Rivales.

Dans la même barque pourtant.
Elles travaillaient en étroite collaboration, l’une était psychomotricienne et l’autre psychologue. Deux belles femmes, chacune dans son genre.

La psychomotricienne, comme sa fonction l’indique était bien dans son corps. Un corps de rêve, parfait pour le mannequinat. La démarche légère, la tête toujours haute, la coiffure en bataille et le sourire permanent. Elle était avenante et attirait comme un aimant. Bien que superbe fille paraissant très sûre d’elle, elle masquait sa fragilité sous une apparence pimpante et envolée. Son visage sec, émacié comme travaillé au ciseau de sculpteur était criblé de grains de beauté bien distribués pour augmenter son charme. Ses mains dont les doigts restaient crispés, prêts à empoigner on ne sait quoi, trahissaient sa fausse assurance. Le vernis toujours passé à la hâte n’était pas du plus bel effet. Cela surprenait qu’elle ne fût pas attentive à l’image de ses mains pourtant vivantes et toujours en démonstration de quelque chose, en quête perpétuelle. Bref, une personne magnifique fragilisée par la présence de l’autre. Elle préférait faire cavalier seul dans son ensemble de cuir crème, pantalon et petit blouson, pour afficher sa superbe, en ignorant sa rivale.

La psychologue, n’avait pas sa beauté et s’était lancée dans la bataille de la séduction. Elle y allait à fond pour rivaliser à armes presque égales. Elle usait de son sourire charmeur plus que de raison. Ses yeux d’un bleu profond, entourés d’un frisotis blond vaporeux, accrochaient bien la lumière pour se muer en lagons de rêve. Elle le savait et en jouait, battant des cils pour vous attirer et vous noyer dans son regard intense. On y nageait volontiers et lorsqu’elle percevait cet abandon, elle libérait un sourire complice à vous faire plonger plus vite. Mais ce n’était que parade vaine destinée seulement à effacer sa rivale. Elle avait des atouts aussi, légèrement enrobée portant mieux la jupe que le pantalon. On devinait à sa tenue, souvent une robe ample et bariolée de gitane, qu’elle était décidée à charmer le voisinage. Ses mains légèrement potelées étaient toujours impeccablement bien soignées, le vernis nickel, tentaient de suggérer la douceur infinie dans la caresse. On avait du mal à le croire tant son envie de vaincre était visible. Seul, son index droit qui présentait une nodosité provoquée par l’usage intensif du stylo, affichait un maigre défaut. Elle était capable de vous coincer entre deux portes, vous soulever le menton avec un doigt pour vous hypnotiser comme la grenouille devant le serpent et vous embarquer dans un duel intense de regards qu’elle aimait bien gagner. Elle était la reine des velléitaires avec ses défis pour de faux et ses abandons en pleine ascension.

Epeire diadème.

Tout allait s’amplifier le jour de l’arrivée d’un stagiaire. Un personnage étonnant. Chargé de diplômes dont on n’a jamais connu la teneur, le derrière aplati par les années d’études contrairement à celui de notre chère psy, bien rebondi malgré ses longues années de fac aussi. Il se disait archi diplômé masquant ainsi sa fragilité, une grande timidité. Tout l’éloignait de sa future fonction. En apparence, du moins. Le cheveu lustré de gras, une barbe broussailleuse jaunie par l’usage intensif de la pipe qui lui donnait un air d’intellectuel, le pull toujours piqueté de tâches d’huile comme s’il avait participé à une bataille de frites, le pantalon froissé, les ongles rongés très bas et un sigmatisme* très marqué d’enfant de fin de maternelle qui n’a pas encore mûri sa fonction articulatoire. Souris sur le gâteau et non cerise car elle rongeait l’image de son parcours universitaire, il était champion de la faute d’orthographe. Pas une phrase n’y échappait. Sans exagérer, c’était un minimum de trois ou quatre par phrase et chose très étonnante, il mettait des affiches partout avec des citations commentées. Le roi de l’aphorisme piqué dans le tiroir des grands auteurs. Il obtenait l’effet inverse de celui recherché, au lieu d’impressionner les instituteurs, il perdait, à leurs yeux, toute crédibilité. On les voyait, pointant les fautes, se toucher du coude en se mordant les lèvres.

Son bagage de psychologue systémique avait impressionné notre clinicienne. Lors des pauses, il sautillait sur le trampoline de la salle de jeu en mimant Cupidon décochant une flèche en direction de sa tutrice du moment. C’était attendrissant de les voir, lui cherchant à toucher sa cible et elle battant des cils, les faisant papillonner comme si elle avait reçu la flèche en plein cœur. Notre psychomotricienne n’avait aucune chance, d’ailleurs elle s’en fichait les encourageant à se rouler ou se ressourcer dans ce jeu puéril.

La conclusion, je la connus quelques jours plus tard : « Qu’il est con, mais qu’il est con ! » me dit-elle.

Que c’est difficile d’être adulte lorsqu’on doit faire grandir des enfants.
On les appelait psychologues et psychomotriciennes, leur construction encore en gestation.

*Sigmatisme, interdental dans son cas. C’est un défaut d’articulation qui consiste à passer systématiquement la langue entre incisives pour prononcer certains sons Ze pour Je ou Se notamment. (Zézaiement)

2 Comments

  1. Des portraits sans concessions mais sans méchanceté, le genre humain est très amusant à observer (de loin parfois c’est préférable) et les jeux de la séduction dans le fond sont toujours les mêmes.
    J’aime beaucoup la petite araignée qui illustre cette page avec beaucoup d’à-propos 😉

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