Inventaire.

Ce texte, peut-être rébarbatif et sans intérêt, est un retour sur une cinquantaine d’années. Un état des lieux de la rue principale de Lévie, en partant  de la Scopa jusqu’au pont de la Biancona. Il aurait pu s’intituler, aussi, que reste-t-il  de notre village ? Le temps d’aujourd’hui qui efface celui de naguère et de jadis. La fuite d’une époque qui disparaîtra définitivement avec la génération de mon âge. Un témoignage que l’on dira nostalgique parce qu’il parle d’un temps que les moins de trente ans ne peuvent pas connaître.

On l’appelle la traverse. C’est la rue principale du village de l’entrée côté Tallano à la sortie côté San Gavino et dont la Sorba est le quartier central. On n’imagine pas le nombre de commerces qui ont existé sur un peu plus d’un kilomètre presque linéaire.

Lorsque nous étions enfants, une simple promenade de la maison Poli jusqu’à la maison Ricci au pont de la Biancona, pouvait animer nos rêves…

Le trottoir de gauche était, de loin, le plus fourni. Le bar saisonnier de la maison Poli offrait sa piste de danse aux estivants, une saison de bals très courte mais très courue. Elle abritait également le salon de coiffure de Josette. Un peu plus bas, le garage de Camedu puis le magasin de Trajane qui faisait, elle-même, ses yaourts. Juste avant, il y eut une épicerie puis bien plus tard la laverie d’Alice. L’été, nous parcourions la mezzanine de Reine pour choisir le chapeau de paille ou la casquette dans son magasin que nous appelions les Galeries Lafayettes. Tout près, le bar de « Bébé », la boucherie Andréani et Madame Idda à deux mètres seulement. Elle était coiffeuse pour dames et marchande de bonbons. En face, un hotel/restaurant. Antoine l’a tenu un temps… il empilait les chaises de bar et jouait au flipper avec les orteils pour nous épater. A gauche, encore, l’épicerie Meloni avec sa réserve d’un côté, sa vitrine extérieure et indépendante de l’autre. Le bar de Simonu Sissu, devenu Crispi, suivait juste avant l’épicerie grossiste Muselli. De l’autre côté, le cinéma Teissère, dans la maison Grimaldi, « tenu » par ma tante pour assurer les deux séances hebdomadaires les jeudis et dimanches, le bar « La Renaissance » d’Anonciade Dominati. Après Muselli, le « Modern’Bar » de Louise et l’hôtel « les Terrasses » puis la menuiserie Benetti des deux côtés de la rue. Le bar chez Vescu, l’épicerie de Peretti, Jany en face. La poste suivait sur le trottoir de gauche juste avant le magasin de meubles et électro-ménager Stromboni. La boucherie intermittente de Joseph Mondoloni, la pâtisserie à côté, suivie de « La Pergola ». En face, dans le virage, il y a eu le salon de coiffure Quilici remplacé par le magasin de chaussures Maestrati. Après le virage, encore une épicerie de Peretti, le médecin Mela suivi d’un vide d’une vingtaine de mètres avant d’arriver à  la « Marangona » magasin de vêtements, sur le trottoir de droite. Sur la gauche, il y eut, un temps, le garage de Tinu tagué « pas de chance ». Après le deuxième virage, la boucherie Bartoli sur la droite, à côté la pharmacie, en face le bazar de Valère. Joseph tenait un commerce mi- librairie, mi un peu de tout et une pompe à essence qu’il actionnait à la main. Mes connaissances s’arrêtaient là mais je sais que plus loin, il y avait une boulangerie, une épicerie, un autre coiffeur, « Paris Bar », Casachinu dit Manufrance avec une pompe à essence, le bar de Maria Barbara, le magasin et cars Ricci. Voilà, je suis arrivé au bout de la promenade en n’étant pas certain d’avoir tout juste dans mon inventaire.

Peut-être ma promenade est-elle un peu lourde à suivre, ce n’est pas courir la prétentaine, j’en conviens, beaucoup moins poétique. (Courir la prétentaine, son sens premier : vagabonder par les chemins sans but et pour son plaisir)

Au total, près d’une quarantaine de commerces sur une distance aussi courte, j’en ai sans doute oublié car à l’époque nous, les enfants, restions dans notre quartier. Sans l’école, navaggiais et insoritais auraient eu peu de chances de se rencontrer.

Il existait d’autres épiceries dans les quartiers, deux cordonniers, un tailleur, un maréchal ferrant, deux boulangeries, un autre garage… un notaire, un juge de paix … Ma liste n’est certainement pas exhaustive, je ne suis pas le mieux informé pour une description fidèle.

Il reste une épicerie, quelques bars qui résistent, un tabac et journaux…

Les places des quartiers sont désertes ou fermées, le stade de Jean-Jean où nombre d’entre nous a fourbi ses premiers crochets et ses tirs dans la lucarne, est à l’abandon depuis belle lurette. Les boulistes qui avaient le choix entre la Piazzona et le groupe scolaire rangeront définitivement leurs boules lorsque la place de l’église sera bétonnée ou deviendra parking estival. La pétanque disparaîtra à son tour du paysage local.

Où va-t-on se réunir les fins d’après-midi en été ? Où va-t-on raconter ce Lévie du passé ? On ne regardera même plus vers le cimetière car on saura oublier, l’endroit s’y prêtait si bien. C’est la faute à personne, on subit l’air du temps… une force potentielle devenue fuite cinétique, fuite en avant qui se perd dans le temps.

Restera-t-il quelques porteurs de cercueils pour m’emmener, comme avant, jusqu’à ma place finale ? Un endroit que je revendique car je n’imagine pas trainer mes os jusqu’à  d’autres nécropoles. Je suis arrivé à la vie ici, je veux rendre mes poussières à la terre natale. Cela semble absurde et pourtant c’est comme ça. J’en serais malheureux, par avance, de me savoir ailleurs comme si l’au-delà nous permettrait quelques vues sur le village. Sait-on jamais ? Même agnostique, j’en ferais volontiers un pari simonien, j’ai trop dénigré celui de Pascal. Un pari qui m’arrange, non pas de rencontrer le Tout Puissant mais de voir encore ceux qui restent dans la beauté des choses, hélas, les paris ne sont qu’affaires de vivants.

Alors ? Restera-t-il quelques porteurs ? Je ne saurai pas qui m’accompagne, ce n’est qu’un vœu de bien portant et l’idée m’apaise pourtant.

 

 

Bien avant l’automne, la place est déjà déserte.

1 Comments

  1. C’est vrai ! très peu ont survécu à l’écatombe, quelques rares sont encore la, tenus par la meme famille (marangonna),d’autres ont changé d’allure et de main(chez Tsanna)…chez de Peretti je ne me souviens pas, …comment fais tu pour te rappeler de tous?…certains commerces reviennent à ma mémoire pareceque tu les rappelle , merci pour cette promenade nostalgique dans le village, les batiments sont toujours la comme un repère de nos souvenirs ,et seront encore la lorsque nous serons partis, quelque part c’est rassurant, les pierres garderons le souvenir pour nous comme des secrets….Rien ne se perd ,j’en ait la certitude….!

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