Zapping !

Des bons moments mais aussi bêtisier et toujours des images, des rencontres inoubliables.

Ma vie a été jalonnée de coups chanceux. J’ai très peu enseigné dans des classes.
Au tout début et à la fin seulement de ma carrière… Entre les deux, vingt-cinq années à traquer la difficulté pour essayer de sortir les enfants de l’impasse.

Mon premier poste fut une chance éclatante : une école d’application rattachée à l’Ecole Normale de Versailles.
Tous les enseignants étaient des maîtres formateurs, j’étais le seul intrus.
Les élèves, à bonne école, étaient d’une facilité incroyable, au point, et je vous assure que c’est vrai, de tester la fonction exponentielle au CE2 sans, évidemment, en dire le nom. C’était une « commande » de l’Ecole Normale.
Les parents étaient preneurs, les enfants très en verve, les programmes en recherche permanente sur une année ou deux, en vue d’améliorer les manuels. Un professeur de mathématiques et un autre de psychopédagogie chapeautaient la conduite des affaires.
Nous avions la matière à étudier durant la semaine, à nous de trouver le chemin pédagogique et chaque fin d’étape, nous nous réunissions pour analyser nos résultats.
Les réussites, les échecs et les cheminements divers des enfants. L’échec dans une classe ne l’était pas forcément dans l’autre, l’approche différente témoignait de la marche à suivre. Nous en discutions et arrêtions une stratégie pour vérifier l’efficacité de la démarche. Ce fut une année éblouissante nous étions assistés en classe par les professeurs, observateurs qui jugeaient également du choix de notre pédagogie.
Un souvenir inoubliable et une sacrée rampe de lancement pour moi.

Laurent était le plus âgé de la classe mais suivait parfaitement bien. Un mois après la rentrée, il me demanda l’autorisation de placer son banc au fond de la classe contre le mur. Bien que trouvant la demande curieuse, j’acceptai.
J’arrivais tout frais de ma Corse natale et m’exprimais avec moult gestes parasites et cela n’avait pas échappé à notre ami. A l’abri des regards des autres élèves, un drôle de dialogue s’est installé entre nous. Il m’imitait pendant les cours faisant les mêmes gestes que moi et mine de parler en remuant les lèvres. Je l’ai accepté sans broncher de crainte que toute la classe ne s’en aperçoive. Parfois, je m’approchais de lui, faisais semblant de lui tirer les oreilles et lui simulait le cri douloureux mais aphone en étirant le cou. Nous étions entrés dans un sketch muet très intimiste, rien que pour nous.
Cela a duré quelques jours, le temps qu’il s’en lasse. Personne n’avait jamais rien remarqué de notre manège.
Un jour je reçus la visite de sa mère, un peu étonné. Elle me serra la main, me fit un sourire et repartit aussitôt en disant : « C’était juste pour vous voir, mon fils n’arrête pas de me dire : viens voir mon maître comme il est marrant… »
J’avais les moustaches pointées au ciel, à la Salvador Dali mais nettement plus fournies et le sourire permanent, je crois.

Puis les rééducations individuelles avec des enfants en souffrance scolaire.

