Voici un extrait, pour l’adapter au format de mon blog, d’une histoire peu commune.
Soyez patients jusqu’au bout du récit.
Peu importe le temps…
Adrien, un inconnu, venait d’arriver dans un petit village de Castagniccia.
Un hameau perdu dans la moyenne montagne en Corse du Nord.
C’était un mois d’été, le temps était radieux, les martinets s’en donnaient à cœur joie tournant inlassablement autour du vieux clocher, en trilles stridents.
C’est leur contribution annuelle au décor auditif des jours d’un début de juillet.
Sur la place de l’église, quelques boulistes taquinaient le cochonnet en se chamaillant bruyamment. Ils pratiquaient « la pétanque prétexte à patienter » en attendant, après sieste, l’apéro du soir.
L’étranger, sans doute observateur, avait remarqué dans un coin ombragé, la bouteille de pastis cachée derrière une petite brassée de fougère fraîche. C’est la présence de cette herbe encore verte qui avait attiré son regard. Juste à côté une glacière. Il découvrira, à la tombée du soir qu’elle servait de frigo pour quelques bouteilles d’eau de source et des sachets de glaçons.
L’homme s’était installé sur un muret qui entourait la place pour assister au spectacle boulistique. Il pratiquait la pétanque aussi et son œil averti avait bien remarqué deux ou trois joueurs adroits, sans doute des estivants, des villageois de retour au bercail, car l’hiver le village est quasiment désert, ne comptant qu’une dizaine d’habitants au grand maximum.
De temps en temps, à l’occasion d’un carreau magistral, le tireur lui adressait un regard interrogatif, semblant dire « Tu as vu ce coup de maître ? »
Adrien opinait du chef avec un léger sourire, parfois adressait un clin d’œil pour signifier qu’il avait reçu le message. Quelques fois, lorsque le regard intrigué des joueurs se relâchait un peu, l’étranger tentait un pouce levé pour souligner une belle action de jeu.
Il adressait des mimiques, des sourires amusés pour maintenir l’attention en espérant engager un dialogue. C’était sa manière d’hameçonner, de ferrer un éventuel interlocuteur…
Jusque là pas un mot, que des échanges timides mais une relation, encore virtuelle, s’installait.
Il savait y faire, il avait l’habitude de courir les villages depuis un bon moment et c’est toujours de la sorte qu’il entrait en relation avec un groupe. Ce n’était jamais lui qui abordait. Par son comportement de gars venu d’ailleurs, d’intrus sympathique, il suscitait toujours la curiosité.
A un moment ou un autre on allait à lui pour engager conversation.
Cela se passa exactement ainsi.
A la fin de la partie, un joueur s’approcha et l’interpella :
– Vous êtes de passage ? Vous avez de la famille ?
– Oui, je suis de passage. Tous les ans, je cherche un endroit pour mes vacances, toujours un coin nouveau, des vacances avec l’inconnu. J’aime découvrir des contrées perdues, des endroits préservés de la contamination urbaine, où les gens vivent encore à l’ancienne. Je ne séjourne jamais deux fois au même endroit, tous les ans je change de lieu éloigné du précédent. Cette année, j’arrive dans votre village.
– Vous avez loué ?
– Oui, la petite maison là-bas.
– Venez avec nous, on vous invite à l’apéro !
Adrien, c’était moi.
L’apéritif dinatoire s’éternisa jusqu’à très tard. Les discussions étaient débridées, j’avais l’impression d’être mis en examen car on s’intéressait à moi en cherchant à savoir d’où je venais et ce que je faisais dans la vie. Je racontais n’importe quoi en cherchant à chaque fois à réduire l’espace des questionnements par des réponses précises mais qui n’avaient rien à voir avec la réalité. J’étais rompu à ce genre d’interrogatoire.
La soirée commencée au pastis, poursuivie au vin pour accompagner pain, charcuteries diverses et fromage, se termina à l’eau de vie. Le monde bouliste était bien éméché lorsque la place se vida et que chacun rentra chez lui.
C’était un rituel qui se reproduisait tous les samedis, j’étais déjà sollicité pour le prochain rendez-vous.
André s’était montré le plus proche durant la soirée. Ma location était située juste à côté de sa maison. Mes loueurs n’occupaient la partie principale qu’au mois d’août quasiment tous les ans. J’étais invité à passer le matin chez lui, pour prendre le café, m’avait-il dit.
Finalement, j’ai partagé le repas de midi avec eux. Il vivait avec sa femme, une dame discrète, très peu diserte et qui se tenait à l’écart.
Durant toute la matinée, j’eus droit à diverses visites.
D’abord celle du jardin. Un immense espace beaucoup trop grand pour deux personnes. Il y avait de quoi alimenter un marché avec toutes sortes de légumes de saison. Dans son potager, d’innombrables pieds de tomates, une quantité astronomique d’oignons – c’est ce qui m’avait le plus surpris – tout un champ de haricots lorsque d’autres n’en plantent que quelques lignes.
C’est au moment de l’apéro sur le coup de midi, encore un, qu’André me conduisit dans sa réserve pour l’hiver. Dans un cellier, à la fois sombre et frais, je découvris un nombre incalculable de bocaux stérilisés. Des sauces tomates nature ou parfumées au basilic, des aubergines confites, des poivrons de la même veine, des haricots verts, des plats cuisinés dont les gros haricots Soissons à la panzetta et sauce tomate, très prisés dans la région, bref de quoi tenir un restaurant une bonne partie de l’année.
