
Ce petit garçon constamment collé à sa mère souriait tout le temps. Avant d’entrer dans la cour de l’école, il restait un long moment blotti sous l’aile maternelle prenant sa dose d’affection avant d’évoluer parmi les autres enfants. Craintif, il pénétrait dans l’enceinte scolaire à reculons, un comportement qui sans doute cachait quelque chose tant la séparation semblait difficile.
Olivier, nous l’appellerons ainsi, avait tout de l’enfant dénutri. Lorsqu’il arrivait en short, ses jambes squelettiques parcourues par un réseau de veines bleu soutenu et son visage émacié rappelaient les petits biafrais dévastés par la famine. Pourtant, il était vif. Au bout de quelques minutes lorsque sa mère s’était éclipsée, il sautait comme un cabri parmi ses camarades et devenait un petit garçon comme les autres.
Sa maman, plutôt bien portante gardait un sourire permanent accroché aux lèvres. Elle portait le paradis sur son visage de candide comme une innocente promise à l’Eden plus qu’à tout autre endroit éloigné du ciel. Cette Marie veillait sur son enfant Jésus et rien d’autre ne l’importait. A eux deux, ils personnifiaient presque la symbiose parfaite : toi pour moi et moi pour toi.
Le papa n’était guère plus sur terre. Un peu porté sur la bouteille, il habitait dans les nuages les jours de cocagne, mais tenait correctement son travail le reste du temps. Très attaché à son fils, ils se voyaient souvent malgré la séparation conjugale. Une vie compliquée…
Olivier, subissait quelques difficultés scolaires. C’était prévisible mais son sort ne semblait pas désespéré. Sa progression était plutôt encourageante, des progrès constants sans être fulgurants. Il savait lire, l’heure était à la compréhension fine. Il fallait lui construire un bagage lexical, améliorer les structures langagières qui lui faisaient défaut pour être à la hauteur de ses progrès mécaniques en lecture. J’étais confiant.
Un jour, sans que personne ne sache pourquoi, je vis débarquer dans ma salle une sorte de Sainte Trinité. On n’est jamais au courant de tout sur cette terre. Un médecin, une psychologue et une assistante sociale s’étaient présentés à l’école. Une visite inopinée, c’était un de ces jours où l’équipe se trouvait au complet, pour prendre des nouvelles auprès de la maîtresse de l’enfant. Apprenant du même coup que je suivais également l’écolier dans le cadre scolaire, la brigade souhaita me rencontrer séance tenante.
L’entretien m’a paru des plus singuliers. Sans aucune présentation sérieuse, le chef m’a bombardé de questions pendant que l’assistante sociale et la psy prenaient des notes. Un peu sous l’effet de surprise, mi-sonné, mi-étonné, je répondais mécaniquement, sans détails et sans hésitation. De leur suivi, de leur rôle, de leur passé avec l’enfant, rien, je ne savais rien. Rien du tout, c’était secret des Dieux. Avant la fin de l’entretien, j’allais comprendre l’objet de leur venue. Tout un dossier était prêt, il ne manquait plus que les signatures de l’école. Ils m’avaient découvert par hasard et une signature de plus, venant d’un intervenant dans la scolarité de l’enfant, ne semblait pas négligeable, peut-être… Ils eurent vite fait d’ajouter mon nom et ma qualification avant d’avouer que l’équipe socio médicale envisageait de placer l’enfant en famille d’accueil. Comme ça, de but en blanc, paf ! On me tendit un stylo pour que je signe aussi. J’ai refusé. Déjà agacé par cette intrusion intempestive et peu élégante comme si nous n’étions que pipi de sansonnet, je n’étais plus en humeur de dire amen. Surpris, ils le furent, habitués à avoir le dernier mot, l’école abondait toujours dans leur sens, systématiquement, à se demander à quoi servaient ces signatures automatiques de pure forme. Un peu impressionnés, un peu soumis, les enseignants ne prenaient pas le risque d’argumenter autrement, ni de s’opposer à l’impressionnante bombarde. Difficile d’aller contre l’avis d’une équipe semblant venir du ciel surtout en intervenant en bout de course lorsque tout est joué d’avance et qu’il ne manque plus qu’une poignée de signatures pour entériner une décision venue d’ailleurs.
De ce que je connaissais de la relation mère enfant, il me semblait que l’heure n’était pas au sevrage total mais plutôt à un accompagnement tel qu’il se pratiquait déjà avec une vigilance accrue sur la nutrition… Je n’étais pas au courant de tout car leurs secrets étaient bien gardés. Ce fut niet de ma part, non par opposition systématique mais parce qu’il me semblait que tous les contours n’étaient pas analysés…
J’avais le sentiment que ma signature n’était qu’un griffonnage de plus et sans intérêt ou du moins sans prépondérance dans la démarche déjà décidée dans leur assemblée. Un élargissement du consensus pour la forme, me semblait-il.
L’enfant fut placé en famille d’accueil. Il m’est arrivé de rencontrer la maman accablée par une tristesse à mourir, elle qui souriait aux anges, était détruite. Elle errait devant l’école comme si elle cherchait la présence de son enfant ou comme si elle continuait à accompagner le fantôme de son fils jusqu’à la grille de la cour.
Une semaine plus tard, un ami voisin de la dame m’apprenait que cette mère avait décidé d’en finir avec la vie. Séparée de sa raison de vivre et de sourire, elle s’est jetée par la fenêtre de son appartement situé au quatrième étage à l’aplomb d’un trottoir bétonné. Elle a survécu un jour dans des douleurs atroces.
Deux ans plus tard, j’ai rencontré Olivier qui errait du côté de son immeuble. Il ne m’a pas reconnu. Perdu dans sa vie comme dans sa tête, il levait les yeux vers cette fenêtre par laquelle sa maman avait décidé d’en finir pour l’attendre là-haut dans leur paradis promis.
Il cherchait derrière la vitre, le filigrane du visage de sa maman…


C’est un texte terrible, qui dit bien une réalité désespérante parfois très cruelle.
Merci pour le partage.