Elles goûtent à tout, mes poules.
Bon d’accord, parfois, elles font les difficiles, elles boudent la nourriture que je leur apporte, elles se tiennent sur le talus en me regardant bizarrement et semblent m’interroger.
Je ne les écoute plus, sinon, je vais devenir gaga.
Ce matin, j’ai trouvé un vieux paquet d’amandes effilées qui avaient passé l’âge d’attendre qu’on s’y intéresse un jour.
Je leur en ai fourgué une bonne poignée sans rien dire.
Eh bien figurez-vous qu’elles ont tout picoré en quelques secondes.
On aurait dit qu’elles connaissaient le produit, heu, heu ! depuis belle lurette.
La rousse postée tout près du grillage m’a regardé et m’a interpellé :
- Où t’as trouvé ça ?
- Bah à la maison, dans un coin du buffet de la cuisine !
- Ça, tu n’en donnes jamais, hein ! C’est pour quoi faire ?
- Pour des gâteaux.
- Hè hè, des gâteaux, c’est pour ça que tu te portes bien !
- Je me porte bien, je me porte bien…un peu. Tu sais nous sommes confinés, nous mangeons beaucoup et bougeons peu.
- Confinés, c’est con quoi ?
- Confinés, ça veut dire obligés de rester à la maison en attendant que le coronavirus s’éteigne.
- Corona quoi ?
- Virus.
- Virusse, virusse… qui vit en Russie ?
- Non, c’est le nom de ces petits organismes qu’on ne voit pas et qui nous envahissent pour nous achever à petit feu et parfois vite fait. Tu te souviens de la grippe aviaire ?
- Grippe à qui ?
- Ah que je suis bête ! Tu n’étais pas née. Bon laisse tomber, parle-moi d’autre chose.
- Tu sais, le soir dans le poulailler, la Harco, la plus noire des deux, ne fait que de me piquer…
- On ne dit pas « que de me piquer »…
- Alors comment je dis, je dis rien ? Je la laisse faire ?
- Pique aussi ! Révolte-toi ! Ne te laisse pas faire, bon sang !
- Si je réplique, tu vas voir ton poulailler le matin, tu vas avoir des fientes partout.
- Et les autres qu’est-ce qu’elles disent ? Rien ?
- Elles rigolent. La Sussex a même avalé un duvet hier soir, « era capulata, morta di risa ! » (« Morte de rire », de temps en temps, elle me sort des phrases en corse) J’ai cru qu’elle allait y passer. La grise perlée, alors elle, la grosse pleine de pâtée, elle s’en fiche complètement. Elle ne pense qu’à manger. T’as vu comme elle est grosse ?
- Oui, oui, j’ai vu, elle se porte bien comme moi !
- Hé hé ! Tu m’embrouilles là ! Dis-moi, il te reste des amandes effilées ?
- Oui, j’en ai gardé pour demain.
- Tu attendras que les autres aient bien mangé et tu m’en files une bonne poignée ! (Clin d’œil appuyé)…
Le soleil était bien rasant déjà, j’ai filé à la maison.
Vous voyez comme c’est simple de meubler un confinement !
On se met dans un coin et on fabule.
On peut converser avec n’importe qui ou n’importe quoi, même avec des objets inanimés.
Les poules sont bavardes comme moi, elles engagent facilement une conversation.
Le seul risque qui existe dans cette affaire, c’est de passer pour un timbré.
Ce n’est pas grave, aucune chance d’être conduit à Castellucciu, le milieu médical a d’autres bestioles à fouetter en ce moment…
Et merci qui pour ce moment d’absurdité ?
Merci Simonu !



