Au risque de faire fuir…
Une fois n’est pas coutume. Je vais changer de registre, cela peut intéresser les enseignants mais chacun peut faire le même voyage, je ne pense pas que ce soit trop barbant.
Je vous ai réservé une surprise pour la fin, vous expliquer le tableau.
Au collège de Lévie, avant le Lycée…
Je pédalais dans la semoule.
L’orthographe est probablement la matière la plus controversée de l’enseignement. Il y a les « pour » et les « contre » et ceux qui s’en fichent parce qu’ils nagent, bien plus qu’ils n’ont un avis tranché. Cette discipline est le monstre du Loch Ness de l’école, qui remonte périodiquement à la surface. Tout le monde en parle et personne ne parvient à le cerner. La crise est sporadique, elle se met en dormance pour un temps en attendant un nouvel accès de fièvre.
Que faut-il en penser ? Nous n’avons guère avancé d’un millimètre hormis quelques allègements tirés par les cheveux. Il serait bien sympathique de laisser les choses en l’état en se montrant tolérant pour les plus réfractaires sans en faire toute une histoire.
J’en sais quelque chose pour avoir été très longtemps le champion toutes catégories de la faute d’orthographe. Au point de monter en grade progressivement pour atteindre le stade « super-lourds » des tuméfiés des mots. J’en ai souffert en silence mais pas tant que cela, peut-être avais-je cette faculté de relativiser qui n’est pas chose commune.
Le plus étonnant dans l’affaire, et cela en étonnera plus d’un, bien que lecteur très tardif avec séquelles indélébiles, également solide « estropieur » de mots, je m’étais spécialisé dans la rééducation de la lecture et de l’orthographe en prenant en charge les cas les plus difficiles pour soulager le reste de la brigade. Cela m’a conduit à inventer des jeux, fabriqués à partir de certains besoins détectés dans les difficultés de ces enfants. J’avais intégré le chemin de croix avant de découvrir celui des autres. Connaître le parcours pour l’avoir pratiqué longtemps facilite grandement les choses.
Prenant mon bâton pour le Compostelle de la rectitude des mots que l’on dit « Orthographe », je suis parti sur les chemins avec toute une flopée d’enfants. Dans les sentes, nous nous respirions l’air pur de tolérance, nous apprenions la patience et de la découverte permanente, précieuse qui se retient plus facilement. Nous faisions des haltes nombreuses pour nous reposer, nous remonter le moral en nous asseyant dans les hautes fougères, ça sentait bon le champignon moussu… L’école doit être une promenade le plus longtemps, le plus souvent possible.
L’idée a germé dans mon esprit, bien avant de me trouver dans une classe pour une application de mes idées, in situ. Je n’imaginais pas me retrouver un jour dans ce cas de figure. Cela faisait plus de vingt ans que je n’avais enseigné dans une classe.
Pourquoi ne pas chercher une stratégie d’approche différente de la pratique courante plutôt que renoncer trop facilement en écartant tout ce qui constitue un obstacle comme courir un 3000 m steeple en supprimant toutes les haies et barrières… Les mots ont leur ADN, une richesse cachée dans leur histoire, leur étymologie, au point de vous forger un état d’esprit solide. On cède trop vite au découragement.
J’avais arrêté une méthodologie stricte dans un écrin de velours. Cela faisait des années que je fourbissais ma stratégie. J’allais pouvoir enfin la mettre en pratique, hélas, ce fut ma dernière année, alors qu’il fallait la poursuivre bien plus temps pour la rendre efficace.
Une chose est certaine, la matière ne tolère, ni ne résiste à l’approximatif.
Il faut du temps, du travail, de la méthode.
Cultiver une certaine logique en se persuadant, tout de même, que la victoire est peut-être au bout de l’aventure. Plutôt promettre le plaisir qu’engendrer la répulsion pour que chacun y fasse sa récolte.
Voici quelle était mon idée.
La première étape est toujours psychologique. Il faut s’assurer que tout le monde va donner le meilleur de lui-même. Il est donc nécessaire de placer tous ses atouts dans le jeu ou du moins y croire un peu sans s’encombrer de « hou la la !» défaitistes.
Dans une première approche, et cela prendra plus de temps pour certains, nous devions mener un combat contre la peur de l’orthographe et de la dictée en jouant avec les mots.
Les élèves fragiles étaient sollicités plus souvent que les autres. Au tableau avec une brosse à la main, l’enfant écrivait des mots sur un rythme imposé pour ne pas trop réfléchir, cela devait rester automatique, intuitif. La correction intervenait instantanément soit par le fait des autres élèves, soit en intervenant moi-même. L’enfant « admirait » le mot correctement écrit et effaçait d’un coup de brosse rageur le mot scélérat. Rires, amusements. C’était la règle, rester dans la confiance en soi et le respect de ceux qui échouent plus souvent. Ces moments dédiés à l’orthographe étaient porteurs d’un état d’esprit, d’une tranquillité, utiles à la bonne construction d’une personnalité. Bel effet ricochet !
