Le jour de mes funérailles.

C’était un 2 novembre, jour des morts, cela ne pouvait mieux tomber. Il y avait beaucoup de monde dans le cimetière et la nécropole était fleurie.

J’y étais aussi, forcément. Bien emballé dans un sac à zip, le visage tourné vers les cieux.
J’avoue que je ne voyais pas grand chose et l’ambiance était triste à mourir.
Mort, je l’étais déjà, alors je pouvais sourire en cachette. Personne ne pouvait imaginer un défunt souriant. Rire c’était impossible, ils m’avaient blindé la mâchoire.

Dans cette obscurité très opaque, les souvenirs n’étaient encombrés d’aucun parasite. Et comme un paradoxe, tout était clair et limpide. J’allais pouvoir repasser mon film, tranquille, sans émotion. Je me suis aperçu que c’était impossible aussi. A quoi cela servirait de revivre un passé sans émotion ? C’est absurde.

Quelque peu cahoté, j’essayais d’identifier qui pouvait claudiquer ainsi, en portant le cercueil ? Ce n’était pas un villageois, aucun porteur ne claudique, peut-être un gars des pompes funèbres…
Depuis un moment, j’entendais la chanson « Je viens du Sud » que j’avais commandée. A travers ses paroles, je revoyais le cimetière que je connaissais par cœur. La musique me guidais aussi, « Je monte la colline où les pierres sont rangées. Je viens du sud et par tous les chemins j’y reviens… »

Puis ce fut le crescendo du boléro de Ravel. Tout avait été préparé, au moment où la musique s’emballe, je devais descendre progressivement au fond du trou, tout en rythme et saccades. Les contraires s’étirent et s’éloignent. C’est au moment des dernières notes que j’ai compris que tout était fini. Toutes ces belles images, la beauté des choses, toutes ces chansons, tous ces plaisirs… tout est bien fini.

J’entends les premières pelletées de terre qui chutent sur mon cercueil. Le bruit s’étouffe progressivement puis s’éteint. Je n’entends plus rien. Je dois être recouvert à présent. Je suis seul, livré à la nuit noire, à la nuit des temps.
Cette nuit définitive qui me questionne encore sur le vivant.
Pourquoi ? Comment ?
A quoi bon savoir maintenant ?

L’endroit est sombre mais paisible. Je crois que j’ai retrouvé mes ascendants, des amis. Ils ont l’air habitués, acclimatés, tranquilles mais déshumanisés. Ils sourient béatement, l’élan n’y est plus car ils ont perdu le temps. Ils ont perdu l’empressement, ils ont perdu le sens de l’ici et du maintenant.
Je suis encore trop frais, il me reste un peu de lucidité, c’est pourquoi je ressens tout cela.
Mon père est là, il sait tout de moi, il ne dit rien, il est perdu hors du temps, sans émotion.
Le sentiment est affaire de temps. C’est le temps qui commande et donne un sens aux choses périssables. Ces choses qu’on ne veut pas perdre ou qu’on souhaite voir durer encore un peu.

Tiens ! Voilà tante Marie. Elle passe et repasse devant moi sans un mot. Juste un regard, celui qu’on porte sur un inconnu, par simple curiosité.
Je suis interdit de parole, sans doute. Je ne peux m’exprimer.
C’était elle pourtant qui me connaissait le mieux. C’était elle qui n’avait fréquenté que la maternelle, qui me réveillait aux aurores et ne me lâchait que lorsque j’avais un livre à la main. On dirait que je l’intrigue, elle fait les cent pas devant moi, on dirait qu’elle se souvient, qu’elle fait des efforts pour retrouver sa mémoire, condamnée comme un Sisyphe à empiler ses idées qui s’effondrent aussitôt… Tous les autres, les inconnus, filent sans un regard.

