Il fait très chaud, quelle idée saugrenue de faire une soupe calorique !
Après tout, je m’en fiche, je fais ce que les envies me commandent.
Levé à l’aube, juste après cinq heures, je fus attiré par un morceau de lard, un morceau de panzetta plus précisément. De la poitrine de porc séchée.
Dans les secondes qui suivirent, j’étais transporté dans l’enfance du lard.
Grand-mère lorgnait souvent sur ces plaques de lard qui pendaient au plafond, accrochées à un clou fiché dans la poutre maîtresse.
De temps en temps, presque en cachette, elle se hissait sur la pointe des pieds, son couteau préféré à la main, et tranchait une bonne partie de la plaque pour la faire griller dans la cheminée.
Certes, c’était en hiver.
L’été, elle prélevait des petits morceaux pour fourrer ses tranches d’escalope de bœuf pour en faire des alouettes sans tête, avec beaucoup d’ail et de persil.
Ah, les alouettes sans tête ! Qu’est-ce qu’elle aimait bien dire ce mot ! Ses yeux pétillaient à l’idée de nous régaler de ce plat longuement mijoté comme une daube. La sauce toujours à base de vin rouge et de concentré de tomate maison qu’elle appelait « a cunserva ». Une forte odeur de laurier se dégageait dans le fumet, curieusement plus atténué au goût. C’était sa marque de fabrique.
A cunserva était confectionnée avec les dernières tomates bien mûres du jardin. Des fruits qui séjournaient un temps dans des jarres pour maturer jusqu’à moisir un peu en surface, passés ensuite à travers un grand tamis en pressant avec les mains. La pulpe récoltée était enveloppée dans un linge blanc propre, après salaison. Le torchon attaché façon balluchon était pendu à la treille qui ombrageait la porte d’entrée. L’excès d’humidité était exsudé au goutte à goutte durant plusieurs jours. La matière presque sèche, à la consistance d’une pommade, était entreposée dans des récipients en terre cuite avec quelques feuilles de laurier plantées au cœur de la marmelade. Une cuillère à soupe suffisait à colorer et parfumer un plat longuement mijoté.
Ce matin, tout cela m’est revenu à l’esprit. Il n’en fallut pas plus pour imaginer une soupe avec des légumes du jardin, des pommes de terre, une courgette, et des haricots verts congelés. Un poignée de lentilles, faute de haricots blancs, deux petites tomates bien mûres, du sel du poivre et des gros cubes de panzetta avec la couenne. Quelques épices de mon choix.
Je n’ai pas résisté à la tentation du morceau de lard. J’ai fermé les yeux en pressant la langue contre le palais, le morceau fondant s’est écrasé sans résistance réveillant du même coup toutes les papilles endormies. Ce goût magique de l’enfance me fit bondir dans le passé. Chaque papille applaudissait l’autre, et toutes se passaient la nouvelle dans un ravissement palatal à faire chanter le temps qui passe.
Voyez ma délectation déjà, et ce n’était qu’un bout de lard, Seigneur !
Ce soir, je vais me replonger totalement dans l’atmosphère de notre vieille chaumière.
Par la pensée, je serai à table avec mes aïeux. J’entends déjà grand-père s’émerveillant à l’odeur du fumet et ce seront des grands frrrt pour faire vibrer la soupe jusqu’au fond du gosier.
Lorsque l’enchantement vous anime, d’une simple soupe élémentaire, vous en faites un film à l’italienne…
Frrrt ! Frrrt, vous entendez ce chant de la cuillère ? Et quel goût !
Plus souvent, on parle de soupe « à l’ossu di prizuttu ». encore faut-il avoir l’os de jambon ! Avec la panzetta au goût moins fort, on peut rêver…