La grande aventure.

Au-delà des montagnes…

Texte ancien republié.

Il m’arrive de faire de grands voyages dans l’inconnu.
J’ai décrit les rues de Lulea au nord-est de la Suède alors que je n’y ai jamais mis les pieds ; j’ai décrit des recoins encore inexplorés, égaré dans l’espace, en visite dans les galaxies.
C’est une aubaine d’avoir l’esprit fécond capable de fouiner là où l’on ne va jamais.
Avec mon arrosage intensif de photos placées sur ma page FB, les gens m’imaginent en grand globe-trotteur, très trotteur même et infatigable. Je fais juste le tour de ma maison ou de mon jardin qui n’est pas très vaste non plus. D’un rien, j’en fait une planète.

Mes plus grands voyages, je les faisais lorsque j’allais à la pêche dans des endroits escarpés ou totalement envahis par le maquis. J’avais l’impression d’escalader le Kilimandjaro en pleine canicule ou de parcourir la forêt amazonienne en progressant à plat ventre sous les bruyères et les arbousiers. Parfois, je rampais dans des passages de sangliers, totalement prisonnier dans le petit tunnel qu’ils avaient ouvert, au risque de me retrouver nez à nez avec un vieux solitaire peu fréquentable. Il m’arrivait de progresser péniblement, appuyé sur les avant-bras comme un vieux baroudeur cherchant un dégagement dans la brousse. La musette harponnée par les ronciers ralentissait ma progression. J’avançais mètre par mètre pendant un temps interminable, persuadé d’être loin de tout alors que j’étais à une vingtaine de mètres de la route. La sensation forêt vierge me gagnait, la fatigue d’une fin de parcours me faisait perdre la boussole et tout sens raisonnable.
C’était l’aventure à chaque fois, dans des lieux pourtant à portée de Navaggia, le quartier de mon enfance.

C’est en regardant l’image postée en titre, un coin de Gualdaricciu (Varadicciu) que je me suis souvenu d’un moment délicieux parce que totalement inattendu.
Nous étions passés par là.

J’étais adolescent, à peine jeune lycéen.
Mon cousin Dominique originaire du village précité était venu me chercher à Levie avec des amis. Dumènicu était très prévenant à mon égard. Au lycée, il veillait sur moi et me vouait, outre notre parenté, une amitié profonde. Je n’ai jamais oublié son attitude bienveillante à mon égard et lui renvoyais les mêmes sentiments.
Il savait que j’aimais pêcher la truite. Ils étaient toute une bande de copains, je ne connaissais personne, une bande d’aventuriers qui pratiquait la traque à la ligne de fond.
Nous partîmes en début d’après-midi pour un long périple qui me semblait interminable. Sur le chemin timidement tracé, nous progressions à la queue leu leu, en silence, la tête basse pour emboiter le pas de celui qui nous précédait.
Nous arrivâmes au bord d’une rivière timide, vaguement endormie, juste avant la tombée de la nuit. Après un si long parcours nous étions à des lunes de toute civilisation, rares étaient les gens qui venaient jusque-là tenter leur chance, malgré la promesse d’une bonne pêche.

Les copains d’abord étaient très organisés comme un commando de marines, bien équipés et probablement aguerris, rompus à ce genre d’exercice. J’étais époustouflé de constater une telle organisation. Des automatismes, aucun commandement, aucune recommandation, l’esprit d’équipe parfaitement installé.

Sans perdre de temps, certains se sont dirigés vers l’amont, d’autres vers l’aval pour poser leurs lignes arrimées aux racines des aulnes qui bordaient la rivière. La nuit s’était installée lorsque tout ce monde se retrouva autour d’un repas froid vite avalé. Nous nous allongeâmes côte à côte, bien serrés comme pour nous protéger les uns les autres, certains s’endormirent très vite.
C’était ma première grande aventure, je gardais les yeux rivés vers le ciel, les étoiles scintillaient, quelques-unes décrochaient et filaient, zébrant le firmament. J’entendais le glougloutement léger de l’onde ralentie par la chaleur estivale. Parfois le rythme changeait une note, un gloup-gloup trahissait la présence d’un intrus qui contrariait le tempo, jusque-là sans dièse ni bémol, de la fuite de l’eau. J’imaginais une vieille truite en maraude ou une anguille qui traversait le ruisseau se propulsant d’un battement de queue plus soutenu. Peut-être avait-elle repéré un lombric tombé de la rive ?
Un léger vent doux, timidement chaud, faisait frissonner le feuillage au-dessus de nos têtes. Dans ce silence de contrée reculée, on aurait dit des âmes qui passaient en se frottant aux limbes des feuilles pour communiquer leur présence furtive. Des mouvements non identifiés, l’air en murmure, tout en douceur, éveillaient mon imagination.
J’avais oublié qu’à mes côtés tout le monde courtisait Morphée depuis un bon moment. Certains évacuaient un ronflement de courte durée comme les paroles d’un dormeur au plus profond de son sommeil, qui converse dans ses rêves. Au loin, un cri vif, un hululement bref, une chouette en rogne ou en forte réprimande se manifestait. Juste un cri qui déchire le silence. Tout le monde dormait profondément, j’étais en vadrouille imaginaire, je me suis assoupi en plein enchantement.

Le bouleau devient fantôme.

Je fus réveillé par une brise frisquette, le petit matin pointait, la brigade était déjà aux affaires. Après un café tout chaud sorti des thermos, chacun partit à la récolte des lignes. Les musettes étaient remplies de truites et d’anguilles, nous reprîmes le chemin en silence, à la re-queue leu-leu.

Ce fut pour moi, une journée magique, un jour mémorable… Je le revis encore pleinement aujourd’hui. Voyages, voyages, il me suffit d’ouvrir les voies de mon imaginaire et me voilà parti dans les galaxies ou autour d’un monde que j’invente à ma guise.
Passant tout près des étoiles, je salue mon cousin parti trop tôt à travers ciel…

Il est beau mon monde, je n’y ai jamais connu l’hostilité.