L’enfant avait le pouvoir d’éliminer, c’était lui le chef. En aucune manière les mots ne devaient sortir gagnants. Nous apprenions à relativiser. Ces jeux ne s’éternisaient pas, ils devaient rester vifs et limités dans le temps. Cette phase était très importante par son côté ludique qui donnait le ton léger pour dédramatiser l’exercice souvent redouté. Après quelques séances de ce genre, la peur s’estompait, chacun évoluait dans une atmosphère plus sereine. Certains en redemandaient, encore et encore…
L’étape suivante consistait à demander à chaque enfant de se souvenir de l’année passée. Quelle était sa réussite en dictée ? Faisait-il peu de fautes ou beaucoup ? Le but était de se jauger pour ajuster ses progrès ou réduire ses échecs au fil des séances et de l’année. Chacun travaillait pour sa propre gouverne en restant maître de ses avancées, prenait son destin en main, devenait responsable de ses productions. A chaque dictée, les enfants se donnaient un objectif bien notifié sur le cahier, juste avant la dictée : « Objectif personnel : moins de… » (5, 8, 10, 15 fautes…) Chaque enfant se donnait une marge selon ce qu’il lui semblait possible à réaliser. A la fin de la dictée l’enfant notait la mention « Objectif atteint ou Objectif non atteint ».
Evidemment les bons élèves et certains autres savaient jouer sur le curseur sans que j’intervienne trop, devenaient vite autonomes. En revanche les plus faibles avaient tendance à rester dans un créneau très large et hésitaient à resserrer la marge alors que le principe consistait à fermer progressivement le robinet des fautes lorsque les progrès survenaient. Même en progrès, ils souhaitaient garder le plus de latitude possible, un confort rassurant, c’est à ce moment que j’intervenais pour les encourager à jouer le jeu. Ils avaient la possibilité de relâcher un peu le robinet dès qu’une fragilité apparaissait. Le but suprême était de parvenir, au bout d’un temps plus ou moins long, au créneau « moins de cinq fautes » et de s’y tenir le plus longtemps possible. Ce qui nous importait, c’était la réduction de la marge fautive. Le curseur était stabilisé au cas par cas, à mesure que l’enfant naviguait au niveau raisonnable qu’il s’était assigné. Après, c’était à chacun d’aller plus loin et s’y maintenir.
Voilà donc pour l’état d’esprit et une fois de plus, c’est plus simple à mettre en pratique qu’à expliquer par écrit.
Exemple : Tel enfant habitué à faire des fautes se donnait une marge importante, moins de vingt fautes par exemple. Cela le rassurait et souvent il gardait cette marge même lorsqu’il avait progressé. Il était donc invité à réduire sa marge, ce qui le plaçait en situation moins confortable. Ainsi de suite, jusqu’au seuil de « moins de cinq fautes » final. C’était l’objectif visé, chacun y parvenant à son rythme. A ce stade, il n’était pas interdit de resserrer ses visées, moins de trois… et même tenter le « zéro faute », la fois d’après. Voyager dans la marge finale sans en sortir si possible. Le principe était raisonnable sans garantir quoi que ce soit, bien évidemment.
Le zéro faute devenait pour certains source d’angoisse, la peur de refaire des fautes, là était la question pour les plus fragiles.
Il restait donc la partie immuable, incontournable sur laquelle on ne peut tricher, c’est la rigueur et la régularité dans l’exercice. Ce dernier doit être suivi, répété.
Voici comment je procédais.
Selon les niveaux, j’établissais une liste pour l’année de mots invariables. Je choisissais cinq mots que nous étudions rapidement avant la sortie de l’après-midi. Les enfants devaient apprendre ces mots par cœur. Le lendemain, chacun trouvait sur sa table cinq ou six petites phrases dans lesquelles il fallait inscrire correctement les mots appris. En plus de l’orthographe, j’exploitais le sens abordé la veille car les mots invariables n’étaient jamais livrés tout crus. Il n’était donc point besoin de les dicter, aux enfants le soin de trouver leur place en procédant par le sens de la phrase.
Un exercice rapide, le rythme est très important en l’occurrence, on ne traîne jamais en longueur.
Exemple : Mots invariables vus la veille (parfois, souvent, toujours, jamais)
Il m’arrive ——- d’écouter de la musique, pas ——– . (parfois et souvent tolérés pour le premier mot)
Le soleil se lève ——- du même côté, ———, il ne fait marche arrière.
Ce qui importe dans ces exercices c’est de gérer sur le vif les subtilités qui peuvent se présenter sur une phrase sibylline, rapidement pour la clarté, c’est l’intégration du mot invariable qui prime, avec l’état d’esprit généré, le reste passe facilement.
