Traits dans le sens de flèches.
Je dis souvent que j’ai eu beaucoup de chance dans ma vie.
Il y a des chances qui n’en sont pas et dont je me serais bien passé.
Je vivais le plus discrètement du monde. Comme aujourd’hui, on me voyait peu.
On me connaissait par échos, de réputation.
Cela me valut, un jour, l’étonnement d’une personne habituée à papillonner, à occuper l’espace pour faire du vent : « Ah ! C’est toi Simon ? » Quelle surprise la pauvre !
Pauvre petite dame, elle était déçue et s’attendait sans doute à rencontrer un de ces artistes à la mode qui servent le rêve, entretiennent fantasme et plaisir virtuels.
Elle ne savait pas ce qu’elle perdait, Eole est ainsi fait, il passe, souffle et se perd dans la nature…
J’étais donc tranquille dans mon coin à faire mon travail avec l’implication que vous savez.
Par un courrier de ma hiérarchie, j’ai appris que j’avais été choisi pour faire partie du jury aux examens de rééducateurs en psychopédagogie (orthophonistes de l’époque) et que mon rôle serait de défendre le candidat. Comme un ennui n’arrive jamais seul, car c’était un ennui pour moi, j’apprenais du même coup que je devais recevoir des stagiaires en formation.
Passer de l’ombre à la lumière n’était pas la meilleure nouvelle.
J’aime bien qu’on me laisse la paix lorsque je ne demande rien.
Juré aux examens, cela n’a pas duré bien longtemps. Cinq journées seulement, je n’ai pas pu m’y faire pour de multiples raisons et de surcroît, j’ai eu beau défendre l’indéfendable, je n’étais tombé que sur des cas d’école qui ne méritaient pas qu’on s’attarde davantage sur eux.
Seule une bonne sœur, dans une école privée a vraiment trouvé mon soutien tant elle était sincère et attachante tout en étant à côté de ses pompes rééducatives. Il n’y avait pas danger pour les enfants mais ses rééducations, plutôt ses incantations, avaient certes une vertu affective mais affichaient un néant pédagogique pour un quelconque apprentissage. A la limite, elle aurait pu rééduquer des enfants parfaitement équilibrés sans les gêner le moins du monde. J’avoue que cette expérience m’a plutôt dérangé. Au-dessus de son bureau, une sainte vierge d’une tristesse à mourir trônait comme si elle avait pressenti son échec. Malgré les arguments que j’ai pu avancer pour lui donner sa chance avec la note minimale en suggérant de renforcer sa formation, elle s’effondra en larmes face au verdict négatif infligé par le jury. Elle avait cinquante et un ans, persuadée de tenir la couronne, elle avait préparé un petit cocktail qui fut suivi avec une grande tristesse.
J’ai adressé un courrier administratif pour signifier mon désir de ne plus figurer dans ce genre d’opération. J’ai été rayé de la liste sans aucune résistance, je vous l’avais dit, j’étais chanceux, tout roulait… Je sais que d’autres, en jouaient car figurer sur l’affiche était leur plus grand plaisir.
Il me reste le souvenir de trois stagiaires, les plus marquants.
Le premier, un homme de dix années plus âgé que moi, d’une grande culture mais intrigant au prime abord. C’est sa femme qui vint se présenter à moi pour le décrire, pour le protéger. Le couple était curieux. L’épouse protégeait le mari et ce dernier faisait le shoping avec elle pour l’habiller car elle n’avait aucun goût pour les fringues, disait-il. Il la trouvait mal fagotée. J’étais mis au parfum de leur mode de vie lors des deux prises de contact séparées.
Dès la première séance, j’ai été surpris par son comportement. Il semblait souffrir durant les séances et son attitude paraissait ambiguë. J’ai cru que c’était passager, ses premiers pas en la matière.
A la deuxième séance, il est arrivé avec un foulard en soie rose et plein de bagues aux doigts. Il m’a aussitôt avoué qu’il était homo et qu’il se sentait mal à l’aise sans son look préféré. Il m’a appris que sa femme était au courant et qu’ils vivaient encore ensemble pour s’épauler mutuellement. Son épouse était devenue sa mère, un rôle qu’il tenait aussi, à sa manière, avec elle.
J’avais la nette impression qu’ils se servaient de moi comme d’un thérapeute. Un confident dont chacun attendait un retour. Je n’entrerai pas davantage dans le détail de leur vie privée. Ce fut pénible tant il déversait son angoisse sur mon monde.
