C’était un jour paisible de septembre.
Juillet et août avaient été chauds, caniculaires par épisodes.
Les arbres n’avaient reçu aucune goutte d’eau, les figues et le raisin pendaient, presque secs très concentrés en sucre.
Le noyer était fatigué par les attaques de la mouche du brou et ne présentait que des boules noires dont la majeure partie jonchait le sol. Les tomates touchées par la nécrose apicale, dite cul noir, avaient mauvaise mine et cela me désolait. La nature semblait fatiguée et le ciel, dès l’aube, présentait une luminosité inhabituelle.
Je m’étais levé très tôt bien avant tout le monde, il faisait encore nuit. J’attendais la lueur d’une lanterne aurorale, plus blanche que celle d’un crépuscule lorsque le jour levant s’annonça à l’horizon, derrière les montagnes.
J’avais l’impression que le soleil n’était plus à sa place. Les rayons matinaux qui habituellement éclaircissent la partie est du village s’annonçaient vers le sud comme si la terre avait dévié de sa trajectoire. Le quartier était encore endormi, les poules, perchées dans le poulailler gloussaient bizarrement. Les chats harets, qui d’ordinaire fuyaient dès qu’ils me voyaient passer dans le jardin, avaient grimpé au sommet des chênes, collés par deux. Les oiseaux fondaient vers la vallée en lâchant des sifflements aigus à vous glacer le dos. Quelque chose d’étrange se préparait, je gardais mon calme, baignant dans une sérénité totale comme si mon être avait perdu le sens du réel. J’ai toujours rêvé de rencontrer des extraterrestres avant de partir pour un ailleurs inconnu et cette étrangeté qui se dessinait convenait à mes désirs.

Les premiers rais sont apparus plein sud. Un disque noir envoyait des lumières irisées à la manière d’un arc en ciel, s’élevait sans à-coups et sans bruit. La nature prenait toutes les teintes d’une palette de peintre aquarelliste. Visiblement ce n’était pas le soleil mais une sorte de boule qui s’approchait inexorablement de mon jardin, s’immobilisant juste au-dessus de moi. Un faisceau lumineux dirigé sur ma tête ne laissait plus aucun doute : j’étais la personne visée.
Un Alien au visage de tomate, entre verdeur et maturité, a d’abord figé mes émotions. J’étais d’un calme sidéral, hypnotisé par la douceur infinie d’un être venu d’ailleurs. Ses gestes paisibles et son regard troublant m’avaient fasciné puis placé sous influence.
Incapable d’émettre la moindre hostilité, j’avais l’impression qu’un envoyé du ciel, descendu directement d’un paradis, venait expressément à ma rencontre.
Les visiteurs avaient circonscrit les environs immédiats de sorte que personne ne pouvait voir ce qui se passait autour de moi. D’un pas lent, le regard profond, l’extraterrestre semblait intrigué par l’état de mes tomates. Il inspecta soigneusement mes plants déjà bien attaqués par le mildiou, s’approcha de moi et d’une voix douce me dit :
– Ne t’inquiète pas, viens avec moi, je vais te montrer comment cultiver ton jardin.
– Tu veux dire bien cultiver ma vie comme mon jardin ?
– Oui, les deux. Tu vois, je suis tomate galactique venue de la galaxie du Sombrero et je connais le secret des solanacées. Tu en auras des juteuses, en équilibre parfait entre le sucre et l’acidité… Viens !

Par aspiration, il me conduisit dans son vaisseau spatial.
Je découvris une sorte de serre bien éclairée où vivaient des milliers de tomates toutes resplendissantes, quasiment transparentes. Les joues bien rouges ou bien vertes selon leur degré de maturité, lisses, brillantes et qui respiraient la santé.
Le préposé à la culture ressemblait à ses tomates. Son visage presque diaphane présentait des gouttes de rosée bien fraîches qui sillonnaient sa figure puis remontaient vers ses tempes comme si elles étaient programmées contre le gaspillage. L’intérieur de l’aéronef baignait dans une atmosphère sereine, équilibrée entre température douce et hygrométrie parfaite.
La visite ne fut pas très longue, le jour allait se lever. Alien me déposa dans le jardin à côté du poulailler. J’avais le poing serré et lorsque j’ouvris la main, je découvris que le magicien avait déposé quelques graines sur ma paume avant de replier mes doigts. Je n’avais rien vu, rien senti…
L’objet volant venu à ma rencontre s’est élevé dans le ciel sans faire de bruit comme il était arrivé. Un long moment, je suis resté sans réaction, figé, presque statufié, encore sous le charme de ces créatures venues d’ailleurs.
Un sourire léger se dessina sur mes lèvres à l’idée d’avoir des tomates de rêve l’année suivante puisque, désormais, je connaissais le secret de leur monde galactique très éloigné de notre planète bleue.
Je devais garder silence sur cette visite inattendue.
Paf ! Un bruit sec.
Je me suis réveillé en sursaut, un balai venait de chuter sous l’effet d’un courant d’air soudain.
Dommage ! Ma déception fut grande, mes « cœurs de bœuf », mes « noires de Crimée », mes « andines » et autres « trillys » ne seront pas de meilleure qualité, l’été prochain…
Mes graines magiques s’étaient envolées, elles avaient déserté le creux de ma main, à mon brusque réveil.
J’ai la faculté de rêver facilement et peut-être qu’Alien reviendra par surprise, bercer mon sommeil une autre nuit.
Allez savoir ce qu’il me racontera la prochaine fois !
Sans doute, m’avait-il laissé des semences insensibles aux maladies habituelles, hélas, sur terre il faut s’attendre à tout, y compris à des atteintes nouvelles… Les effets pervers y sont nombreux.
La vie est belle ! Songez-y ! Et carpe diem !
Le visiteur m’a montré quelques photos affichées dans son aéronef.


La galaxie existe réellement.

Rare et qui vaut son pesant de tomate.




Je suis sous le charme de ce conte et chacune des photo est une merveille. Je crois vraiment que votre jardin est enchanté, Simonu, et cette page est un joli mélange de poésie, de philosophie et de malice. J’adore votre univers!
Sous ce texte, il y avait un commentaire en Corse, d’un monsieur inconnu qui durant un moment a cru à mon histoire et s’est laissé bercer…
Hélas, le modérateur, sans mon avis, a supprimé son commentaire ne reconnaissant pas la langue.
Je l’ai remis sous mon nom, en expliquant, il a été à nouveau supprimé…
Quel dommage, c’était un cri du cœur vraiment sympa 🙂
Merci pour votre suivi, cela me réjouit de savoir que quelque part un humain partage le même plaisir que moi 🙂 .
Ha oui sur WP les com’ sont très surveillés, un avantage mais aussi un inconvénient, quel dommage…