La rencontre avec Alan le trisomique qui s’amusait de me voir en difficulté lorsqu’il m’annonçait qu’il allait me cracher au visage, à chaque séance. Il se raclait bruyamment la gorge faisant mine de tout lâcher, sans jamais passer à l’acte.
Armand, dans ses moments de colère, transformait ma salle en champ de bataille en se prenant pour un chien furieux totalement incontrôlable.
Ramatou qui voulait toujours faire le ménage en retournant tous les livres sans jamais se rendre compte du changement, rien ne la surprenait. La logique était pour elle un truc inexistant, seul le plumeau avait grâce à ses yeux.
Le fennec insaisissable, au début de notre rencontre, me parlait de dieu. De son ubiquité et de l’usage qu’en faisait sa maman.
François, intelligent mais fâché avec les livres, faisait toujours diversion. Qu’on lui indique un bon de cerises et le voilà parti aux fraises : « Elle est belle ta salle, tu es locataire ou propriétaire ? »
Cet autre trisomique qui devait regagner son taxi et s’arrête au beau milieu de la cour déserte pour faire ses besoins… Je le suivais depuis la fenêtre de l’étage pour favoriser son autonomie et me voilà dévalant les marches quatre à quatre pour le conduire à bras, pantalon baissé, jusqu’à la haie toute proche pour éviter que des regards mal intentionnés n’aillent ameuter l’école…
Julien fâché avec la logique, attentif, criait « Euréka ! » alors qu’il n’avait rien compris. (Une belle histoire trop longue à raconter ici)
Frédéric se donnait des coups de poing sur la tête pour faire entrer les mots.
Fabrice, le gladiateur affrontait les phrases à coups de trident…
Tartarin des Mureaux me racontait ses joutes épiques avec les éléphants qu’il attrapait par la queue, les lions également tenus par le même appendice, et les faisait tournoyer au-dessus de sa tête. C’était durant ses vacances au Maroc. Un Tartarin gringalet, très maigrichon faisait régner la terreur parmi les animaux sauvages. J’ai compris pourquoi et nous en avons parlé ensemble.
Hélène venait dans ma salle prier Dieu afin qu’il lui donne la force d’apprendre ou à défaut de cela, au moins la santé. Hélas, son dieu qu’elle adorait en venant servir ma messe matinale était bel et bien sur terre. (J’ai décrit dans le détail toutes ces aventures, il y en a d’autres, dans un recueil intitulé « Escapades »)

Des rencontres qui vous enrichissent une vie et vous remettent constamment à votre place. Regarder en face, écouter, entendre et accompagner. Parfois la réussite, lorsque vous parvenez à atteindre vos objectifs, souvent des avancées ou du sur-place moins réjouissants.

Et puis, un jour, comme Ulysse plein d’usage et raison, j’ai souhaité retourner dans mon département d’origine pour y apporter ma contribution durant le dernier quart de ma carrière, il était temps !
Ce fut une autre histoire et une fin surprenante.
Alors que j’avais demandé un poste convenant à ma fonction, tous occupés, je me suis retrouvé dans l’école de mon enfance à deux cents mètres de ma maison. J’ignore toujours les raisons de cette affectation. Une nouvelle aventure a commencé, je connaissais les parents des mes élèves. C’était une nouvelle histoire avec une approche encore totalement inédite. Lorsqu’on a vécu à côté du grand-père ou de la grand-mère, forcément ça change. Je connaissais leur mode de vie et me trouvais dans la position d’un médecin de famille qui sait tout du groupe familial. Je me retrouvais loin de Tartarin des Mureaux dont j’ignorais le mode de vie secret.
J’ai terminé ma carrière dans mon village natal que j’avais écarté de mes vœux en cas de non poste adapté à ma fonction.

J’ai rencontré Catherine qui me tenait dans ses bras lorsque j’avais quatre ans à la maternelle. Aide maternelle, elle était encore en activité à cause de nombreux couacs administratifs qui l’ont obligée à prolonger sa carrière. Nous sommes partis à la retraite ensemble et j’aime la retrouver dans sa famille qui a tant aidé mes grands-parents et mes parents lorsque je n’étais pas là.
Des moments de joie simple, non pas à refaire le monde, mais à faire revivre notre passé.

Déjà vue de nombreuses fois mais c’était nécessaire pour le paragraphe.
Ecole maternelle au village dans les années 50.

L’école est assurément une bonne chose, elle a été toute ma vie…
J’y suis entré en maternelle et n’en suis jamais sorti, je n’arrive plus à la quitter… et ça me plait.

Photo en titre : Ma première année dans l’école de mon enfance.

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