Les effets pervers, c’est mon dada. Inventez une loi, elle vous dictera ses effets pervers.
Le vote obligatoire n’échappera pas à la règle.
Si les gens se présentent de moins en moins devant les urnes c’est probablement que les politiques et la politique telle qu’elle est pratiquée, ne les font plus rêver. Les conduire par la force d’une loi dans un bureau de vote alors qu’ils n’en ont aucune envie ne sera pas sans conséquences.
Pour faire respecter une loi, il faut inventer un arsenal répressif. Apparemment c’est déjà prévu : 15€ pour un premier « oubli » et 45€ en cas de récidive dans les cinq années qui suivent. Facile, simple, efficace et rentable si le taux d’abstention restait aussi élevé qu’aux dernières élections.
Pourquoi tant d’abstentions ? Ne faut-il pas revoir en priorité le fonctionnement des institutions ? Hémicycle peu fréquenté, cumul des mandats, crédibilité vacillante, corruption, impuissance à régler les vrais problèmes…
L’abstention constitue un degré dans le vote, exprimé par un « non vote ». Il y a le « pour », le « contre », le « je ne suis d’accord avec personne » du vote blanc et « vos affaires ne méritent pas mon déplacement » qui est une expression/répulsion encore plus marquée. Cela devrait interpeler… mais, au contraire, on préfère nous encadrer : vote ou tu craches au bassinet !
Quelles conséquences ?
– En lieu et place de l’abstention, désormais interdite, on verra se créer des associations pour la grève du vote. Un droit au respect de la liberté de penser et d’agir sans coercition. Ce qui ne manquera pas de créer une diversion encore plus grande puisqu’il n’y aura aucun rapport avec le scrutin du moment.
– Tout un contingent de personnes évitera ou retardera son inscription sur une liste électorale, à la faveur d’un déménagement par exemple.
– Un nombre croissant de bulletins griffonnés, remplis de noms d’oiseaux, d’insultes proférées sous le secret du vote. Un concours d’insultes qui pourrait s’élever au pourcentage d’abstentions, approchant parfois les 50%. De belles rigolades en perspective au moment des dépouillements. Pour éviter toutes ces diversions, il faudra inventer une urne rebut pour ces bulletins, ne pas les lire en public, avant de les brûler. Vous imaginez le cirque « cachez ce bulletin que je ne saurais voir ».
– En conséquence faudra-t-il interdire l’usage du stylo en plaçant un policier devant l’isoloir pour une fouille en règle avant d’y pénétrer sans arme à graffiti ?
– Faudra-t-il créer des navettes de ramassage pour les personnes invalides, isolées ?
– Les personnes décédées de fraîche date, encore inscrites sur la liste électorale recevront-elles une amende post-mortem ? Si l’opération est automatique et informatisée, cela promet des belles rigolades, pas pour tout le monde.
– A l’inverse, récompensera-t-on les morts qui poussent le sens civil jusqu’à exprimer une voix d’outre-tombe ?
– Faudra-t-il instruire tous ceux qui se disent incapables de faire un choix par ignorance ou par incapacité de faire le tri parmi les offres ? Faudra-t-il leur décerner un permis de voter pour bien conduire la France ?
– Secouer sérieusement tous ceux qui se déclarent incompétents et ne voudraient se risquer à voter au hasard ?
– Va-t-on se perdre en palabres pour savoir si l’amende doit être maintenue à cette famille pauvre, enferrée dans le chômage, éloignée des contingences de la politique qui ne leur sert que la misère ? Misère matérielle et intellectuelle ?
– Faudra-t-il s’excuser par courrier de ne pas avoir suivi l’actualité parce que vous avez choisi de vivre, en ermite, loin du brouhaha qui vous insupporte ? Que ce jour-là vous n’aviez pas envie de quitter le lit ou votre salon pour accomplir un acte qui vous gonfle ?
– Les jours de scrutin seront-t-ils les seul moments de votre vie où vous n’aurez pas le choix entre « J’y vais / j’y vais pas » ?
Bien d’autres effets pervers surgiront à l’usage. Mes propos semblent dérisoires, vous ne pouvez imaginer ce qu’une loi « bien ficelée », apparemment pleine de bon sens, peut engendrer d’effets pervers. Des petits malins trouveront bien des failles dans le système. Non seulement les moyens de contourner la loi mais se faire quelque argent au passage, du genre : « 1€ et je t’arrange l’affaire ». Après le clientélisme électoral, viendra celui du vote escamoté.
Nos chers députés qui ont lancé cette idée de vote obligatoire ont manqué une occasion de faire preuve d’imagination. Par exemple, organiser les jours de scrutin, un banquet, un apéro ou un buffet, un concours de belote ou un concours de pétanque, tout près du lieu de vote… histoire d’attirer le plus de monde possible. Il sera alors facile de leur taper amicalement sur l’épaule pour les convaincre d’effectuer ce geste citoyen. Hélas, ils préfèrent festoyer après leur élection avec les copains ou tous ceux censés les avoir portés ou maintenus au pouvoir.
Je préfère m’acquitter d’une amende plutôt que traîner les pieds pour déposer un bulletin fut-il blanc comme neige tant qu’on n’oblige pas nos chers élus à tenir leurs promesses.
Si cette loi est votée, ce ne sera pas la trouvaille du siècle : « Ils ont voté, et puis après ? » de Léo ferré résonne encore dans ma tête et deviendra : « Ils ont voté contraints et forcés… et puis après ? » Après, rien n’aura changé.
Une entrave de plus à notre liberté de penser et d’agir et n’allez pas dire que cela existe ailleurs, l’argument n’a aucune validité.
Le vote obligatoire tue la liberté d’aller à la pêche les jours de scrutin.