approche sans doute du déclin, mais je ne me laisserai pas faire, je résiste sans faire de résistance, une seconde nature…
      S’il y a un secret, ça doit être que je m’amuse, j’ai oublié de grandir, pardon, de vieillir.
      Je dois être une légende ! 😉
      Je vous souhaite une bonne fin de soirée 🙂

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