Heureux qui comme Roger…

… cultive son jardin.

Image dans le titre… Un jardin qui peut ressembler à celui de Roger.

L’ami Roger, que je ne connais qu’à travers la page Facebook, a cru détecter une lassitude, un lâcher prise, à travers mes propos un peu désabusés en ce qui concerne la poursuite du jardin.

Il est venu aux nouvelles et, surtout, avec l’intention de me remonter un peu le moral.

En effet, il y a quelques jours, je lui signifiais mes limites et mes doutes quant au jardinage, probablement sur ses fins en ce qui me concerne. Les ans commencent à me tirer les oreilles :
« Fais attention ! Tu n’es plus très agile ! Il n’y a plus d’eau ! Tu n’as plus l’âge de modifier ton jardin ! L’accès est difficile et le débroussaillement impossible pour toi, deux fois tu es tombé dans le ravin avec la débroussailleuse en marche que tu ne parvenais plus à la décrocher, dans une position délicate ! Tu aurais pu rester au fond sans que personne ne te voies ou déboîter ta PTH (Prothèse Totale de la Hanche) ! Calme-toi, mets-toi à l’aquarelle, fais plus de photos ! « 

Bref, je me suis fait sermonner par ma conscience que mon inconscience titillait pour la rendre plus persuasive encore…

Roger s’en est inquiété. Il m’a adressé un mot d’encouragement :

« N’abandonnez pas ! Faites-en moins ! Ne lâchez pas tout ! Les jardins ont besoin de nous ! Nous n’avons pas fini notre mission… » C’est en gros la teneur de ses propos, lui qui cultive son jardin dans toutes ses acceptions, le jardin potager comme son jardin de conduite de vie.

Cher Roger nous avons, probablement, beaucoup de similitudes dans notre philosophie et je peux vous assurer que je ne lâcherai pas tout, comme vous le pressentiez. Je ne pourrais pas. J’ai tellement eu peur de ne jamais revenir à la terre qui était mon but suprême, mon épreuve finale… Rendez-vous compte ! Rêver de retourner à la terre ! Alors qu’on la trouve trop basse, trop difficile à travailler, il est fou celui-là ! Oui, c’était mon rêve secret. Je ne pouvais imaginer quitter ce monde sans refaire les mêmes pas que mes aïeux. J’ai beaucoup aimé mon enfance au jardin, aux figues, aux noix et aux châtaignes. J’avais envie d’y retourner.
J’ai défriché patiemment un coin de maquis depuis plus de quarante ans en vue de ce retour à la terre, j’avais peur de ne jamais y arriver. Je craignais l’accident qui m’empêcherait ce retour et puis j’y suis parvenu. Cela fait vingt-cinq ans déjà que jardine.
Mon endroit n’est pas de tout repos. Il est pentu, piégeux, aride, exposé au soleil du lever au coucher, sans la moindre ombre. J’ai planté des arbres en prélevant des rameaux dans les environs et j’ai procédé par marcottage. Plein d’arbres fruitiers. Les petites filles en sont heureuses, les figuiers m’ont échappé, ils sont devenus énormes et se moquent de moi désormais. Le noyer me disait, il y a deux jours « Simonu, il est temps que tu me tailles ! » Il m’a toisé et a compris à mon regard un peu triste que je suis désarmé, vaincu par les broussailles, vaincu par les grosses tâches au verger…

Voyez-vous cher Roger, avant de recevoir ma prothèse de hanche, je souffrais beaucoup. Je bêchais en silence, serrant les dents pour faire taire la douleur. Je plantais à genou, me déplaçant à quatre pattes en regardant si personne ne passait par là. J’avais des difficultés pour me lever et je ne souhaitais pas qu’on me voie dans cet état. Toujours à quatre pattes, je me dirigeais vers le talus pour prendre appui et me relever. Parfois, je n’y parvenais pas du premier coup, je restais sur le flanc faisant semblant d’observer quelque chose… La photo au ras des pâquerettes c’était fini, si je me mettais à plat ventre pour cela, c’était la galère pour me relever. Je plantais une bêche à côté pour me hisser, me mettre debout.
Comment voulez-vous que j’abandonne tout alors que je vais nettement mieux ? Je ne souffre plus. Certes mes gestes doivent être contrôlés mais c’est possible encore.

