Le cahier noir.

A mes petites filles… lorsque missiau enseignait aux petits enfants et à tous les autres, bien entendu. 🙂

C’était la dernière année de ma carrière, la quatrième dans une classe à l’occasion de mon retour en Corse.

Je m’interrogeais sur la manière d’enseigner dans une classe; je n’avais pas suffisamment de pratique et de recul.
Jusqu’où serais-je allé, si j’avais été instituteur tout au long de mon parcours à l’Education Nationale ?
Je faisais des découvertes incessantes et cherchais à les mettre en pratique tout en sachant que je ne pouvais prendre tant de liberté avec la pratique courante de la fonction. Seule l’idée de mener chaque enfant au mieux de ses possibilités du moment m’importait. Mon supérieur hiérarchique m’avait donné carte blanche de manière officieuse, c’était donc une entente tacite. Cela me procurait une certaine sérénité pour poursuivre mon enseignement tel que je le concevais, j’aurais mal vécu ce changement dans ma fonction, s’il en fut autrement.

J’étais très prudent, bien que souvent hors des clous habituels avec une pratique très personnalisée, à la carte, c’est dire en fonction des difficultés singulières et propres à chacun, je demeurais vigilant pour ne pas faire trop de bêtises.

C’est ainsi que cette dernière année, j’eus l’idée du « cahier noir ».

Le cahier noir était à la classe ce que la boîte noire est à l’avion.

Une sorte de mémoire de tout ce qui se passe dans la vie du groupe, de manière à bien juger notre progression sous une conduite qui nous était propre et singulière.
Ce cahier était le reflet de notre état d’esprit, de notre approche de la chose enseignée.

Les enfants avaient été informés sur la boîte noire, orange en fait, d’un avion. J’avais choisi de rester fidèle à la couleur annoncée, la couverture du cahier était noire, c’était la seule différence.

Chaque fois qu’un enfant ne comprenait pas une notion, qu’elle soit de grammaire ou de toute autre discipline, nous revenions à notre cahier pour noter la difficulté en proposant une définition de notre cru, accessible à tous. Elle était élaborée par les élèves qui avaient compris et cherchaient à expliquer avec d’autres mots, une autre formulation, en évitant de reprendre la définition du manuel scolaire. Nous ne revenions à la définition « officielle » qu’une fois la notion acquise. D’abord notre manière d’expliquer, ensuite la règle du manuel scolaire afin de retomber sur nos pattes.
Une collaboration générale, chacun pouvait venir en aide à celui qui n’avait pas compris. Les enfants, ainsi mis en confiance, venaient me signaler leur difficulté au préalable et nous programmions un moment pour cette activité.
Sur ce cahier à tout consigner, on y signait des contrats, on dessinait des caricatures pour détendre l’atmosphère… Les élèves riaient et abordaient la difficulté avec recul et sérénité.
Bref « ci campaiamu ! » comme on dit chez nous (Nous étions joyeux devant la difficulté).
Le brassage heureux était perpétuel.

Il y avait au premier rang, une petite fille très scolaire, sérieuse et soucieuse de bien travailler en classe, qui ne perdait aucune miette de l’enseignement prodigué. Elle prenait à cœur son métier d’écolière. On voyait qu’elle venait à l’école avec plaisir et que ces moments étaient fort appréciés. Il m’arrivait de faire quelques mimiques, quelques clowneries souvent, pour faciliter une mémorisation, pour fixer une idée dans l’esprit des élèves. Elle était friande de ces moments cocasses, de mes chinoiseries qui la surprenaient beaucoup. Je la sentais à l’affût pour n’en perdre miette, sans jamais se faire remarquer des autres. Je devinais, à ses yeux et son attention devenue absorption, qu’elle allait bientôt exploser. Elle, si discrète, si conventionnelle dans son attitude scolaire, éclatait de rire sans retenue et sans aucune crainte. « Sciacanaia », un mot pour signifier qu’elle riait avec des claquements de fond de gorge accompagnés de secousses corporelles tant la joie était forte et spontanée. Elle se lâchait totalement, c’était un plaisir à voir et, toujours, chacun restait à sa place. Le maître désacralisé mais nécessaire à la bonne évolution de tous.
J’étais content de constater qu’elle manifestait ainsi sa joie, sans s’inquiéter. Elle avait pris confiance, je la sentais libre, beaucoup d’informations scolaires passaient par ce canal pour parvenir à destination en bon état.
Je veillais, évidemment, à ne pas trop en faire, non plus.
Dans ce récit, je résume et je condense, vous l’avez compris.

Je lui avais demandé son cahier noir pour le montrer à quelqu’un afin d’expliquer son fonctionnement. A la fin de l’année j’ai oublié de le lui rendre. Ce matin, en fouillant dans les souvenirs, je l’ai retrouvé. De nombreuses années ont passé, je ne sais pas où elle est, ni ce qu’elle est devenue. J’aimerai bien lui rendre son cahier.
Elle s’appelait Hasna T. et son rire claque encore au premier rang de ma classe désormais imaginaire. 🙂
(Hasna est assise avec un pantalon rouge, sur la photo)

Image en titre : Ma dernière année.

Sur le cahier d’Hasna.
C’était la notion « adjectif qualificatif »
Ce personnage s’appelait Molmou et intervenait de temps en temps pour sortir sa vision des choses.
Le revoilà, un autre jour.
Il m’arrivait de leur distribuer un courrier anonyme.
Il y avait à lire, à réfléchir et à discuter.
C’était une manière de fixer les choses, on y revenait tant que nécessaire.
Masculin et féminin qui tombent sous les sens :
Si tu peux écrire le mot sur l’ardoise de la fille c’est « féminin (a femina en corse), sur l’ardoise du garçon c’est « masculin » (u masciu en corse)
Molmou aux commandes pour insister et faire mémoriser.
Mémoriser le « ne…pas, ne…plus »… il fallait bien les lunettes.

Voilà un aperçu du cahier noir, il y avait bien d’autres choses, des contrats personnels signés en bonne et due forme que l’on revisitait tant que nécessaire. Chaque enfant reproduisait le personnage que je dessinais au tableau, à chacun son style et sa personnalité, le temps du dessin permettait l’imprégnation de l’idée.

Alors, chers lecteurs, stop ou encore ?

8 Comments

  1. Les zhiboux étaient déjà de la partie je vois qu’ils ont une sacrée carrière derrière eux 😉
    Il faut absolument retrouver Hasna, il y a bien quelqu’un qui doit savoir ce qu’elle est devenue!
    En tapant son nom sur google parfois on retrouve les gens dans copains d’avant …
    Allez Simonu, top là, encore! 🙂

    1. Ses camarades de l’époque, l’ont perdue de vue.
      Je n’avais pas pensé à la toile, je vais essayer.
      Quant aux hiboux, ils datent du temps où je faisais des rééducations individuelles, il y avait toute la famille, outre Molmou, Scriby l’oiseau turbulent qui attaquait le ver de terre et bec tordu encore plus foufou. C’était pour induire la propension à se livrer à travers ces personnages.

  2. quel âge est-elle supposée avoir aujourd’hui ? comme dit Almanito tout est possible via les réseaux. J’en ai vu passer une originaire de Folelli mais l’initiale du nom ne correspond pas (ou plus). Le rire spontané des enfants est toujours un vrai bonheur. Belle soirée Simonu

    1. Je ne l’ai pas trouvée sur les réseaux sociaux et ses camarades de l’époque, l’ont perdue de vue.
      Personne ne sait où elle est.
      Bonne soirée Gibu.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *