Parfois, je me prends pour un indien, ou pour un inuit, en fin de vie.
Je m’imagine allant au bout du maquis comme eux vont au bout d’une prairie ou dans un coin reculé de la banquise, pour y vivre seul mes derniers instants.
J’ai l’onirisme facile, l’onirisme d’évasion.
Je rêve sur commande, je m’invente plusieurs vies et je choisis mon agonie.
A ma convenance, c’est plus agréable.
Je tempère la douleur ou l’efface à ma guise sans la supprimer totalement pour que le rêve ressemble un peu à la réalité.
Je suis parti un soir à la brunante, à l’abbruccatu comme on dit chez nous.
Le temps était calme mais un peu frisquet comme je l’aime.
Un coucher de soleil tranquille s’achevait. L’astre déclinait lentement pour suggérer une extinction douce, sans à-coups.
Je me suis assis sur un rocher pour regarder les étoiles s’animer une à une, à mesure que le ciel s’assombrissait, puis clignoter comme si elles m’envoyaient des messages. Des appels silencieux presque malicieux et complices. Une invitation à m’envoler vers l’inconnu, vers l’obscure voute céleste où brillent les étincelles du mystère.
Aux confins des galaxies, là où personne ne va, où personne ne sait, où nous sommes tous égaux par notre ignorance des choses pas par notre savoir défaillant.
La lune était plus éclairante que d’ordinaire, pleine comme un disque allumé mais moins diserte que ses compagnes scintillantes, bien plus vivantes malgré leurs éclats minuscules si lointains.
Peu bavarde, avec son visage lunaire et mollasson, Séléné semblait sourire et jouait l’énigmatique.
Malicieuses, les étoiles clignotaient sans être à l’unisson, chacune invitant à imaginer son secret.
Un nuage impoli passa, moucha l’astre nocturne puis s’en alla au large d’une une coupole mystérieuse pour intriguer les petits êtres qui lèvent les yeux au firmament.
Les autres vivants, dans leurs pensées terrestres, la tête rivée vers le sol, ne savent pas imaginer ces horizons perdus dans l’énigme universelle.
Une étoile filante décocha sa flèche, signa sa trace blanche puis disparut. Une autre, plus lente, se mut en clignotant. Lentement, elle sautillait dans la nuit, c’était un aéroplane qui transportait des voyageurs vers d’autres horizons. Ils ne savaient pas que je les imaginais perdus dans cette immensité silencieuse dont les cris aphones sont jeux de lumières.
Un autre nuage passa et tira un rideau opaque. Il installa son voile gris sombre pour un bon moment sur le lampadaire lunaire. A côté, les étoiles devenaient plus vives et jouaient à « moi, moi, moi ! » pour qu’on se perde davantage, ne sachant plus où planter les yeux ni vers quel astre s’envoler. J’allais m’endormir… A la faveur d’un souffle léger comme un coup d’éventail furtif, je me suis ressaisi pour un retour sur terre.
Un hibou vient de passer.
Son vol est lourd mais silencieux. Il s’est posé dans le châtaignier, son poste d’observation habituel, il bouboule pour me saluer. Il sait que je l’ai beaucoup célébré dans mes élucubrations blogueuses et blagueuses.
La rivière en contre-bas chuchote en continu comme une musique de fond qui anime « bruitamment » la scène nocturne. Une brise légère fait frissonner les arbouses, grelots muets dont on aurait étouffé le tintement.
Mouvements et chuchotements s’harmonisent afin que le tableau sonne juste comme il me plait.
Et puis, alors que je ne m’y attendais pas, j’ai basculé dans Vire-Temps.
Ce monde où tout se résume en un court laps de temps. J’ai vu le printemps et les autres saisons défiler rapidement. Les cyclamens et les violettes, la huppe qui me rendait sa visite annuelle. Le merle facétieux qui s’ébrouait dans une flaque d’eau me faisant croire qu’il s’entraînait pour des jeux olympiques. Puis vint le temps des tomates, des concombres et des aubergines. Les citrons papillons s’en donnaient à cœur joie et les mésanges bleues se disputaient les poires Williams poinçonnant les plus mûres de leur petit bec gourmand. L’automne a surgi avec ses figues, son raisin puis ses noix, ses châtaignes… La neige s’est mise en mode douceur, déversant avec une lenteur infinie ses flocons vagabonds. Tout était blanc, uniforme. Le ciel assombri, épais, masqué par un brouillard impossible à traverser se muait en cercueil paisible, ouaté, doux, pour accueillir une vie qui s’en va…
Une vie qui s’achève, je ne sais où elle se posera.
Là-bas sans doute… dans cet endroit resté secret.
C’est la vie qui passe et ne laisse pas toutes ses traces….
C’est à Vire-Temps que j’ai pris le dernier virage, une grande ligne droite blanche se dessine devant moi, elle me semble livide.
Tout au bout, peut-être le Néant.
J’aime ce chassé-croisé entre l’ici et l’ailleurs, où passé et présent se mêlent intimement dans le récit, sans déranger l’entendement.
Je m’amuse à traverser le temps et l’espace, pressé de raconter l’inventé, le probable, l’improbable et l’impossible possible, ce que je ne saurai jamais…
Alors, je m’invente des voyages qui se perdent dans l’infini bien avant que tout ne soit fini.
Mes mots transportent des idées de flanelle, des idées vaporeuses, légères, faciles à brandiller dans un temps qui se fiche d’emmailloter passé et présent, embrouillées dans un futur qui n’arrive jamais…
Nous sommes tous égaux devant ce mystère, mais très peu savent en parler avec poésie et tant d’infinie douceur…
Et toujours avec vos photos ce rappel à la vie, si belle! 🙂
Votre texte me rappelle l’un des plus beaux livres que j’aie lus de ma vie, je crois que c’était Retour en terre de Jim Harrison, un homme qui s’éloigne pour mourir…Un Indien 😉
Un jour je vous raconterai, une histoire qui étonnera… Je ne suis pas encore prêt 🙂
Quant à l’égalité devant le mystère, je suis du même avis, c’est pour cette raison que je l’invente, pour m’amuser et non par peur…
Le pape n’est pas plus avancé sur l’idée de Dieu que le plus ignare de ce monde, étonnant qu’il ne le dise pas, il le sait 🙂
Vous allez faire un scandale chez les bigotes, Simonu! 😉