Ni bure, ni soutane.

Le texte qui va suivre a déjà été évoqué plus ou moins dans des passages précédents. Dans une de ses réactions, Palme disait « Je ne savais pas que tu as failli porter la soutane ». Cela fait plus de trente-cinq ans que nous ne nous sommes vus. Nous étions dans la même classe jusqu’à la troisième, je crois. J’ai pris sa surprise au vol, ce sera l’occasion de rassembler tous les éléments qui gravitent autour de cette histoire.

Ma tante, avec qui je vivais, était une dévote. Connue sous le pseudo de Maria vint’un annu, un surnom venant de son père qui était petit de taille et dont on doutait de son âge, alors il affirmait qu’il avait vingt et un an au moment du service militaire. Des histoires de ce genre, il y en avait des tonnes à l’époque, aucune famille n’échappait à un sobriquet. Elle s’affairait beaucoup autour de la sacristie et de l’autel. Elle allumait les grands cierges, inaccessibles à bras,  avec une mèche au bout d’une canne puis à la fin de l’office, les  éteignait avec l’étouffoir en forme de chapeau chinois. Elle veillait sur l’encensoir, remplissait les burettes, essuyait le calice, remettait le claquoir à sa place… rangeait l’autel. Elle n’avait pas accès au tabernacle qui abritait le ciboire rempli d’hosties, heureusement car elle se serait gavée des pastilles blanches dont elle raffolait.  Le corps de Dieu était le meilleur médicament de tous ses maux. En dehors des communions, elle se contentait des chutes d’hostie qui traînaient dans la sacristie, et qui pour elle, avaient même valeur, même effet que l’original. Elle était une inconditionnelle de la confession. Je me demandais de quels péchés elle pouvait bien se débarrasser. Je la soupçonnais plutôt de vouloir accéder plus souvent à la communion pour plaquer contre le palais une hostie fondante.

Sa spécialité était le glas. Elle avait succédé à ses parents dont on m’a toujours vanté la virtuosité cordes en mains. Parait-il, mes grands-parents savaient distiller les sons des différentes cloches : la volée, la haute volée, le glas et faire tinter le bourdon mieux que quiconque. Lorsque la modernité s’est invitée dans le clocher, elle a semblé déboussolée, triste de la « suppression » des cordes. Elles étaient restées en place mais ne servaient qu’en dépannage lorsque le clavier installé dans la sacristie tombait en panne. Il lui a fallu un certain temps pour qu’elle retrouve le tempo et le sourire du même coup. C’était elle qui annonçait urbi et presque orbi chaque décès survenu dans le village.

Sur la cheminée, elle avait une veilleuse à huile dont le luminion était vif en permanence. Dans la chambre trônaient  portraits de la Sainte Vierge, crucifix, herbe de l’Ascension, croix et palme de Pâques. Dans sa poche, un chapelet qu’elle sortait à tout moment de la journée dès lors qu’elle était désœuvrée. La nuit, elle s’endormait très tard après d’innombrables prières adressées à Dieu pour qu’il protège sa famille et lui fasse, enfin, trouver le sommeil. Elle était très matinale aussi.

Comment voulez-vous dans une telle atmosphère passer à côté du Tout Puissant et de ses saints ?

A force de fréquenter l’église avec elle, je ne ratais aucune messe. J’étais un enfant de cœur chevronné capable de placer un « corpu dominus » ou « Jesu Cristu » au bon moment. J’avais intégré une bonne partie de l’office et pour lui faire plaisir, je redisais la messe à la maison. Elle était aux anges et m’avait installé un autel sur la cheminée. Qu’est-ce qu’elle était fière de moi !

Elle m’avait promis une robe de bure pour me voir habillé en moine. On ne brûle pas les étapes, on ne devient pas curé comme ça… on verrait plus tard.

Je baignais dans la foi ambiante, un petit couvent à la maison aurait fait bonne figure. Quant à savoir s’il fallait appartenir à l’Ordre de Saint Bruno pour être Chartreux, bénédictin fidèle à Saint Benoît ou franciscain de l’Ordre des Pauvres l’importait peu… La foi, une bure et de l’hostie à domicile de quoi satisfaire ses vieux jours…

A cette période, je devais tourner autour des dix ans, j’étais plus branché église qu’école. Je ne savais pas encore lire disons que j’ânonnais plus que je ne lisais. Répéter les prières et les cantiques était plus abordable pour moi. En revanche, je crois que j’avais déjà ce regard aiguisé qui m’a beaucoup servi par la suite. La mémoire, aussi, elle est encore fraîche et cela m’amuse beaucoup.

Quand j’évoque cette période, je m’y vois comme si c’était hier : j’ai encore dix ans. J’évite de trop me regarder dans la glace pour que cerveau et corps ne se trouvent en contradiction.

Je n’ai jamais vu la robe de bure. Les circonstances ont voulu que la commande s’avère difficile à réaliser et puis je me trouvais à une croisée des chemins. L’école commençait à m’intéresser, ma pensée se transformait. Je me questionnais sur des contradictions majeures dans les dires et les faits de certains pratiquants assidus.

Après la messe matinale, j’avais moins de dix minutes pour gagner l’école. Je partais en courant, l’appel de l’école se faisait plus fort pendant que je devenais coureur de fond.

A suivre : Le diable et le Bon Dieu.

Lorsque j’ai pris cette photo, j’ai cru voir une allégorie de ma vie : le clocher et le collège s’observent, la montagne Tasciana fait face à ma maison. (Cette dernière n’est pas visible)

 

 

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