Avec les réseaux sociaux et les chaines infos 24h/24, tout se sait dans l’instant et l’instant est vite dépassé par un autre instant encore plus urgent. Le communicant et le journaliste font du surplace, servant juste d’antenne relais avec son lot de parasites, d’infos mal réglées.
Les informations arrivent à une vitesse folle, balayant du même coup la règle des trois unités au théâtre, unité d’action, de temps et de lieu. Cette règle permettait au spectateur de suivre, de comprendre et de savourer ce qui se jouait devant lui. A l’époque de Molière, on avait compris que pour assimiler un évènement, le mieux était de le mettre dans son contexte, en présenter tous ses éléments de sorte que chacun s’en fasse une idée. Et, même de la sorte, il n’est pas certain d’envoyer les mêmes perceptions. Imaginez les dégâts, lorsque l’image défile, ou vous est servie en boucle, vous ôtant toute faculté d’analyse, tant ce bombardement devient intensif et parfois tendancieux.
Avec les nouveaux médias l’expression des trois unités se décline au pluriel, complexifiant les faits en les enrobant de célérité. De la sorte, le temps est devenu vitesse et dans la vitesse excessive on n’y voit que du feu. Les analyses sont tronquées, univoques, formulées, ce qui est beaucoup dire, à travers le filtre dogmatique de chacun qui ne se soucie même plus de savoir s’il a tort ou raison : le temps file, il file avec lui. On va, on vient, on passe à autre chose sans être certain d’avoir compris ce qui précédait…
Je me souviens des cours de philo, lorsque nous nous précipitions pour traiter un sujet. Nous avions une vue bien précise et nous foncions sur une vision unique du questionnement. Ce n’est que progressivement que nous prenions conscience de pistes multiples qui pouvaient s’offrir à nous. L’ouverture d’esprit a besoin de réflexion et cette dernière a besoin de temps.
Un réseau social tel que Facebook fait une consommation impressionnante d’infos frelatées, d’avis qui n’en sont pas, tout juste de vagues impressions capables d’être reniées quelques instants plus tard. On s’habitue au sensationnel et au tout cuit. On nage dans la caricature et on veut savoir tout de suite.
J’ai essayé de suggérer la prise de temps mais cela ne semble pas intéresser grand monde. J’ai envoyé une image avec la mention suivante : Voici une image banale, à priori sans intérêt. Reconnaissez-vous cette plante, faites vos commentaires, vous en saurez plus à 16h.
Quelques personnes se sont prêtées au jeu en cherchant à mettre un nom sur les fleurs. Personne n’a été intrigué par le début du commentaire « image banale, a priori sans intérêt ». On pouvait raisonnablement se douter qu’il y avait autre chose à trouver ou chercher. Non, personne n’a pensé cela… et puis, il y avait mieux à faire en allant voir ailleurs toutes ces apparitions soudaines, tous azimuts beaucoup plus amusantes, autant que jetables pour passer à d’autres. Quel gâchis de plaisir !
On a le regard de notre esprit du moment. Si l’on s’attardait un peu sur l’image, il y avait moyen de repérer quelque chose de bizarre, de quoi se questionner un peu et comprendre la signification de l’expression « a priori ». Est-ce trop demander ? Probablement.
Twitter semble fonctionner sur le mode de la pensée condensée. Un peu comme les aphorismes, à la différence énorme que les aphorismes sont le résultat d’une longue réflexion se trouvant, un jour, résumée en une ou deux phrases. Le résultat d’une maturation lente, une espèce de « Eureka » qui fuse enfin. Thierry Ardisson dirait twitter c’est tromper car ce n’est pas sucer. Sucer l’info pour mieux la savourer demande trop de temps… Un twitt ça fuse mais trop vite comme une éjaculation précoce.
Cette boulimie jouissive, ces petits cris intempestifs ont-ils à voir avec le plaisir ? Je ne pense pas, car le plaisir se construit, se donne, se prend et se renouvelle. C’est un partage du temps.
Avons-nous encore le temps ? Le temps ne change pas, il prend la mesure de notre état d’esprit. Heureux ceux qui ont encore le temps de regarder passer, l’instant, le moment, la durée, l’avance, le retard, la rapidité, la lenteur… ceux qui ont encore la conscience de pouvoir dire : je suis le temps donc je suis.
On se parle beaucoup mais
s’entend-on encore ?