Loïc, neuf ans, avait pris du retard.
Réfractaire aux apprentissages scolaires, il ne savait pas encore lire.
Il était urgent de tenter une aide personnalisée, hors de sa classe, après un signalement trop tardif.
Son cas était pourtant facile à détecter, ce fut un mystère que personne n’ait songé à signaler ses difficultés nettement avérées.
Agir vite afin qu’il n’atteigne le point de non retour ou du moins celui à partir duquel les apprentissages se compliquent.
J’avais pris l’habitude d’écarter le langage psy de mes dossiers.
Une curiosité qui m’était sans doute propre, et pouvait surprendre.
Ma chance fut que mes supérieurs trouvaient cela plutôt parlant, des remarques qui mettaient en lumière le caractère dominant de l’enfant en laissant transparaître le comment de ses difficultés pour tenter de les contourner.
Le plus souvent, huit fois sur dix, je décrivais le comportement d’un animal sans attenter à l’intégrité et à la dignité d’une personne. Cela passait plutôt bien.
Une approche inédite, dictée par un instinct campagnard toujours bienveillant.
A partir de mes remarques, découlait une manière de procéder pour envisager une aide efficace. On n’agit pas de la même manière avec un timide, un renfermé ou un agressif.
Voici tel que je découvrais Loïc et tentais de l’apprivoiser en assouvissant ses penchants d’insectivore méfiant.
Pour le nourrir de lecture, il fallait lui présenter les meilleurs vermisseaux tendus du bout des doigts pour qu’il ose les humer avant de les croquer avec plaisir et plus de confiance à chaque nouvelle fois…
« Lorsqu’il était obligé de quitter son biotope, où bien luné, mal luné, il parvenait à vivre sans trop écorcher les autres, pour venir au su et au vu de tous passer son moment de rééducation dans mon agora, Loïc ressortait son instinct sauvage.
Tantôt hérisson se mettant en boule, les bras croisés bien collés contre le corps, le menton dans la poitrine, le nez pointé vers le sol, la bouche cousue, ne craignant ni chatouilles ni chants de sirènes… Tantôt porc-épic contractant ses muscles horripilateurs afin de hérisser ses piquants, presque prêt à les lâcher par salves sur un éventuel agresseur : Loïc se défendait ainsi, parfois retranché, parfois agressif.
Il détestait cette mise en lumière et se rebiffait sans concession. Il ne supportait pas de venir dans ma tanière, il préférait ronronner en boule dans sa classe où on lui laissait une paix royale. On le pensait irrécupérable.
La lecture se déchirait, s’effilochait sur cette herse redoutable. Les mots s’embrochaient et, vidés de leur substance, secs, retombaient sans âme à côté de sa chaise lorsque j’essayais une approche du lire.
A force de patience, Loïc se fit échinoderme puis bogue moins menaçante. Son nez sensible pointait plus souvent pour humer quelques livres que sa curiosité naissante repérait. Puis ses petites dents pointues d’insectivore commencèrent à briser quelques carapaces craquantes laissant beaucoup de débris autour de lui, appréciant çà et là quelques mots comestibles.
Lorsque sa confiance fut totale, entièrement libéré de son carcan hérissé, Loïc se mit à fouiner partout, à manger sans faire de miettes… et très vite, il suivit les chemins qui mènent à la lecture.
Oh ! Il avait bien gardé un fond d’instinct sauvage mais ne faisait plus que piquant de velours comme pour montrer à son monde que le naturel pouvait poindre à la moindre alerte, à défaut de revenir au galop. »

Vous avez su le caresser dans le sens du piquant 😉
J’avais intérêt !
Ça fait mal à rebrousse piquants 😉