Le diable et le Bon Dieu.

Suite à « Ni bure, ni soutane »

C’était lors d’une procession de Saint Antoine. Je m’étais posté à côté du piédestal qui servait à transporter la statue afin d’être aux premières loges pour attraper une fleur de lys, à l’issue de la procession. Mes parents me faisaient le reproche de ne jamais porter de reliques alors que j’étais toujours fourré à l’église. C’est une claque magistrale sur la nuque portée par le prêtre qui était juste derrière moi – j’avais attrapé une fleur, j’ai dû lâcher prise et attendre qu’il n’y ait plus rien pour rentrer bredouille encore une fois – qui allait me remettre les idées en place. Saint-Antoine, en toute innocence, participait à ce déclic.

A partir de ce jour tout allait basculer. J’étais terriblement déçu : comment quelqu’un qui ne comprenait pas le fonctionnement de ses plus proches « collaborateurs » pouvait-il être représentant de Dieu ?

Inconsciemment, je devais en vouloir à ma tante car à partir de ce jour, j’ai tout fait pour tourner son « système » en dérision. Une sorte de complicité perverse naissait entre nous : moi, démontant tout ce qui touchait à la croyance, et elle jouant le jeu.

Elle m’écoutait, attendant que j’aie fini mon travail de dérision. Elle riait et me poursuivait, le plus souvent autour de la table avec sa canne, me menaçant et criant : « le diable ! Le diable dans ma maison ». Ce petit jeu a duré des années, jusqu’à l’âge adulte et jamais, il n’a vraiment altéré nos relations. J’étais son fils et elle ma seconde mère.

De nombreuses fois, je lui expliquais le phénomène, tout naturel, de l’herbe de l’Ascension qui continue à vivre accrochée au-dessus d’un lit. Cela se produit de la même manière dans la nature puisque cette plante biannuelle et vivace par ses feuilles, cueillie la deuxième année, se nourrit grâce aux réserves emmagasinées, la première année, dans son feuillage.  Les racines ne servent plus à rien en cette fin de cycle sinon à maintenir la plante fixée quelque part. Je la regardais traquer le « mauvais œil » avec son eau et son huile lâchée goutte à goutte dans une assiette posée sur une mèche de cheveux appartenant à « la victime » d’un mauvais sort. Elle y voyait des quantités de choses que l’imagination lui dictait. Je décriais ses incantations contre les brûlures légères ou les piqûres d’ortie qui disparaissent d’elles-mêmes au bout de vingt minutes…Je lui racontais mes faux péchés qui me valaient des prières, agenouillé, alors que je n’avais rien fait. La confession était quasiment obligatoire, le curé nous forçait à passer par le confessionnal, il fallait bien avoir des maux à lui raconter. Alors j’avais ma liste toute prête, raturant au fur et mesure pour ne pas raconter toujours les mêmes fautes.

Elle était bien trop ancrée dans sa croyance qu’on ne déracine pas en brandissant la logique. Elle tenait celle du A peut-être non A, Dieu fait ce qu’il veut, et moi rationnel, A ne pouvant être que A.

Bien plus tard, alors que j’avais quitté la Corse, j’ai continué notre amusement avec des histoires abracadabrantesques, toutes plus extravagantes les unes que les autres. Rien que pour nous. Je vais en raconter deux pour donner une idée de notre petit jeu à dormir debout par ma très grande faute avant tout. Je suis entièrement responsable de la situation : pourquoi ai-je troublé son onde ?

Elle habitait Ajaccio. Chaque fois que j’allais la voir, je lui racontais une blague inventée sur le champ. Il n’y avait aucune préparation, c’était devenu une sorte de réflexe, pour le reste, j’avais l’imagination florissante, même si on peut la trouver tordue ,en l’occurrence.

