Une vie de cochon.

C’était la vie d’avant, au milieu du siècle dernier pour ce que j’en connais…

Dans notre quartier de la basse Navaggia, nous habitions Ambruginu,  nous avions une porcherie située à quelques centaines de mètres de la maison, parmi d’autres, sur le chemin qui conduisait à Archigna. Un chemin qui n’existe plus aujourd’hui.

Deux d’entre elles étaient toutes proches, contiguës même, pour faire des économies de planches. Généralement, deux porcs vivaient en colocation gratuite et n’appartenaient pas toujours à la même famille. Dans ce cas aussi, il était question de faire des économies de logement. L’emplacement était réservé à ce genre d’élevage dans un endroit suffisamment éloigné du quartier pour éviter la pollution olfactive et visuelle à proximité des habitations. C’est aux abords de cette cabane à cochons que nous trouvions les meilleurs lombrics pour la pêche à la truite, fermes et vifs avec une artère bien rouge qui les parcourait sur toute leur longueur.

Vous imaginez facilement que les plans n’avaient pas été visés par un architecte, la réalisation était des plus sommaires et des plus grossières. D’ailleurs, si les cochons avaient pu s’exprimer pour donner un avis, ils auraient sans doute protesté réclamant une soue mieux conçue.

L’abri comportait un côté nuit couvert et une partie jour plus grande où trônait une auge large creusée dans un tronc d’arbre. Cette dernière était située de telle manière que nous puissions déverser le contenu de nos seaux d’eau et de nourriture sans pénétrer à l’intérieur. Le plancher penchait fortement d’un côté, la pluie faisait le ménage naturellement en emportant les excréments à l’extérieur par un espace spécialement laissé béant à cet effet. Nos deux porcs vivaient constamment sur les freins par temps humide car les planches devenues glissantes les tiraient vers la mangeoire située au plus bas. L’animal est intelligent et savait comment s’adapter.
Nous grimpions sur une mini échelle à trois degrés, juste suffisante pour se hisser et pour remplir le bac. La porte, une sorte de barrière rudimentaire mais solide, confectionnée de rondins tordus débités dans les branches d’un vieux châtaignier, était presque condamnée à rester fermée. On l’ouvrait au moment du nettoyage hebdomadaire et le jour de la sortie pour le dernier voyage jusqu’à la petite place devant la maison. L’échelle à trois petites marches comme le toit de la chambre à coucher étaient de même facture sans aucun souci d’esthétique, ni de règle élémentaire de menuiserie. Le toit couvert de tôles ondulées disjointes prenait eau de toutes parts si bien que les soirs de pluie, nos deux suidés se retrouvaient rincés au réveil du matin sans passer par la salle de bain.
On avait l’impression qu’ils s’en fichaient pourvu qu’ils aient de quoi croquer sous leurs puissantes molaires et pour cela, glands et châtaignes étaient très prisés. Ils en raffolaient. Le petit œil presque rieur, nous fixait, trahissait leur satisfaction lorsqu’ils broyaient allègrement, chacun actionnant le côté préféré de sa mâchoire. Une mâche franche et bruyante d’omnivore épicurien qui ne se soucie guère des bonnes manières. Un moment de grande satisfaction trahi par un regard intense, presque amoureux comme un remerciement. Ils pressaient l’étau côté droit ou côté gauche avec vigueur et avidité faisant chanter la châtaigne puis s’abreuvaient un instant de la soupe froide, très liquide que nous avions versée dans l’auge. Lorsqu’il n’y avait ni châtaignes ni glands nous épaississions la lavasse avec du son, « u ripassu », des résidus de graminées, de blé le plus souvent, qui formaient une sorte de farine exclusivement destinée à nourrir les cochons…

Un grand chêne situé juste à l’aplomb de la porcherie lâchait, à la bonne saison, ses glands, au compte-gouttes, offrant quelques friandises tombées du ciel en attendant repas plus copieux.

Bien repus, avant de s’étendre dans un coin tranquille pour faire la sieste, nous avions l’impression que les porcins venaient nous saluer, nous remercier de ce bon repas. Ils se plaçaient tout près de l’endroit où nous stationnions pour les regarder, levaient leur groin humide et mobile pour mieux nous montrer le piercing en fil de fer fiché entre les narines lorsqu’ils étaient encore petits. Avec cet artifice gênant, ils ne cherchaient plus à creuser les planches avec leur groin, la partie molle de leur museau devenue bien trop sensible. C’est ainsi qu’ils perdaient progressivement leur instinct de fouisseurs. Cela limitait les dégâts dans l’ouvrage.

Deux cochons heureux, quoi ! Ils n’avaient connu que la captivité et rien d’autre à faire que manger, boire et dormir, dépasser les cent kilos, si possible, pour bien récompenser le propriétaire de les avoir conduits si vite à l’obésité en respectant le principe des sumos. La famille se réjouissait en constatant semaine après semaine que l’arrière-train prenait bon galbe, devenant bien large et bien ferme. Grand-père qui était myope se penchait par-dessus les planches pour tâter à l’aveugle le potelé des fesses, en imaginant par avance les jambons qui sècheraient pendus au-dessus de la cheminée. Puis s’attardant sur l’échine et la longe : « Bona coppa ! Bonu lonzu ! » s’exclamait-il en expert charcutier. Il se méfiait tout de même en tâtonnant, car d’un coup de dents intempestif, l’animal pouvait bien lui serrer la pince sans prévenir, mieux valait rester sur ses gardes.

Couleuvre jaune et verte de Corse.

C’était ma grand-mère qui les nourrissait le plus souvent sauf l’été car elle avait une peur bleue des couleuvres. Sur le passage, une bien grande, jaune et verte de Corse, avait élu domicile près d’une source se dorant au soleil juste au milieu du chemin et l’attendait pour l’effaroucher. Alors, mon frère et moi prenions le relais. En bons sprinteurs nous cherchions chaque fois à battre le record d’un aller-retour en regardant le réveil qui trônait sur la cheminée, au départ comme à l’arrivée…

C’est le récit du temps d’avant lorsque les cochons grossissaient à vue d’œil rien qu’en écoutant leur histoire.

Groin ! Groin ! Grouik ! Grouik ! Une vie de cochon dans un boiton !
Je vous raconterai la suite une autre fois.

Boiton. Compartiment à cochons dans une étable. Terme surtout utilisé en Suisse

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