Vous connaissez Marcelle ?
Non ?
Si, si ! Vous savez, celle qui avait le rire facile comme sa mère.
Toujours pas ?
Pas grave, je vais vous raconter une anecdote et vous l’imaginerez très facilement.
Nous sommes du même village et j’étais loin de m’imaginer qu’un jour, on se rencontrerait par le plus grand des hasards, très, très loin de chez nous.
C’était un de ces jours dits « journées pédagogiques » censés nous apprendre ou du moins nous entrainer au métier d’enseignant.
On se réunissait certains mercredis toute la journée dans une école des Yvelines, quelques fois pour assister à un cours magistral avec une mise en scène digne d’une pièce de théâtre.
Je me souviens, d’une super enseignante qui nous avait émerveillés tels des enfants.
La séance avait commencé dans le couloir, on avait interdiction de pénétrer dans la salle de classe, nous devions nous mettre dans le rang des CP et suivre les écoliers.
C’était « Au théâtre ce soir » de bon matin.
Nous entrâmes en même temps que les élèves qui avançaient à petits pas feutrés, le doigt sur nez en soufflant un léger « chut » avec la tête enfoncée dans les épaules. Déjà, le suspens était à son comble avant la leçon. La salle de classe était plongée dans la pénombre presque absolue. Il y avait juste quelques rayons de lumière tamisée qui filtraient à travers des rideaux opaques. C’était le silence complet lorsque des petites lumières rouges, bleues, jaunes s’allumèrent et se mirent à clignoter au bout de quelques secondes. La maîtresse cachée quelque part lisait une histoire, tout aussi mystérieuse que le décor. Les enfants étaient émerveillés et nous déjà rompus aux brouhahas de certains amphis, étions redevenus des écoliers dociles.
A n’en pas douter nous étions bel et bien au théâtre.
Ce n’était qu’une mise en bouche, on tira les rideaux et la leçon qui faisait suite à l’histoire pu commencer. C’était du grand art.
Vous nous voyez, débutants, commencer ainsi nos leçons ? C’était comme si on nous demandait de réaliser un film à la hauteur de M. Hulot en n’ayant jamais vu une caméra.
Il m’en resta un petit quelque chose puisque le jour de mon CAP d’instituteur, j’avais introduit ma leçon de vocabulaire centrée sur le cirque et les amusements de rues, en lançant sur un vieux tourne-disques, la chanson « Les comédiens » de Charles Aznavour. Les enfants étaient très étonnés et très vite se retrouvèrent dans l’univers du texte qui suivait. Ce n’était pas réfléchi de longue date, l’idée me traversa l’esprit la veille seulement.
J’étais loin de la mise en scène de la leçon modèle mais cela fit son effet et surprit le jury.
Les journées pédagogiques qui me semblaient de pure forme portaient quelques fois leurs fruits.
Ce qui m’étonnait le plus c’est que l’on abordait toujours les mêmes problèmes sans jamais les résoudre. Je me souviens, bien plus tard lorsque j’étais de l’autre côté, c’est-à-dire du côté des animateurs de ces journées, avoir lancé à une inspectrice : « Si l’on continue parler de lecture par ce biais, je vous donne rendez-vous dans vingt ans pour exactement la même séance… » Deux ans plus tard, j’étais convié à une autre de ces journées, la même inspectrice me reconnut au premier rang, me pointa du doigt de manière ostentatoire et m’adressa un ferme « Vous aviez raison ! ». Personne n’a rien compris, nous si, car nous assistions à la même scène censée faire avancer les choses alors que nous faisions du surplace. Bref !
Revenons à Marcelle. Un jour donc, nous nous rencontrâmes à l’une de ces journées. Nous étions à la fois contents et surpris des ces retrouvailles villageoises. D’ordinaire, je me plaçais au premier rang mais ce jour-là, je n’avais aucune intention de m’ennuyer. Je savais Marcelle très sensible au rire, j’allais lui en donner du rire, pour qu’elle s’en souvienne longtemps.
Comme les inspecteurs, à cette époque, étaient très inventifs, le nôtre nous avait conviés à une leçon sur le beurre. Avec crème et baratte, il était décidé à nous faire pénétrer dans les secrets de la confection d’un bon produit de campagne.
Vous l’avez sans doute deviné, pas très adroit, il a fini par se tacher le costume. Une tache bien visible et bien méritée. Avec l’air pince-sans-rire de celui qui balance sans broncher, j’ai fait plusieurs sketches qui réjouissaient notre Marcelle lévianaise. Elle riait aux éclats, je me demande encore comment elle a pu s’éclater de la sorte sans être remarquée.
Era sbidicarata, sciacanaia, capulaia, morta di risa, elle passait par toutes les nuances du rire corse.
Je crois que ce fut mon meilleur festival comique sans jamais pousser le moindre gloussement, ni montrer la moindre risette sur mon visage.
La suite confirma que j’étais largué depuis longtemps car l’inspecteur m’invita à aller au tableau pour lire ma copie. Je venais d’obtenir la meilleure note à une réflexion écrite, il voulait que l’on m’entende. Evidemment, je n’étais pas au courant et m’avançais gaiment vers notre supérieur. Lorsque Annie (mon épouse) qui était aux premières loges me vit passer à côté d’elle, elle me toucha et dit « Non ». Me connaissant, elle se doutait que je n’avais pas compris. Je me suis arrêté net et regardant l’inspecteur dans les yeux, je lui infligeai le même « Non ! ». J’ai fait volteface et suis retourné à ma place. Un peu vexé, il annonça à la cantonade qu’il m’enlevait un point pour ce refus.
Je n’avais toujours pas compris.
En sortant, les autres collègues me trouvèrent courageux d’avoir tenu tête à celui qui jouait du pipeau durant les inspections. Ce n’était pas mon intention.
Il n’avait que la flûte à l’esprit et enquiquinait son monde en le faisant chanter et jouer du pipeau aussi.
Il ne m’a jamais fait chanter, ni jouer de la musique, c’est pourtant lui qui était chef du jury lors de mon examen final.
Il attendait la leçon de chant, point de leçon de chant, j’ai eu chaud.
Pas tant que ça, il m’aimait bien, c’est lui qui lança ma carrière.
J’ignore si Marcelle se souvient encore de cette « risata » (séance de rires), elle n’en était plus à ces éclats près !
Sur la photo, la mère et la sœur de Marcelle.
Bonsoir simon
Je suis la plume de marcelle pour te dire qu elle n a rien oublié de tout ce que tu as raconté dans ton texte et notamment le fou rire
Ellz est a levie confinee avec nous.
Bises a toi et â annie.
Bonsoir à vous trois,
Je suis bien content d’apprendre qu’elle n’a rien oublié. C’est une vieille affaire qui ne date pas d’hier.
Je vous souhaite bon confinement si je puis dire.
Je vous embrasse tous les trois.