Ma toute première enfance ne fut pas toujours une partie de plaisir. Ni pour moi, ni pour ma famille. Je me souviens de cette période difficile où tout arrivait de travers au point que l’on s’habituait au malheur comme d’une fatalité inéluctable.
Je reste persuadé qu’un tel vécu vous forge pour le reste de l’existence, soit une résistance à toute épreuve, soit une fragilité quasi paranoïaque. Je pense m’en être plutôt bien sorti ne succombant ni à l’une, ni l’autre de mes suppositions. Je crois avoir traversé une vie de plaisir et de sérénité car il me semble ne pouvoir retenir que le positif me débarrassant de toute rétention négative. Disons que je ne donne pas d’intention aux faits, ça me permet de ne pas me sentir visé par les incidents de la vie.
Je devais avoir cinq ans lorsque ma petite sœur décéda d’une cholérine, c’est ainsi qu’on nommait la déshydratation à l’époque. Puis ce fut le décès accidentel de mon petit frère l’année suivante. Nous descendions les marches du couloir, je le tenais par la main lorsque qu’il heurta violemment la rampe en faisant un geste brusque. Un coup à la tempe qui lui fut fatal. Ma mère était juste derrière nous, imaginez toutes les supputations si nous avions été seuls. La famille commençait à s’habituer au malheur lorsqu’une méningite faillit m’emporter aussi. J’étais un miraculé pour toute la famille qui ne redoutait même plus des séquelles éventuelles. Apparemment, j’ai échappé aux plus sévères… seule, une surdité unilatérale due à la médication me laissa le souvenir de cette période.
Je venais juste de me tirer de ce mauvais pas, encore en convalescence, que je fus renversé par une voiture puis traîné sur une trentaine de mètres avant que des gens n’interviennent pour bloquer puis soulever le véhicule. Le chauffeur s’était affolé et ne parvenait plus à réagir, j’étais accroché sous la voiture… heureusement, elle n’allait pas trop vite. Je me suis inquiété pour mon pantalon tout neuf qui venait d’être déchiré, oubliant mon scalp et une partie de la peau du bras arrachée laissant le muscle à vif.
Je me suis amusé par la suite, après un deuxième accident, à attendre le troisième pour ne pas faire mentir le dicton « jamais deux sans trois »… Il arriva à point pour rompre le signe indien. Je crois même l’avoir provoqué dans cette intention.
En revivant mon premier accident, je me souviens d’un camion de marque Saurer en stationnement devant un bar. Le moteur était en marche, c’était courant à l’époque, les chauffeurs quittaient l’habitacle en laissant ronronner leur véhicule… Le bruit ajouté à ma surdité récente et la précipitation a favorisé ma rencontre douloureuse avec une Rosalie Citroën. Ce qui me fit dire, bien plus tard : « Celle qui a failli m’ôter la vie s’appelait comme celle qui me l’a donnée ».
Je ne crois pas aux signes, je m’en amuse. Imaginez que ce fut le Saurer, c’eut été difficile de trouver un rapport. Ceux qui voient des relations partout s’en sortiront par un : « oui, mais c’était une Rosalie et rien d’autre ». Voyez, j’ai monté cette affaire de toute pièce et ne parviens plus à m’en dépatouiller. J’irai même plus loin, s’il s’était agi d’une DS de la même marque, déjà en vente à l’époque, peut-être la rencontre m’eut été fatale car je porte exactement les mêmes initiales.
Quand on a l’imagination fertile, la dérision pousse comme du chiendent.
Lorsque j’irai retrouver une partie de ma famille de l’autre côté du rideau, mais qu’ils patientent encore un peu, ils me diront si j’ai été fauché ou non une quatrième fois.
La réponse sera probablement oui, car la faucheuse ne sait faire que ça !
C’était le début d’une période plus souriante.