C’est sous la pression générale, trois demandes dans le blog et deux sur Facebook, que je me résous à écrire ce texte. Cinq inconditionnels me demandent de poursuivre, ce n’est pas rien, tout de même !
Ce sera sans doute la dernière fois car il est grand temps que je quitte définitivement l’école après en être sorti, il y a vingt ans déjà.
Replongeons-nous encore une fois au cœur d’une classe qui fait son apprentissage de la communication verbale et écrite.
L’expression écrite sous forme de lecture ou de production personnelle méritait un sacré coup de fouet. L’écrit personnel notamment car très peu activé.
La pratique du conte raconté me semblait nettement surexploitée, presque excessive, au détriment des mathématiques et des sciences en général. Il était urgent de rétablir un équilibre en réhabilitant la mathématique souvent perçue comme une matière difficile. Rééquilibrer rêve et réalité en ne négligeant plus le côté rationnel et objectif de la vie.
Il semblait nécessaire de s’attaquer aussi à certaines peurs injustifiées comme celle de l’orthographe largement redoutée. Je cherchais des stratégies pour toutes ces matières. La démarche était donc psychologique dans un premier temps, vérifier l’état de réceptivité d’abord avant d’envisager la pratique. C’est un préalable nécessaire, on ne distribue pas du savoir en reprenant à perpétuité une manière d’enseigner toujours identique d’année en année.
S’adapter à l’état de ses élèves reste une priorité.
La tâche est sans doute plus difficile et cette pratique réflexive rebute plus d’un enseignant. Doit-on s’estimer définitivement à la hauteur une fois la titularisation acquise ou doit-on se remettre en cause perpétuellement ? Là est la question fondamentale.
Je débarquais dans la classe de fraîche date et portait sur l’école un regard d’observateur, d’analyse, avant de me lancer à l’aventure. Voir et comprendre avant d’agir. Déjà en fin de carrière, avais-je le temps nécessaire pour passer à un enseignement utile et surtout durable, qui marque les enfants à la hauteur que je me fixais ?
S’enfermer dans une méthode universelle de lecture n’est pas une bonne affaire. La lecture en soi n’existe pas, seul le lecteur vit. C’est donc lui le moteur, et lorsqu’il tousse c’est qu’il faut réviser ses rouages pour coller au plus près de ses besoins.
Pour la lecture, j’avais tenté l’instauration d’une mini bibliothèque « suggérée » que chacun pouvait se constituer dans l’année. En plus des apprentissages traditionnels, les enfants travaillaient sur un petit roman de leur âge. Le même pour tous, qui servait de support à la grammaire, au vocabulaire et à la conjugaison en tenant compte du savoir à leur niveau (programme) sans renier les débordements toujours possibles. Chaque chapitre, en plus de la lecture expressive, toujours visée car elle assure la compréhension d’un texte, était exploité de fond en comble autour de l’apprentissage du français avec de nombreux exercices écrits toujours ludiques et fabriqués sur mesure pour fixer une ou plusieurs notions. On épluchait au maximum pour aboutir à une lecture aisée et expressive visant à renforcer la compréhension fine, si possible, après avoir fouillé tous les recoins. Un travail d’observation avec une mise en mémoire de certaines règles au fur et à mesure. Evidemment cela profitait plus à certains qu’à d’autres qui recevaient néanmoins une nourriture à leur mesure, profitant du bain permanent. Cette pratique, lorsqu’elle se poursuit sur deux ou trois années forme un esprit critique, favorise le recul et la prise de parole nuancée. Il ne faut pas hésiter à commencer très tôt dès le CP.
Montrer que l’écrit est source de connaissances, d’informations, en prendre conscience et le faire en confiance. Avec la fluidité de la lecture et la prise de recul, on apprend à être libre, à penser par soi-même à la lumière du monde extérieur, comprendre les idées des autres. Le débat, le dialogue ou la discussion deviennent possibles.
Ce fut pour moi une grande révélation et le combat de toute une vie, j’en savais l’importance car je n’ai jamais pu accéder à la lecture facile à cause d’un apprentissage tardif qui s’est éternisé dans le temps. La pensée, comme une plante dans un substrat riche, se développe en puisant dans la substantifique moelle des autres pensées. Les livres et le lire en sont les principales richesses.
