La trace.

Aratasca n’est pas le nom d’une contrée lointaine mais un lieu-dit à quelques encablures du centre de Lévie en Corse du Sud. Un nano-village dont le côté ouest, qui nous concerne, est constitué d’une maison et d’une baraque en bois, quatre habitants dont deux permanents. Je suis le maire plénipotentiaire de cet endroit magique situé à l’aplomb supérieur de la  gorge d’une vallée où souffle le vent de la vie. Ces rafales qui montent d’Archigna battent les volets pour nous rappeler le mouvement dans un endroit calme et, d’ordinaire, désert.

On n’arrive pas ici par hasard, on y parvient par la certitude d’y passer un bon moment. Tout y a un sens, une histoire, une intention. Tout s’inscrit dans le vécu, le plaisir, l’insouciance, le carpe diem.

J’habite la maison « Casa Siki ». Le surnom de mon père. Battling Siki était un boxeur noir français d’origine sénégalaise (1897/1925) mort à l’âge de 28 ans assassiné de deux balles dans le dos. Il avait battu Georges Carpentier par KO à la 6 e reprise. Disqualifié par l’arbitre puis déclaré vainqueur vingt minutes plus tard sous la pression de la foule. Mon père était fortement basané. Il avait défié en combat à mains nues sur la place de l’église, un jeune du village qui l’avait insulté. Ce jour-là, l’assistance soutenait Siki contre Carpentier, chantant à la fin du combat : « De Siki à Carpentier c’est Siki qui a gagné ». Ce surnom le suivra toute sa vie, perdant au fil du temps, l’objet de son origine. Certains, même, pensaient que c’était son prénom…    

Cet homme qui n’a jamais su ni lire ni écrire était fier de ses enfants et le jour où il a appris que j’allais construire une maison, il était le plus heureux des hommes. La chose semblait impensable pour lui, nous croyant condamnés à la pauvreté. Il était déjà gravement malade et m’avait promis de s’occuper de mon jardin. J’ai bien essayé de faire avancer les travaux afin qu’il ne parte pas sans connaître la maison qui porte son nom. La mort a eu raison de notre volonté, il est parti avec des idées plein la tête. Il savait ce qu’il voulait faire, il n’a pas eu le temps. Aujourd’hui, il tourne près de chez nous. Je sais qu’il me reproche de ne pas bien entretenir le jardin mais qu’il est fier de voir que je cultive les mêmes légumes que lui et que je réussis plutôt bien en cherchant à reproduire les mêmes gestes.

Cette maison est modeste, meublée de manière hétéroclite parce qu’elle est lieu de vie et non de monstration. (La monstration est l’acte d’exposer, d’étaler de manière ostentatoire, un bien à la vue de tous pour afficher une condition, un rang…)

Ici on vit, on est,  sans chercher le paraître… On s’amuse avec le temps. 

Mon endroit préféré, que j’ai voulu et créé, est la Zinella. C’est là qu’on vit dès l’arrivée des jours cléments. J’y ai construit un four à pain que j’ai baptisé « SIMAN » une contraction de Simon mon prénom et d’Annie celui de ma femme. C’est autour de ce foyer que l’on passe les plus belles soirées.

Les gens qui me connaissent et partagent ces moments heureux savent que je suis resté un grand enfant. Lorsque je revêts mon écharpe de maire d’Aratasca c’est pour décerner des diplômes, distribuer des récompenses… toujours de manière inattendue. Ferdinand y a reçu « la brouette de platine », son frère Louis « le parpaing d’or », Sylvain de la baraque celui de « l’inventeur du barbecue à air pulsé et sans fumée », son épouse « la merguez de vermeille »… Des moments de plaisir avec toujours au-dessus de notre tête, le temps en filigrane : notre Carpe Diem. Que l’on construise un bassin et Ferdinand le manœuvre devient sur la pancarte : « Ferdinand connu pour ses travaux au Panama et au Costa Rica ». Simon Chiodetti « le contrôleur à l’œil avisé » dont on attend le passage avec plaisir. Louis, l’éternel bâtisseur est omniprésent, on y retrouve sa marque de fabrique dans chaque coin de notre contrée. Il est incontournable et probablement le meilleur témoin de notre vie de faux branquignoles.

Sylvain de la baraque qui vient passer ses vacances chaque été, m’avait offert une girouette et recevait un poème le jour de la pose de « la cigogne noire » :

La cigogne noire.

