Remise à neuf d’un texte de l’ancien blog (2015)
En cette fin d’après-midi, le ciel était brioché. Il n’avait pas la couleur d’un couchant sur une viennoiserie, mais chaleur et humidité après l’orage avaient fait gonfler les nuages.
Ils semblaient « jouffler* » sous l’effet d’un levain qui fait monter une pâte encore grisaillée avant la cuisson.
Un ciel original, dont les moutons se serraient les uns contre les autres, dans un instinct grégaire, prenaient le large.
A l’horizon, le plus pur des azurs, légèrement foncé, gagnait de l’espace… Bientôt tout sera lavé et le bouton de la machine affichera son scintillement qui annonce la fin d’un lessivage.
Un soleil éclatant d’orange déclinera vers le coucher.
Ce matin, le jardin était plus pimpant. les pieds de courgettes devenus malades à crever semblaient sourire à nouveau.
Un renouveau de courte durée sans doute car l’oïdium qui enfarinait le limbe de leurs feuilles sera à nouveau fleuré* par le vent.
En une nuit, les légumes asphyxiés par la canicule ont profité de ce coup d’éventail provoqué par l’orage de la veille.
Une température plus respirable a rendu l’espoir au jardin.
Je sais que le retour des rayons brûlants, demain matin, n’arrangera pas les choses.
Les melons ont pris le melon aussi. Ils ont grossi dans le secret d’une nuit arrosée, de manière étonnante.
J’étais content mais ce feuillage encore humide, jalonné de grosses gouttes comme des perles transparentes, n’annonce rien de bon.
Tous les éléments sont réunis pour favoriser une attaque fongique.
Le salut comme la calamité viennent du ciel.
Il faut reconnaître que la nature est plus riante lorsqu’arrosage et chaleur sont au rendez-vous sans trop d’exagération… Le tuyau posé au pied d’une plante n’a pas la même efficacité malgré la bonne volonté des légumes de saison.
Les jardins ne sont pas toujours à proximité d’un ruisseau, d’une source ou à portée d’un trop plein de fontaine comme jadis.
Nos ancêtres le savaient et ne jardinaient pas n’importe où.
Nous n’avons plus ce recul empirique qui remettait les choses en place, avec des observations sur le terrain, au fil des ans.
Nous sommes moins nomades aussi, assujettis aux endroits choisis pour les constructions dont les critères privilégiés sont plus visuels et d’agrément que portés sur les jardins.
Je suis sur une colline aride exposée au soleil du matin au soir, je m’en sors plutôt bien mais je rêve des potagers de mon enfance, si frais, si productifs et si variés.
Dans la nuit, un souffle est passé au-dessus de nos têtes.
Un lessivage suivi d’un pénible et lent coup de balai m’a laissé le temps de me souvenir :
Hier encore, je courais pieds nus sans me soucier du temps qui passe.
Hier encore, je filais vers le ru de Funtanedda pour y plonger les jambes jusqu’aux genoux dans la boue pour en sortir chaussé de bottes qui séchaient au soleil…
J’ignorais que Chronos, perpétuellement, file vers le bout de la vie comme un dératé.
Je ne cours plus après lui, j’ai le loisir de le regarder passer, de me souvenir et d’apprécier le vent qui s’amuse.
Tout me ramène dans le passé, si riche, si plein.
J’ai de quoi tenir des décennies avec mes souvenirs. Une seule me conviendrait mais le temps reste muet, désespérément.
Il ne sait rien, ce n’est pas son affaire.
Il ne fait que passer et ne revient jamais sur ses pas.
Alors, résigné, je m’en vais avec lui, prêt à sourire encore.
Et encore.
Un jour, il me lâchera en chemin.
Pour aller où ?
Je l’ignore.
Vous le savez, vous ?
*Jouffler. mot de mon invention pour signifier que les nuages prennent bonnes joues.
*Fleurer. En cuisine, action de jeter de la farine sur une table de travail ou sur un pâton pour que la pâte n’attache pas en l’étalant.
Bonus, le petit plus qui n’a rien à voir…
Belle page, toujours poétique et pleine de sagesse, celle qui vient de l’ancien temps et disparaîtra avec le fromage sans lait présenté en tube, pourquoi pas, et qu’on dégustera, je suppose avec du coca cola…
🙂
Pour le fromage 😉