Alors, je vais peut-être réduire mes activités au jardin en attendant que l’âge prennent définitivement le dessus. Je sais que je porterai un regard nostalgique du haut de ma colline, je contemplerai mes quarante années de labeur au jardin, je guetterai le coquelicot, je sourirai à l’iris et à l’abeille longicorne. Tout ce monde continuera à vivre pour le plus grand bonheur de mes albums…

Et puis après, lorsque l’heure du dernier aurevoir viendra… je ne sais pas, je ne sais plus.

J’irai voir du côté de la nuit, s’il existe encore un peu de lumière mais je crains que là-bas, les jardins soient artificiels… et ne fassent souffrir personne.
La fin d’un rêve sans doute.

C’était du maquis et des chênes, j’en avais fait une prairie.
Puis un jardin pentu.
Derrière la cabane au fond, le premier jardin, nettement plus élaboré que celui-ci mais tout aussi pentu.
Les arbres sont dans l’autre jardin, ici, ils sont encore jeunes et non visibles sur l’image.
C’était un mois de mars, il y a quelques années.
Cela semble facile vu ainsi mais lorsque l’herbe est haute on ne voit plus les chausse-trappes.
Chemin qui serpente pour accéder au fond du jardin.
Un peu étriqué, la pente est trop forte.

Merci Roger pour vos encouragements à continuer 🙂

4 Comments

  1. J’observe que beaucoup de gens de notre génération, dans mon secteur, renoncent jusqu’à envisager d’abandonner non seulement le potager mais le jardin qui borde leur maison, voire la maison elle même.
    Puis-je me permettre de partager le conseil de Roger. Il ne faut pas renoncer à tout pour ne pas rompre le lien avec la nature et le travail accompli en ce qui te concerne.
    Trop de ceux que je vois faire se fixent des objectifs trop ambitieux par rapport à leurs capacités et aux possibilités offertes par leur terrain et région. Ils s’y épuisent alors qu’ils devraient concéder à cette double contrainte, pour préserver l’essentiel du plaisir et peut être aussi pour l’harmonie avec la nature locale.
    Ainsi sélectionner des plantations peu gourmandes en eau lorsqu’il doit en manquer, choisir des espèces et variétés locales plus adaptées et moins gourmandes en soins, renoncer à la méticulosité en matière de désherbage sur des surfaces conséquentes, Tenter, pour voir, des techniques dispensant d’un bêchage épuisant voire risqué à raison de la topographie. Tu connais tout cela mieux que moi. Il y a assurément plaisir aussi dans cette quête pour qui a su sortir des sentiers battus dans d’autres domaines.
    Résumons : trouver les voies pour faire « la part du feu ».
    J’attends des nouvelles et des photographies des récoltes des prochaines années.
    Bien à toi.

  2. En regardant les photos je me rends compte du travail accompli, vous disiez un travail de fou, oui, c’est bien cela. Vous méritez le bonheur que ce jardin vous apporte, qu’y a t-il de plus beau que de faire pousser un arbre, de donner à la terre son harmonie. Je suis remplie d’admiration, Simonu.
    Vous en ferez un peu moins, mais ce qui est déjà là le restera (pour le plus grand plaisir des geais entre autres 😉 )
    J’ai aussi beaucoup apprécié le texte, plein de nostalgie et de force, merci.

    1. On ne voit pas les images du premier jardin, le jardin historique 🙂 bien plus travaillé, bien fini avec des passages stabilisés, le coin des poules (assez grand tout de même) et les arbres fruitiers.
      Je recommence bientôt à préparer le terrain pour l’année prochaine, les petits pois et les fèves prendront place début novembre…
      Merci Al, bonne suite 🙂

      1. Les petits pois je les aime crus avant qu’ils ne deviennent des billes toutes rondes: du sucre! que c’est bon! 🙂
        N’en faites pas trop, hein!

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