Il avait un faible pour le bon vin, des crus classés du bordelais, surtout. Il prenait plaisir à me montrer ses « Graves » et sa réserve de « Pomerol ». Plus l’étiquette était poussiéreuse plus le vin avait de l’âge. Il tournait sa bouteille dans tous les sens pour prolonger le plaisir du récit, passait sa main sur l’étiquette, avec délicatesse pour libérer l’écriture et découvrir le millésime afin de m’épater un peu plus. Il surveillait mon intérêt pour son vin de garde par dessus ses lunettes, semblant attendre une réaction. J’avais l’impression d’un Geppetto admiratif devant son Pinocchio de verre sombre dont le goulot faisait fonction de nez.
Nous avions largement sympathisé, c’est chez lui que j’ai passé la plus grande partie de mes journées. On aurait dit qu’on se connaissait depuis toujours et que nous partagions le même amour du jardinage.
La veille de mon départ, je dus sacrifier à la sempiternelle partie de pétanque dans sa plus belle expression. J’avais l’impression qu’ils m’avaient organisé un pot de départ. Je sentais venir « l’embuscade », je me suis défilé au beau milieu de la célébration en prétextant que je devais garder fraîcheur pour le lendemain. Je fus quelque peu chahuté au moment de saluer tout ce monde…
Le matin de mon départ, j’étais passé chez André pour le saluer et le remercier de son accueil chaleureux. Je lui devais bien cette exclusivité. D’ailleurs, le jour précédent, il m’avait invité une dernière fois en me réservant le plat des amis préparé par son épouse. C’était un plat rustique, très ancien que les aïeux de sa compagne préparaient les jours de retrouvailles avec des proches.
Des lasagnes de confection maison et cuites dans un bouillon d’os de jambon. Des plaques servies comme des pâtes, avec du fromage râpé, piquant, baignaient dans une petite louchée de bouillon, accompagnées d’un os comportant des morceaux de viande à racler.
Les adieux furent rapides, bâclés, il n’aimait pas s’attarder et moi non plus.
Il me souhaita bon retour au moment d’entrer dans la voiture et m’adressa, très rapidement, un dernier mot intrigant : J’espère que tu reviendras !
J’avais remarqué son empressement à me voir partir et son souhait de me revoir, deux expressions antagonistes…
Je suis parti incognito comme j’étais arrivé, sans m’être livré vraiment.
J’avais préparé un mot, que je devais glisser discrètement dans sa boîte aux lettres.
Je ne l’ai pas fait. J’ai préféré partir sans en dire davantage
Voici, ce que j’avais écrit :
» Mon vrai prénom est Jean, je suis ton frère. Tu sais, comme moi, que nous avons été abandonnés lorsque nous étions tout petits. Toi à l’âge de vingt mois et moi deux. Cela fait quelques années que je te cherche après avoir découvert que j’avais un frère.
Je sais que tu es informé aussi et que tu rejettes tout retour sur ton passé. J’ai voulu respecter ta volonté mais j’avais besoin de te retrouver, de savoir comment tu vivais et si tu étais bien.
Tu as sans doute remarqué que nous portons la même barbe, que nous avons la raie de coiffure du même côté avec suffisamment de cheveux pour notre âge, la même mimique au moment de sourire et le même goût pour le jardin, certes plus renforcé chez toi.
J’ai été heureux de ces retrouvailles ‘unilatérales’, j’ai l’impression d’avoir, en quelques jours, refait toute notre vie. Je nous ai imaginés petits en nous inventant une famille. »
Je me suis arrêté à cet endroit de la lettre car je venais de réaliser que je me trouvais devant un sacré dilemme.
En laissant mes coordonnées, je créais un malaise en tout révélant de la sorte, sans révéler mon adresse peut-être le plaçai-je au cœur d’un autre malaise, plus diabolique encore, l’envie de me retrouver en le plongeant devant l’impossibilité de le faire.
Il m’a semblé que nous étions tous les deux, bien positionnés sur nos souhaits respectifs, j’ai pensé qu’il valait mieux s’en aller incognito, sans rien révéler de notre histoire.
J’avais senti passer le souffle léger d’un apaisement définitif, tranquille au fond de mon âme.
J’étais quasiment certain qu’il avait tout compris en m’adressant son dernier message :
« J’espère que tu reviendras ! »
Je ne le saurai jamais, cela restera ma part d’ignorance et de mystère.
Très jolie nouvelle qui ménage son effet pour la fin, j’ai beau aimé.
Le plat très ancien réservé aux retrouvailles des proches est très bien amené pour la chute, ce furent des retrouvailles tout en pudeur de par et d’autre, parfois il n’est pas besoin de mots pour « savoir ». On retrouve cela souvent dans la littérature méditerranéenne, ces non dits qui en disent long sur les sentiments.
Quelle belle histoire ! Moi qui ai tenté à mainte reprise de réparer des maillons cassés au sein de ma propre famille, je n’en serais pas restée là……… quelque chose comme un goût de gâchis…….. mais c’est cela aussi la diversité des réactions et des êtres humains 🙂
Les choses de la vie Gibu 🙂
Un scenario de film qui s’achève sur une note inhabituelle.
Bonne soirée.
ouiiiiiiiiiii je suis un peu bleuette et amoureuse des happy ends 😀 mais je me console en imaginant qu’André n’a rien compris et qu’il ne sera pas en situation de manque……….. Bonne nuit Simonu