Ce quinze août 2003
Pour ne plus jamais avoir froid,
Une cigogne noire s’est posée
Sur le chapeau de la cheminée.

En ce jour de canicule,
Sylvain qui passait par là,
Avant même qu’elle ne gesticule,
Sur le bord du four se hissa
Prestement lui fixa les pattes
Afin que plus jamais elle ne parte.

Apaisée, notre cigogne secoua ses ailes
Et nous indiqua le vent.
Elle était désormais chez elle
Pour très, très longtemps.

Elle nous promit, bien que girouette
De ne pas prendre la poudre d’escampette
De nous rester fidèle
Ne pas fuir à tire d’ailes.

Bien fière sur ses longues pattes
Elle gère les tempêtes
Et fait circuler le vent.

Depuis cette année-là,
Les quatre habitants de la contrée ouest de l’Aratasca,
Fêtent régulièrement chaque 15 août :
Le jour de « la cigogne noire ».

A Sylvain et Danielle les rabatteurs de cigognes.

Et ainsi de suite, d’inaugurations en remises de diplômes on s’amuse comme des fous.

On ne dirait pas, mais ce n’est pas facile de gérer une administration comme la nôtre, une maison, une baraque, deux permanents, deux saisonniers… et toute cette paperasse pour de faux… cela dépasse la réalité. J’ai mon écharpe de vrai/faux maire élu à l’unanimité de ses quatre habitants. Une vie folle et que j’aime.

Là circule l’insouciance, la joie d’être ensemble pour célébrer la vie qui passe. On ne la laisse pas filer toute seule, on l’accompagne, on lui parle d’elle, de nous… Elle poursuit sa cavalcade, tantôt douce, tantôt cruelle. Elle ne dit rien, elle nous embarque, elle nous accepte dans son voyage qui nous mène au bout de nos rêves… ces rêves qui finissent dans le noir. Cette obscurité que l’on voudrait lumière et vers laquelle on part toujours sans savoir. Là-bas, dans ce pays qu’on ne connait pas, et qui peut-être n’existe pas, se perdent nos pas.

Naître c’est faire un pas vers la mort. Le temps d’un parcours, d’une vie, le temps d’être soi et puis s’en aller. Quoi dire ? Sinon qu’il restera le souvenir. Un souvenir transportable, qui ne prend pas trop de place et garde une disponibilité permanente pouvant ressurgir à tout instant. La personne disparue vous accompagne ainsi jusqu’à votre départ définitif. Elle aura vécu deux vies grâce au souvenir… et puis un autre souvenir naîtra dans l’esprit de qui vous aura aimé ou apprécié. De souvenir en souvenir, ainsi va la vie…  Mais mon Aratasca survivra dans l’esprit et le cœur de ceux qui passent là où j’ai laissé le souvenir, la trace.

Alors Aratasca ? Nom magique qui fait rêver. Sa consonance forte en « a » laisse poindre le mystère, en fait notre Alaska, notre Atacama, notre Ararat ?  Peut-être ou peut-être pas… mais, pour moi, un monde à lui tout seul.      

La nuit, par temps dégagé, depuis ma fenêtre, je vois les lueurs de Tirolu puis l’étoile et la lune transportent mon esprit très loin, là où se perdent les idées et où nait l’espoir. Entre l’orange et le bleu nuit s’étire le point d’interrogation qui mène au salut ou au néant.

1 Comments

  1. Aratasca, c’est le lieu ou tu vis, et ou aparemment tu te plais bien, le lieu ou tu fabriques des souvenirs et ou tu laisses ton empreinte, ou tu impregnes de magie chaque instant et chaque objet…c’est un nom que tu as inventé ou existait il déja? car je ne le connais pas, mais peut etre ai je oublié ce nom! en tout cas ce coin a l’air charmant…je savais que Siki était le nom d’un boxeur ,mon pere me l’avais dit lorsque j’étais gamine. En corse on a tous des surnoms, c’est presque une tradition et celui qui qui n’a pas un nom de rechange paraitrai presque suspect. C’est la aussi ou tu fais toutes ces magnifiques photos! en tout cas beaucoup d’entre elles…en tout cas je te souhaite d’en profiter encore de longues années ,et que ceux qui te succederont …dans tres lontemps … s’y sente auusi bien que toi.

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