Je rappelle, ou apprends à ceux qui ne le savent pas encore, je n’ai lu qu’un demi-livre de toute ma vie. Pour tous les autres qui furent rares, je commençais par la fin, toujours, afin de couper court en ne remontant pas très loin. Cela m’a valu le sens de l’analyse et de la synthèse, de l’observation intense et précise pour nourrir ma soif de vie, l’éclosion d’un épicurisme très fort même si vous n’en voyez pas le rapport.
Avec l’éclairage que je viens de porter, vous comprenez mieux l’importance que j’apportais à mon enseignement.
Je suis probablement un cas d’école, un galérien de la lecture et de l’orthographe devenu spécialiste de la rééducation de ces deux mêmes disciplines après avoir réussi tous mes examens en négligeant la bibliographie. Je pratiquais la lecture en diagonale et à la « grappille » avec beaucoup de profit, finalement, un vieux de la vieille en la matière..
Je me creusais l’esprit. Le constat était net, ces enfants n’ont pas suffisamment de contacts avec l’écrit personnel. Il était temps d’y songer et de changer cet état de fait. Constat et actions à engager étaient concomitants dans mon esprit, je voyageais déjà dans la suite à donner.
Cela ne traine jamais, dès qu’une idée m’interpelle, je m’embarque et chemin faisant, j’avise, je construis…
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L’écrit personnel constituait un pan d’exploitation assez conséquent. L’idée de départ consistait à trouver un effet déclenchant, c’est-à-dire une idée visuelle capable d’engendrer des réactions diverses, différentes d’un enfant à l’autre, afin que chacun produise une rédaction personnelle. Voici, comment avec un simple dessin, neutre en apparence, une histoire démarra et dura quasiment jusqu’à la fin de l’année.
Je m’étais souvenu de mes personnages créés pour mes rééducations. J’ai gardé Lulu le hibou et sa famille, puis inventé un personnage nouveau, Chatouilleuse la chenille. J’ai dessiné Lulu sur un vieil arbre, reluquant la chenille frétillant au bout d’un fil. La pauvrette tremblait et interpellait les enfants en leur demandant : « Tu crois qu’il m’a vue ? ». Cela ressemblait à un appel au secours. Le principe de cet effet déclenchant était d’inciter chaque élève à réagir à sa manière en répondant à la chenille avant de colorier la scène pour étoffer le paysage. Je récoltais toutes les feuilles puis corrigeais forme et fond avec chaque enfant en préservant l’essentiel de sa réponse. A chaque séance un nouveau dessin apparaissait en fonction de l’actualité au village ou de l’évolution des choses, un nouveau rebondissement dans l’histoire de sorte que chacun poursuive sa trame personnelle.
Voici un exemple :
Un soir, il y eut une tempête à Lévie. Cela me donna l’idée de faire disparaître les personnages. Lulu était dans le trou de l’arbre à l’abri. Chatouilleuse avait disparu, il ne restait que le fil cassé, agité par le vent.
Interrogation : Où est passée la chenille ? Les enfants imaginaient l’évènement à leur guise et s’inquiétaient dans leur récit. Certains la plaignaient, d’autres dédramatisaient avec espoir…
A la séance suivante, je leur soumettais un communiqué de presse locale, évidemment inventé par mes soins, qui annonçait la découverte de Chatouilleuse dans un ravin de San Gavinu di Carbini à trois kilomètres d’ici.
Elle avait commencé à tisser son cocon. Transportée à son point initial, les enfants avaient imaginé une boîte de conserve au fond percé, cloué à l’arbre pour lui servir d’abri. Les trous évitaient l’inondation en cas de pluie. C’est à ce moment que j’ai relié l’histoire avec les sciences en étudiant le cycle des papillons. Ce n’est pas compliqué si on se met à la portée des enfants de cet âge. J’ai choisi deux élèves peu actifs pour leur fournir des planches de papillons. Leur mission était de trouver chez eux le nom du futur papillon dont j’avais donné les couleurs précises. Ils ont trouvé, avec ou sans aide des parents, peu importe, c’est le fait de les intéresser qui était essentiel. Les géniteurs de Chatouilleuse étaient des « citrons de Provence » ou des « citrons » tout court, des papillons jaunes. J’avais une suite dans mes idées.