Ce n’était pas la chaleur de l’accueil que j’imaginais. L’indifférence est omniprésente, des visages se déplacent en silence, jetant des regards toujours vides…

Une tape dans le dos m’a traversé le corps, une tape qui ne trouve plus d’appui. Je suis un ectoplasme. Une voix rauque, déshumanisée, d’outre tombe, me souffle : « Tu vas t’habituer aussi !».
Bizarre ! L’habitude hors du temps n’existe pas et « s’y faire » non plus. Je suis déçu. Ce n’est pas mieux que le néant. C’est fade, ce n’est rien du tout ! Ah si ! C’est du vent qui n’a rien à transporter, rien à soulever et dont on ne se protège même plus en cas de fortes bourrasques. Il passe son souffle inutile qui ne transmet rien, ne caresse ni ne claque. Un vent à bout de souffle, perpétuellement. Les âmes vont et viennent sans but, sans tristesse et sans joie. Neutres à pleurer, jamais inquiets.

Où suis-je ? Au purgatoire ? En enfer ?
Je n’en sais rien. Est-ce là, le pays de l’indifférence ?

Aïe, ma hanche ! Elle vient de craquer. Je changeais de position dans mon lit, la douleur m’a réveillé. Ouf ! Je suis soulagé maintenant, encore un paradoxe, c’est une vive douleur qui me sort du cauchemar. Ça fait mal mais c’est infiniment mieux ainsi. C’est l’émotion qui dit le temps, comme la joie et la souffrance.
Encore un peu de temps. Combien de temps encore ? Je n’ai plus une miette à perdre…

Après, je ne sais pas, je ne sais rien, je ne veux rien savoir.

On verra. On ne verra rien. Qui sait ce qu’on verra et si l’on verra quelque chose ?

Qu’il est bon de se réveiller en pleines funérailles pour encore aimer l’aurore et le crépuscule !
Ce jour, la mort a rencontré la vie pour me parler du temps…
J’avais tout faux dans mon cauchemar, peut-être…
Me voilà rassuré pour l’instant… Rassuré, encore une vue de l’esprit.

De mon emplacement, je verrai l’église de mon enfance comme sur l’image en titre.
Ce passage a été écrit d’un trait, je n’ai pas modifié grand chose, je voulais restituer cette atmosphère incertaine de celui qui se croit dans l’au-delà alors qu’il est encore sur terre.

6 Comments

  1. Sale cauchemar, mieux vaut ne pas trop y penser et profiter de la vie telle qu’elle est…
    Une nuit j’ai rêvé que tous ceux que j’aimais était revenus. Je pleurais de joie en disant: ha je le savais, c’était trop cruel pour qu’ils soient tous partis! …
    Et puis je me suis réveillée, et là ce fut le cauchemar quand j’ai compris que ce n’était qu’un rêve…

    1. C’est à travers ces récits que je délivre un peu de ma philosovie, la notion de temps et Cie.
      Un jour j’ai rêvé d’une rencontre avec moi petit. Il faut que je retrouve le texte.
      Le cauchemar inversé que vous évoquez, idée originale. 🙂

  2. Brrrrr Simon, quel rêve!! c’est un cauchemar plutôt..Depuis toute jeune, j’appréhende ce moment..cette finalité, j’évite de me poser des questions. Vous décrivez dans le détail..la mâchoire blindée..la hanche..ces gens qui défilent, indifférents parce que somme toute, la vie continue pour eux!Vous avez du être soulagé d’ouvrir les yeux sur une aube nouvelle..aube à chérir, chaque matin, votre texte le rappelle

    1. J’ai dépassé le frisson, Françoise.
      Je m’amuse à me rassurer alors que je n’en ai pas besoin, je me suis fait à l’idée, il y a bien longtemps.
      Sans fanfaronner, je taquine et puisqu’il faut y aller… allons-y allègrement. 🙂
      Bonne soirée Françoise et ne croyez rien à ce que racontent les cauchemars… Leur métier c’est de faire cauchemarder.
      Là-bas, on verra ou ce sera le néant 😉

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