Les premières dictées étaient préparées, parfois extraites d’une lecture, et toujours, que ce soit avec les mots invariables ou les dictées, on revenait dessus certains samedis, sans prévenir, avec la visée suivante : « Que me reste-t-il de la dictée numéro… ? »
Chacun faisait le point. A-t-il fait plus ou moins de fautes que la première fois ? Tout était matière à réflexion rapide sur soi. Sans s’appesantir après le constat. C’est très important de voir et de revoir car rien n’est définitif. Lors de l’expression écrite, nous veillions aussi à la rectitude des mots. Au fil du temps, le bain devient permanent.
Chacun avance à sa manière, son rythme, ses possibilités, point n’est besoin d’en faire une affaire, c’est un travail qui ne porte ses fruits qu’avec le temps. C’est pourquoi, il aurait fallu poursuivre cet état d’esprit au moins deux ou trois années de plus pour les plus fragiles.
Le système restait ouvert, pouvait être modifié, amélioré à la faveur des effets produits, un mouvement permanent.
Il y a sans doute des idées à piocher, à modifier ou à refonder, dans cette démarche.
L’orthographe n’est pas la simple affaire d’un moment à passer plus ou moins douloureusement mais l’affaire de la communication, de son intelligibilité, l’affaire de l’écrit dans son ensemble.
Ce qui a rebuté les personnes qui ont pris connaissance de ma manière de procéder, c’est le travail, important, qui s’y rattache.
Il faut créer, inventer sans arrêt, être au plus près de ses élèves, et chaque année, se conformer au nouvel arrivage.
C’est un mouvement, un renouvellement permanent, l’amour et la joie d’enseigner en formant des esprits libres.
Quant à l’image dans le titre, plutôt que geindre sur des règles barbares, songez que pour ces mots compliqués, c’est de l’art.
Considérez-vous comme un pro Picasso, ou non, de l’orthographe, souriez plutôt que d’envisager de cacher ces seins que vous ne sauriez voir.
Si j’ai pu les apprendre, c’est que c’est possible, dans mon cas désespéré ce n’était pas gagné d’avance, il y avait matière à s’arracher les cheveux.
De grâce, si vous découvrez une faute au passage, ne vous attardez pas dessus, gardez l’essentiel, je ne suis pas l’inconditionnel du zéro faute mais de la vigilance seulement… Quoique, vigilance a ses faiblesses aussi !
Alors « Orthograve »* ? Non, non « Orthobrave » et ça ira 🙂
*l’idée « Orthograve » m’est venue de mes rééducations de la confusion des sons chez certains enfants.
Les confusions entre consonnes sourdes et sonores étaient reines, le P/B, C/G, T/D et le F/V dans le cas présent (PH/V).
Des confusions très faciles à réduire lorsqu’on connait le processus labial, apico-dental (bout de la langue contre les dents), vibration des cordes vocales pour les sonores…
Je vous assure que c’est plus facile à appliquer en présence d’enfants, ils comprennent leur problème, qu’à décrire le processus, avec précision, à des adultes.
Allez, je vous laisse tranquille(s) et vous souhaite un bon dimanche de repos bien mérité 😉
Mais vous savez que vous arriveriez à me donner l’envie de retourner à l’école, moi qui détestais tellement ça! 😉
🙂
Certains élèves que je revois, déjà pères ou mères, me disent : « Je retournerais même maintenant avec vous en classe ! »
Lors de mes quatre dernières années, de retour au village dans l’école de mon enfance, le directeur venait me voir et me disait : » Je peux rester un peu au fond de la classe ? » Il était heureux comme un enfant, son visage riait 🙂
Si vous saviez comment je pratiquais l’expression écrite… Même après ma retraite des enfants venaient à la maison pour finir une histoire, cela a duré six mois, j’ai dû trouver un moyen de mettre un point final à l’histoire qui n’en finissait plus.
Un soir, juste avant Noël, certains sont venus poser un arbre de Noël devant mon entrée, décoré de guirlandes et de boules diverses, je n’ai eu qu’à brancher. (Embarqué sur la camionnette d’un papa)
J’ai même inventé une discipline, « Le corse au secours du français » pour trouver les finales muettes de certains mots. (U porcu = le porc – un portu = le port – u fronti = le front – u maestru = le maître (pour l’accent circonflexe) ne sont que quelques exemples rapides…)
Mon cerveau bouillait en permanence, il fume encore 😉
L’école c’est formidable, on y apprend la liberté et enseignant c’est épatant.
Merci Al.
L’orthographe est bien sûr compliqué mais plus régulière en français, je dirais, qu’en anglais. Dans tous cas, bravo pour avoir inventer un nouveau système d’apprentissage.