Le jour de l’éclosion de l’insecte parfait, sorti de la chrysalide, j’ai dessiné un papillon bleu sans rien dire, évidemment. (C’était la première fois que je faisais intervenir la couleur dans mes dessins). Surprise générale. Que s’est-il passé ? Coup de théâtre et relance du texte, à San Gavinu dans le ravin ce n’était pas chatouilleuse, annonça quelqu’un. Qu’est-elle devenue ?… Et nous poursuivîmes l’histoire sur ces rebondissements.
Je ne parvenais plus à mettre fin à cette histoire qui nourrissait les écrits. Tout y était passé, le style épistolaire, le dialogue, la prose, l’article de journal, une large palette de modes d’écriture.
A la fin de l’année, j’ai voulu conclure l’histoire en écrivant une lettre de Chatouilleuse rencontrée du côté de Porto-Vecchio à l’occasion d’un de mes déplacements vers la cité. Elle racontait ce qui s’était réellement passé le jour de la tempête. Le vent l’avait transportée en sens inverse. Elle se portait bien, vivait agréablement dans le maquis tout proche et ne viendrait plus à Lévie. Nous étions en Juin, certains enfants ont souhaité poursuivre l’aventure en venant me voir à la maison pour continuer l’histoire jusqu’à Noël. Ouf !
Le but de l’exercice était d’écrire abondamment pour acquérir une sorte de mécanisation, un réflexe rédactionnel qui améliore, à l’usage, forme et fond et renforce l’orthographe. Il aurait fallu que ce principe se développe pendant deux ou trois années supplémentaires pour produire ses meilleurs fruits.
L’avantage de cette démarche est son côté accro qui favorise la rédaction sans faire d’efforts de recherche, la spontanéité dans l’apport des idées. Les histoires de texte libre ne fonctionnent que rarement. Comment voulez-vous qu’un enfant soit libre et spontané devant rien du tout, qui amorce son envie d’écrire ?
L’inconvénient c’est la difficulté d’arrêter – si c’est bien mené – et un gros travail de correction, de mise en forme comme d’imagination sans cesse active.
Cette pratique demande un suivi à rebonds perpétuels et un travail colossal qui ne convient pas à tout le monde.
Je fus très surpris de constater que certains de ces élèves, aujourd’hui adultes et même parents, me parlent encore de Chatouilleuse.
J’ai procédé de la même manière pour l’orthographe en travaillant d’abord sur la peur de la dictée, une touche psychologique pour favoriser une approche tranquille.
Idem pour les sciences, les enfants portaient en classe quelque chose qui les avait surpris, le matin en arrivant à l’école. A l’heure convenue nous faisions notre leçon de sciences sur du concret et du vécu.
C’était ma spécialité d’origine, je fus prof de sciences naturelles à mes débuts.
Je me souviens d’une stagiaire qui nous accompagnait lors d’une sortie pour visiter les arbres du village, les identifier par l’observation des feuilles et des troncs, une dame qui sortait de l’université. Elle me disait, sur le chemin du retour, « J’en ai plus appris aujourd’hui que durant toute ma scolarité, et vos élèves en connaissent un bon bout ! »
Nous avions pris connaissance de toutes les données avec les moyens habituels puis nous sommes allés sur le terrain pour vérifier, identifier. Parfois on appliquait la méthode inverse.
En lisant cela, vous prenez la mesure de l’ampleur du travail accompli, il faut faut être solide…
Certains enseignants pensaient en secret : Il est fou ! 😉
Sans doute avais-je et ai-je encore un grain de folie, cela me convient parfaitement, c’est ce qui me fait aimer, si fort, la vie.
Désormais, je vais essayer de tourner définitivement cette page, sortir enfin de la salle de classe… Rien n’est gagné d’avance, si je n’en parle ici, ce sera toujours dans mon esprit 🙂
Pour avoir une idée de mon parcours de non-lecteur.
https://simonu.home.blog/2020/09/24/une-vie-singuliere/
Oh…Il vous viendra bien encore quelques idées sur le sujet, une passion pour vous 😉
Je vous imagine très bien le Noël d’après en train d’essayer de mettre un terme à l’histoire de Chatouilleuse, vos petits élèves ne vous lâchant plus 😉
Les idées je les ai mais, il faut que je décroche.
Le jour où cette histoire s’est terminée, une élève est venue me voir, le soir, avec son père et me portait un arbre de Noël entièrement garni, déposé devant ma porte 🙂