La vie de château.

Une suite aux trois gares.

M. Ich qui nous avait promis un logement était une personne très attentive avec nous. Nous venions à peine de le connaître et voilà qu’il était dans la même classe avec un de mes oncles au lycée d’Ajaccio.

Pour parer au plus pressé, il proposa de nous loger dans le château.
C’était cocagne, il suffisait de descendre ou de monter quelques marches pour entrer dans la classe.
Vous imaginez que vivre dans un château pour éviter tous ces déplacements en train, nous paraissait un rêve.
On se voyait déjà dans une grande et majestueuse pièce avec des lustres luxueux aux pendeloques scintillantes et quelques candélabres dorés à l’or fin, ciselés par le sculpteur favori du maître de ces lieux.
Quelques vieilles bougies d’époque à peine raccourcies, parcourues par des stalactites adhérentes et jaunies. Des portes lourdes en bois massif de châtaignier, recouvertes çà et là de fioritures en cuir suranné, craquelé, incrusté de vieille poussière des siècles derniers.
Pourvu que l’odeur de la cire et peut-être de l’encens aient pris le dessus pour empêcher le remugle.
Une table immense et des chaises imposantes, à l’assise capitonnée, difficiles à déplacer, destinées à rester sur place. Chacun en bout de table, face à face, nous pensions occuper les places du roi et de la reine. Dans un coin de la table à la droite de Madame, une clochette qui serait restée muette faute de domestique en fonction. Nous étions prêts à nous en accommoder largement.
Peut-être trouverions nous quelques habits d’époque pour faire plus vrai. Mais passant côté chambre, s’il y en avait une, nous pensions qu’un tel accoutrement ne serait point commode pour jouer au mari et à la femme, l’effeuillage d’un autre temps aurait été trop fastidieux. Je risquais de m’embrouiller dans cordons, cordelettes, dentelles et boutons…

Bref, nous rêvions de la vie de château, ne serait-ce qu’une semaine, en nous regardant d’un air interrogateur, presque incrédules. Dans l’attente d’un vrai logement contemporain qui ne pouvait surgir sur un claquement de doigts, la transition chatelaine nous paraissait fort possible… Issu d’une famille de manants habitués à la chaumière et à servir les seigneurs du coin, s’entendre appeler Sire me mettait en joie.
Qu’il est doux de rêver d’une vie enchantée au sortir d’une galère…

Lorsque vint le jour de la visite, nous étions tout guillerets, heureux de ne plus avoir à se faire trimballer par le rail. Annie n’appréciait plus trop les tressautements vibratoires et les freinages intempestifs, elle attendait un enfant.

Nous fûmes conviés à visiter les combles. L’endroit était spacieux pour la partie commune. Tout autour, une série de loges, des sortes de geôles sans ouverture, avec tout juste une meurtrière à trois mètres de haut, inaccessible à la vue. Des murs épais d’un mètre et plus, de sorte qu’aucun tapage nocturne ne puisse atteindre l’habitant. Des toilettes à la turque, comme si des stambouliotes étaient venus jusque-là. Au beau milieu du vaste espace commun, une douche centrale avec un rideau qui en faisait tout le tour. Une espèce de cabine d’essayage qui laissait apparaitre les chevilles seulement. L’endroit servait de salle d’eau et d’évier pour la vaisselle. Toutes les loges étaient occupées par des apprentis instits, arrivés en masse dans le département qui épongeait sa carence en enseignants pour faire face à un autre arrivage massif venu d’ailleurs.

Il ne faut jamais rêver plus haut que son possible, la déception qui s’en suit est toujours trop grande.
Vous imaginez Annie déjà bien ampoulée du ventre en train de prendre sa douche pendant que deux ou trois pré-instits font la queue en rêvant de corps féminin ?

Non, il n’était pas possible de rester au château dans ces conditions de manoir, de mansarde ou de presque masure.

Adieu armoirie et belles tentures… Nous reprîmes le chemin de fer pour quelques temps encore.
Annie vomissait dans les buissons en gravissant la colline de Bècheville, je la tirais par la main pour gagner quelques secondes.
Nous arrivions toujours à l’heure, personne ne savait le calvaire que nous endurions.

Et puis un jour nous eûmes un petit logement dans une vieille bâtisse en ville. C’est là que nous connûmes la truculente Elise dont je vous raconterai l’histoire un autre jour.

Une autre vue du château de Quenza, le village est juste en-dessous, sur le versant invisible.
Une vue panoramique.

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