C’était en 1970. Paul travaillait à Paris et revenait régulièrement en vacances estivales dans son village de Lévie. C’était la fin de l’été, il devait repartir, la mort dans l’âme, comme tous ses copains exilés.
Nous habitions le même quartier, il savait que ma jeune compagne vivait dans la banlieue parisienne. Il me suggéra de partir avec lui pour la retrouver. Visiblement, il était très fier de sa proposition et semblait y tenir fortement, à tel point qu’il finit par me convaincre.
Nous n’étions pas très fortunés et les voyages lointains ne se décrétaient pas sur un coup de tête. Il fallait être plus patient. La communication se faisait par courrier, parfois par téléphone lorsque j’avais le courage de demander la permission de passer un coup de fil à la voisine Mariane, la seule à avoir une ligne chez elle. Cela n’était pas gênant d’attendre, nous n’étions pas encore à l’heure accélérée comme aujourd’hui où tout se voit et se sait quasiment en temps réel.
J’eus juste le temps de rassembler un peu d’argent pour payer le bateau et de quoi tenir un tout petit peu sans faire la manche. Je partais à l’aventure sans préparation pour la première fois, si loin de mes bases.
Durant le voyage qui nous menait au bateau, Paul était visiblement plus content que moi et ne cessait de m’annoncer le bonheur des retrouvailles. Après une traversée vers Marseille sans histoire, nous avons emprunté l’autoroute : « Ce soir tu vas voir ta fiancée », toujours heureux de m’offrir cette rencontre.
Avant d’arriver à Lyon sa Renault 8 commençait à donner des signes de fatigue. Elle semblait peiner, je le voyais inquiet depuis un moment sans trop comprendre pourquoi, lorsqu’une fumée s’échappa du moteur.
Quelques instants plus tard, nous étions sur la bande d’urgence, plantés devant le capot ouvert, à regarder la fumée, sous une pluie battante. Ni lui, ni moi ne connaissions rien à la mécanique et fumée ou vapeur ne nous révélait le moindre diagnostic. Attendre que tout refroidisse pour reparti, semblait la seule solution à notre portée. Paul était très inquiet et maugréait je ne sais quel juron en corse.
Perdus dans ce coin de France, nous commencions à regretter notre petit village où rien ne pouvait nous arriver, une sorte de quiétude rassurante dont nous avions besoin à cet instant. La borne téléphonique n’était pas bien loin… assez rapidement une dépanneuse arrivait sur place. Nous fûmes transportés vers Saint Vallier chez un garagiste qui annonça un délai d’une semaine. Paul pesta encore plus fort comme s’il venait de recevoir un coup sur la tête. Il était prêt à tout lâcher, il n’avait aucune envie de revenir ici, de Paris. Il fallut bien se rendre à l’évidence…
Il était grand temps de penser au moyen de gagner la capitale. Nous nous sommes réfugiés dans un restaurant routier, un endroit où l’on trouve très vite de quoi se refaire un moral. Rapidement requinqués après apéritifs et digestifs, nous avons rassemblé nos dernières économies pour payer les places de train. Quelqu’un nous avait conduits sur un quai en direction de Paris.
En arrivant à la gare de Lyon vers minuit, il nous restait juste de quoi téléphoner pour qu’on vienne nous chercher au bout d’un quai. Ce genre de rendez-vous marche rarement et ce fut le cas ce soir-là. Les retrouvailles se feront ailleurs.
Vers trois heures du matin, alors que nous arrêtions toutes les voitures de passage en faisant de grands gestes, j’ai retrouvé ma compagne dans les rues du Plessy-Robinson. L’une d’entre elles était la bonne : la voiture de son père tournait au hasard dans le but de nous repérer.
Je repartais en direction de Levallois Perret, ma dernière escale. Inutile de vous dire que j’aurais été bien incapable de retrouver le chemin inverse le lendemain matin.
Heureux qui comme Paul et Simon ont fait un long voyage, et puis pleins d’usage et raison, sont rentrés dans leur village vivre le reste de leur âge. C’est en galérant du côté de la banlieue parisienne que l’on comprend le bonheur de se trouver du côté de Savalè, tout près de la vallée d’Archigna. On ne se perd pas par ici, c’est plus rassurant. Ce sont les lieux de notre enfance, c’était notre « appel de la forêt ».
T’en souviens-tu, Paul ?