Un jour, alors que j’étais allé chercher un enfant dans sa classe, il avait quitté la salle, apparemment. Je n’ai rien pu faire avec cet enfant tant il était troublé, agité, très peu réceptif. J’ai dû le raccompagner au bout d’une quinzaine de minutes. Au retour, le stagiaire était assis à sa place et m’expliqua que c’était de sa faute. Se sentant très mal à l’aise, il s’était caché sous le bureau, ce que l’enfant avait sans doute perçu, intrigué par des bruits bizarres… Ce fut une expérience difficile à gérer, sur le plan humain, psychologique et même déontologique car certains comportements avec les enfants étaient limites. Nos supérieurs étaient parfaitement informés, il avait demandé un entretien à son inspecteur pour se dévoiler… Ce n’était plus de mon ressort.
Au sortir de cette épreuve car s’en était une, je n’ai rien cherché à savoir de plus.
Un jour, débarque une jolie fille pomponnée, en jean moulant, très à l’aise et très sûre d’elle. J’avais l’impression d’être chez elle et non elle chez moi. Elle n’a profité de rien, n’a rien appris. Elle était passée faire son temps obligé et puis c’est tout.
Elle était toute en séduction, toute superficielle, toute fringues et falbalas. Une tête de moineau à gâcher ses atouts physiques incontestables. Le genre de personne belle et conne à la fois à vous refroidir un bataillon. Elle m’a même demandé un jour, alors que nous faisions le point sur les séances, si j’avais le temps de m’occuper de ma femme avec tout ça. Sans me démonter, je lui ai rétorqué que non seulement je m’occupais de ma femme mais que je pourrai même m’occuper d’elle. Heureusement, conne comme elle était, elle n’a pas réagi et cela m’a bien arrangé car je crois qu’elle m’avait tant glacé que j’étais congelé. Pris à mon propre piège j’aurais fait chou blanc, blanc bec assurément.
Elle n’était qu’en mission de séduction, non en formation, sans rien approfondir… Quel gâchis !
La plus belle rencontre, je la fis avec ma vahiné.
Elle arrivait de Tahiti avec un sourire radieux à transformer chaque bas quartier en paradis terrestre. Lorsqu’elle paraissait le matin, rayonnante, magnifique dans sa robe légère et flottante et son œillet tout frais dans les cheveux, ma salle s’illuminait. L’œillet chamarré rouge et blanc, qu’elle portait du côté droit de sa chevelure, ne faisait qu’augmenter son charme naturel, incomparable, quasiment imparable.
C’était léger, aérienne dans ses pas.
La jeune dame était saine de corps et d’esprit. Son sourire engageant ne cherchait aucun autre effet que celui de rendre la vie plus lumineuse et plus agréable. Tous les matins de son séjour, j’entrais dans un autre monde où tout semblait sans problème, sans difficulté… Elle ne lançait que des rayons de soleil sur l’environnement.
Même les jours de pluie rappelaient les cocotiers et la plage exotique.
Elle vivait tant dans l’atmosphère paradisiaque que le moindre effort pour comprendre la difficulté d’un enfant l’épuisait rapidement.
Transplantée dans un autre monde, elle paraissait déboussolée : « Ce n’est pas comme ça chez nous, c’est trop compliqué pour moi ce que tu fais. Je n’y arriverai jamais. »
Ses habitudes étaient plus cool, moins prise de tête, un sourire lui suffisait mais nous n’étions pas sur son île… Lorsqu’elle est repartie, soulagée de rentrer à Papeete, elle n’y est probablement pas retournée pleine d’usage et raison.
Rien n’avait changé dans sa tête. Elle m’a salué avec le même sourire qu’en arrivant, un sourire à vous faire oublier tous les maux de ce monde.
Elle m’a offert une vingtaine (sic) de colliers faits de toutes sortes de coquillages, pour ma femme.
Il eut été dommage que cette belle créature vienne en métropole pour perdre ce qu’elle avait de plus précieux en elle, ce sourire apaisant qui vous parle d’une autre vie…
J’en ai gardé des séquelles heureuses.
Qu’est-elle devenue, cela fait quarante ans ?
Je crois qu’elle rayonne encore… et j’ai gardé ce scintillement pour que ce texte s’achève sur une note joyeuse.
Voyez-vous ces étoiles qui brillent et chutent mollement ? C’est joli !
La vie en roses.
Voyez-vous ça, Simonu est sensible au charme des vahinés 😉
On rencontre des tas de personnes dans la vie, surtout en région parisienne, riche en brassage de populations. Certaines passent comme des ombres et parfois on se souvient d’autres, que l’on a pas forcément connues longtemps.
Vos photos de roses sont splendides, un vrai plaisir des yeux 🙂
🙂