C’était au temps où l’on chantait à tue-tête après les matches de foot à Ciniccia : « Les enfants sans soucis sèmu di Livia et nous voici… » L’hymne du village qui s’entonnait, aussi, autour des comptoirs aux fêtes des villages voisins pour annoncer la goguette. C’était le bon temps, et tant pis si quelque esprit tordu me traite de passéiste, ce que je ne suis pas. J’ai suffisamment clamé mon épicurisme, mon « ici et maintenant » pour me permettre quelque entorse en ramenant le plaisir d’antan à notre bon souvenir. L’épicurien, l’hédoniste ne cherche-t-il pas le plaisir là où il se trouve quitte à le mettre au goût du jour ?
Les rues du village étaient vivantes, pleines d’activités de toutes sortes. Il n’était point besoin de parcourir trente kilomètres pour se faire rafraîchir la nuque. Paul était installé depuis belle lurette et son salon comme toutes les échoppes du coin, avait son ambiance particulière. Il y flottait une odeur froide de parfums mêlés qui avaient fini par créer un mariage original qu’un parfumeur créateur de fragrances n’aurait pas renié. Parfois les synthèses harmonieuses se créent d’elles-mêmes, par la magie de mélanges heureux bien qu’involontaires.
Paul s’occupait de nous les enfants comme des adultes. Il se faisait un plaisir de nous « arranger » les tifs et nous y étions sensibles, surtout lorsque nous commencions à courir les filles. Il nous installait sur une planchette posée sur les accoudoirs du fauteuil afin que nous fussions à la bonne hauteur. Les premiers temps, nous étions un peu inquiets car notre coiffeur se montrait plutôt austère, peu bavard avec nous et nous impressionnait de sa voix très grave, rauque. Il fumait beaucoup.
Quelques années plus tard, un nouveau coiffeur s’est installé à plusieurs centaines de mètres de là. Son père Achille, boulanger à la cuisson au feu de bois, arpentait les quartiers du village, le samedi, pour vendre à domicile ses canestri. Avec son béret, sa panière au bras recouverte d’un torchon immaculé, d’une blancheur irréprochable, il apparaissait dans l’entrebaillement d’une porte pour vanter sa production du jour perpétuellement de meilleure facture, à ses dires. Avec l’installation de son fils, l’homme aux canestri était devenu homme sandwich pour lui faire de la pub. Il avait deux slogans : « des canestri comme jamais, il n’en a faits » et « Jean Bati, le coiffeur qui venait du continent ». Lorsqu’il nous croisait en chemin, il nous interpelait : « Quand vas-tu te faire couper ces cheveux ? Ils sont trop longs. Va chez Jean Bati, dis-lui que tu viens de ma part, il te mettra plus de sent bon que Paul et puis, tu sais, Paul est capable de te couper les oreilles ». De l’intox et certains tombaient dans le panneau.
Nos deux merlans étaient entrés en concurrence pacifique, rivalisant à distance de la gomina et de la brillantine… c’était à celui qui aurait la meilleure réputation. Ils jouaient largement du brumisateur à poire, aussi. Cet appareil majestueux, plein de grâce avec son long tuyau souple qui donnait une élégance toute particulière au geste du parfumeur. Ce dernier se déplaçait derrière vous comme une ballerine avec un balancement aérien des bras qui jouaient au rythme de la musique des jets de parfum. Essayez donc de produire le même effet avec les bombes de laque. Evoquez la bombe et c’est déjà perdu d’avance…
Nous sortions du salon, frais, tout neufs… la brise s’en mêlait, nous caressant le pourtour des oreilles et la nuque devenus, soudain, sensibles à la vie.
Notre mémoire ne serait-elle que sélective ? Paul, Jean Bati et les autres ont dû marquer notre existence de ce charme qui refait surface aujourd’hui… tant d’années plus tard.
Le salon de Paul se trouvait quelques mètre avant la voiture de gauche. La photo n’a pas été prise à cette intention.
C’est juste Simon : austère et peu bavard, c’est exactement ce qu’il était. Aussi, rien ne sortait de son salon si quelqu’un lui faisait une confidence; c’était top secret même en famille, rien ne filtrait… discrétion absolue… tant et si bien que le maire de l’époque Jacques De Rocca Serra aurait voulu qu’il soit conseiller municipal , voire adjoint, ce qu’il a toujours refusé .La politique, il s’y intéressait mais dans son commerce, il reçevait des gens de partis différents par conséquent il n’en parlait pas.
Mon père a rendu de très nombreux services à ceux, malades, en particulier qui ne pouvaient pas se déplacer.Il a beaucoup travaillé, je me souviens certaines veilles de fêtes il quittait le salon très, très tard. Les gens venaient de loin, de tous ces petits villages où il n’y avait pas encore de route, qui se déplaçaient à pied. Tout une époque, dure, difficile , finalement pas très lointaine. de nous. Quelque part, je la regrette de certains points de vue. Puis, il ne faut pas oublier, Levie était peuplé en ces temps. Bref.. un peu nostalgique, moi ? je l’avoue.
A plus tard Simon et merci beaucoup.