Un jour, je lui racontais que son église était devenue méconnaissable, qu’elle avait été transformée depuis son départ. Elle cherchait à en savoir plus, et là notre petit jeu du chat et de la souris, se mettait en branle. Je le devinais à son sourire qui pointait, elle en voulait plus. Alors, sur le champ, je lui disais que le curé avait cherché un moyen de renflouer les caisses de la paroisse et avait trouvé un truc inattendu. Il avait planté des petits crucifix dans le jardin, très vite, ils avaient poussé pour donner de superbes croix qui s’arrachaient à la vente dans le monde entier… C’est avec cet argent qu’il a pu restaurer son église. Vous imaginez la suite autour de la table.

Une autre fois, je rentrais du continent pour les vacances de Pâques. Je m’étais arrêté chez elle. Elle me demanda de lui téléphoner, si j’allais à la procession nocturne du Vendredi Saint pour qu’elle se fasse le signe de la croix. Ce jour-là, fut un jour incroyablement froid, venteux et grêleux. Je ne suis pas sorti de la maison. Au retour, j’allai la voir avant de prendre le bateau. Visiblement, elle n’était pas contente car je ne l’avais pas prévenue de la sortie du Christ… La suite me vint instantanément. « Ce soir-là, il faisait très froid, il grêlait… » Lui dis-je. « Oui, mais lorsqu’il est sorti de l’église, le mauvais temps s’est arrêté ! » répondit-elle. Je pris la balle au bond. « C’est vrai. Mais arrivé au premier reposoir de Carianonu, le vent s’est levé, la grêle a repris de plus belle. Il s’est assis sur la croix avec une gabardine sur le dos et un chapeau sur la tête pour effectuer tout le parcours sans rien dire. En arrivant à l’église, il jura que plus jamais, il ne mettrait les pieds à Lévie… » Puis, ce fut la rituelle cavalcade autour de la table, canne au clair.

Finalement, Tante Marie et moi, nous nous aimions au point de nous permettre cette relation qui peut choquer le lecteur. Je crois qu’elle ne m’en a jamais voulu, c’était notre complicité et nous avions besoin de cela pour nous titiller.

Lorsqu’elle tenait le cinéma du village, elle s’arrangeait toujours pour faire entrer gratuitement certaines personnes lorsque le patron devenait machiniste dans sa cabine de projection. Elle était aux billets à ce moment, personne n’était dupe et personne ne disait rien. Si son Dieu existe, je suis sûr qu’elle m’attend à l’entrée, qu’elle va se débrouiller pour me faire passer incognito ou alors, si Saint Pierre est juste à côté, elle va lui raconter des bobards traçant, de moi, un portrait élogieux. Si elle parvient à l’enfumer ou s’il n’est pas trop regardant ce jour-là, nous nous retrouverons pour d’autres histoires, des histoires nouvelles car celles de ma vie, elle les connait toutes…

Je vais finir par devenir croyant, si ça continue. Hélas, tata, je n’y arrive pas, ne prie plus pour moi… Dieu est assez grand pour se débrouiller tout seul et je me conformerai à ce qui suivra. Dans ce nouveau monde dont tu sais tout, désormais, ou qui n’existe pas.

 

 

 

 Ces photos ont été prises lors de la procession nocturne du Vendredi Saint, en 2012, au village. Je les ai stylisées pour donner un regard d’outre tombe. L’image rouge, plus haut dans le texte, montre un reposoir en attente de l’arrivée du Christ.

 

 

2 Comments

  1. Simon, j’ai trouvé ton texte plein d’humour et empreint d’une grande tendresse envers cette femme qui était une mère pour toi. Bien sur je me rappelle de Maria » vintunanu »meme si »mes souvenirs se voilent »comme dit la chanson. La religion était un moyen de communication et un jeu charmant entre vous deux, elle détenait la clé de cette foi à toute épreuve ,et toi pour lui faire plaisir, qu’elle soit fière de toi tu jouais le jeu du parfait apprentis en » bondieuseries « , de plus tu savais déjà, comme aujourd’hui tu sais le faire pour nous ,lui conter les évènements religieux auquel elle n’avait pu assister ,je suis sure que si elle te vois la ou elle est elle est fière de toi et te pardonne surement de l’avoir roulé quelques fois dans la farine…Alors merci…et que cette mémoire ne te quitte pas .

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