Une p’tite anecdote scolaire.

C’est en réagissant à un article sur les rythmes scolaires que m’est venue cette idée. Certes, cela n’a rien à voir, mais puisque je cherchais désespérément un petit sujet pour mes villageois, cette anecdote relativement récente a ressurgi de ma mémoire. Cela m’a permis de constater que la mémoire récente que l’on dit antérograde et déficiente dans la maladie d’Alzheimer est encore active pour moi. Mais venons-en  à l’essentiel.

J’étais rentré dans mon village, un peu par hasard, après un périple de vingt-cinq ans du côté de Versailles. J’avais souhaité, plein d’usage et raison, terminer ma carrière en apportant ma contribution à mon département d’origine. Les intentions, même les plus louables, ne sont pas toujours couronnées de succès. Il n’y avait pas de poste compatible avec ma fonction, je fus donc bombardé dans une classe de mon village natal. Cela faisait plus de vingt-ans que je n’avais enseigné dans une classe, c’était pour moi un nouveau départ.

Habitué aux rééducations individuelles d’enfants en grande et très grande difficulté mon regard pour détecter le trouble chez un enfant s’était hautement aiguisé. De sorte que je me suis mis à fabriquer du « sur mesure » pour venir en aide à ceux qui en avaient besoin. Une expérience très intéressante, des moments très riches avec les élèves, à condition de ne pas se prendre pour le Christ. Autrement c’est la dépression assurée. En tous cas, j’en garde un excellent souvenir, j’en ai dégagé une pratique particulière de la pédagogie, une philosophie de vie dans l’école. Du bonheur. J’en parlerai peut-être un jour.

Nous étions à quelques jours de Noël et comme dans toute école de France et de Navarre, on m’avait demandé de préparer un petit spectacle pour l’occasion. Cela se faisait automatiquement pour les autres, voyant que je ne semblais pas trop au courant, les collègues se sont chargés de me le faire savoir, mais un peu tard. J’étais très embarrassé et vraiment pas doué pour ce genre de choses. Je me suis souvenu que j’avais été professeur de musique, ma première année d’enseignement, dans un grand collège de la région parisienne. C’était au temps où sortant d’une formation scientifique, on vous bombardait facilement dans les arts musicaux pour effectuer un remplacement. Je me disais donc, si j’ai fait ça pendant des mois, je peux bien le faire un jour seulement. Faire, d’accord, mais quoi ?

J’avais entendu parler d’une chanson de Noël, écrite en corse,  qui pourrait bien faire l’affaire. Une saynète autour de cette mélodie dans la langue locale, c’était une bonne idée.

Le temps pressait, il restait moins d’une semaine et une maman bien intentionnée était venue me voir pour savoir où nous en étions des préparatifs. Apprenant que nous n’étions pas très avancés, elle lâcha son cri du cœur « Alora semu bè !» (Alors on est beau !).

J’avais les paroles de la chanson mais pas la musique. Je ne connaissais pas l’air, je me suis contenté, dans un premier temps, d’en faire une récitation. Cela plaisait aux enfants et curieusement, encore plus à ceux qui venaient du continent. Les enfants de gendarmes notamment. Je les regardais, totalement impliqués, on aurait dit que c’étaient eux, les enfants d’ici. Touchant. Ils étaient chargés, en outre, de traduire chacun un couplet en français pour que leurs parents comprennent.

Une personne devait me fournir la cassette, il ne restait plus que trois jours et je commençais à mal dormir la nuit. Le « alora semu bè » de la maman était resté en suspend au-dessus de ma tête. J’avais compris que cette fête revêtait une importance capitale pour les parents.

L’avant dernière nuit, je ne trouvais plus le sommeil. Les paroles de cette chanson, sans air et sans musique, se télescopaient dans tous les sens. Mes neurones étaient en ébullition. On aurait dit qu’ils s’encourageaient les uns les autres pour trouver une solution à ce qui allait peut-être devenir le four, l’échec de Noël. Notre classe risquait d’être la risée, à cause de la pauvreté du spectacle affiché en ce jour béni.

Et puis, mes neurones totalement mobilisés se mirent à chanter dans ma tête. Un vieil air, une chanson de mon enfance que je n’avais plus entendue depuis fort longtemps. De la magie pure !  Tout coulait de source, la perfection d’emblée. Aucun ajustement à faire, du parfait de chez parfait, les paroles épousaient cette musique qui était composée pour eux. Je me suis endormi très tard vers cinq du matin car cet air ne s’arrêtait plus et je n’avais pas de bouton « off » pour arrêter la chanson qui tournait en boucle.

Le matin, dès les premières minutes, j’ai annoncé la bonne nouvelle et me suis mis à chanter. Les enfants ont très vite intégré cet air qui collait à merveille. Après quelques essais dans la journée tout était nickel. La mise en place de la saynète, le lendemain, n’était plus que formalité car les enfants avaient tout compris dès le départ. Une sorte de communion entre nous, comme il s’en produit lorsque la confiance règne. Ces enfants me suivaient partout, j’aurai pu les emmener au bout du monde.

Le jour du spectacle, ce fut la perfection. Petit spectacle, mais bien ficelé. Applaudissements, satisfaction et surtout soulagement de la maman toute heureuse de cet aboutissement. Elle ne se doutait pas à quel point, son cri du cœur m’avait boosté !

J’avais pris soin d’expliquer, en introduction, qu’il s’agissait d’une adaptation musicale de la chanson mais cela n’avait ému personne. Pour ces parents c’était : « le spectacle ! le spectacle ! le spectacle ! » Vous les entendez scander ? Tout le reste leur importait peu.

Un vieux monsieur, qui n’était pas là au début, s’est approché de moi pour me souffler à l’oreille : « Ce n’est pas le bon air, je connais la chanson. Mais vous savez, je préfère cette version ». Un ou deux mois plus tard, j’ai enfin reçu la cassette, et lorsque j’ai entendu pour la première fois l’original orchestré, je fus très déçu. J’avais l’impression d’un concert de casseroles et franchement, si l’on faisait auditionner les deux versions, l’originale et la mienne avec l’air du « u trenu di Bastìa », je crois bien que nous aurions eu les faveurs du public.

A quelque chose malheur est bon, si j’avais connu la version originale plus tôt, je crois bien que je n’aurais jamais choisi cette chanson… et qui sait, le temps pressant, ce que serait devenue de cette journée tant attendue ?

Les enfants ne se sont jamais doutés de cette approche chaotique, des nuits blanches que je ne regrette pas puisque c’était pour leur plaisir: présenter un moment de joie à leurs parents. Quant à la maman, elle avait tout oublié… il n’y avait plus d’inquiétude. Je suis presque sûr qu’elle a dû penser que le petit « Jésus  de Nazareth » s’était penché sur mon lit en cette période de Noël pour me tirer de cette affaire. Je n’ai eu droit qu’à un seul Roi Mage celui qui fait de la magie une fois par an… une nuit de la fin décembre…   

 

2 Comments

  1. Bonsoir et merci Gaetan.
    Je crois que je vais poursuivre dans cette voie de l’école de mon village, ma fin de carrière. C’est à la faveur de quelques manifestations dans cette case commentaire que je trouve les raisons de continuer.

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