Voici deux anecdotes.
Ces histoires qui passent de bouches à oreilles se déforment au fil du temps par le jeu des complexifications, des modifications que chacun apporte puis rapporte. Ainsi de suite, elles subissent de nombreuses transformations jusqu’à perdre totalement le déroulement originel qui servit de support initial. De la sorte, elles ne sont plus crédibles et tombent dans le domaine de la faribole, baliverne ou billevesée, c’est comme vous voudrez.
Il vous suffit de rire aux éclats ou sans éclats en faisant mine d’y croire, c’est largement suffisant pour le conteur, il se bidonnera avec vous qui raconterez cette histoire à votre tour en y mettant tout votre humour et toute votre âme pour insister sur l’authenticité du contenu.
Alors rassemblez tout ce que vous avez comme crédulité au fond de votre esprit, lâchez prise et embarquez-vous dans le récit.
Sans retenue, ça décontracte, ça contracte les abdos, bref ça fait du bien de fariboler deux minutes.
On y va ? Allez !

L’huile topée.
Je ne me souviens plus dans quel village c’était, ni qui était à l’origine de cette histoire. Ça n’a aucune importance.
Un marchand d’huile découvre un jour, un rat mort dans une cuve contenant de l’huile d’olive. Se débarrasser de cette quantité importante n’était pas supportable pour ses finances, il décide donc de la commercialiser tout de même.
Là où l’histoire commence à devenir invraisemblable, sans doute à cause des ajouts successifs, c’est qu’il en fit un atout de vente. Il proposait de l’huile normale et de l’huile topée en demandant au client :
- Vous la voulez topée ou non topée ?
- Quelle différence ?
- Ben, la topée a plus de goût que l’autre et, évidemment, elle est un peu plus chère.
Il a parait-il vidé la cuve d’huile topée plus vite que l’autre, vous vous en doutiez.
En Corse le rat s’appelle « u topu » d’où l’adjectif topée.

L’histoire du pou : Sciaccià u pidochju.
Cette année-là, au milieu des années cinquante, les poux sévissaient dans les chaumières. On ne parlait que de cela. Le peigne fin qui allait de tête en tête, semblait plus ensemencer les crânes que les débarrasser des tenaces parasites. Je ratisse chez toi et je passe l’animal au voisin. Bref, l’épidémie était sans précédent et les poux gros comme des veaux, disait-on. Il devait y avoir à boire et à manger dans les récits concernant les chevelures.
A quelque chose, ou à quelqu’un, malheur est toujours bon. Un homme du voisinage devait aller à Porto-Vecchio faire des courses en taxi et l’argent ne prospérait pas comme les totos sur les têtes. Il eut une idée de génie et s’en alla parcourir les foyers pour porter la bonne nouvelle. Il annonçait dans les familles qu’un médicament miracle venait de sortir et qu’en avançant l’argent, il irait à la pharmacie acheter pour eux le précieux remède. C’est toujours dans ces moments douloureux que les pièges fonctionnent le mieux. Il récolta donc suffisamment de sous pour compléter ses achats.
A l’époque, on trouvait facilement dans les décharges des fioles avec compte-gouttes, genre gouttes pour les rhinites. Il suffisait de laver et d’enlever l’étiquette pour que le flacon soit à nouveau opérationnel. Pour pimenter l’histoire, certains disaient qu’il les remplissait d’eau légèrement teintée, d’autres, d’un liquide peu avouable…
A son retour de la ville, il remit à chacun le flacon tant attendu en ajoutant :
Il parait que c’est radical ! sans autre explication.
Un vieux monsieur qui n’en pouvait plus de se gratter la tête avait passé commande aussi. Lorsqu’il reçut la précieuse mixture, il s’inquiéta qu’il n’y eut point de notice :
– Comment ça fonctionne ce truc, il n’y a pas de recette ? (En corse ricetta=notice)
– C’est simple, lorsque tu sens qu’un pou se déplace, tu l’attrapes entre le pouce et l’index, tu attends qu’il ouvre la bouche et à ce moment, tu en profites pour lâcher une goutte, une seule suffit. Il faut juste patienter un peu. Tu verras c’est radical.
Furieux, le vieil homme s’écria :
– Tu ne pouvais pas me le dire avant ?
– Et pourquoi ?
– Parce que si je l’ai entre les doigts, je l’écrase avec les ongles, je n’ai pas besoin d’attendre qu’il ouvre la bouche, ni de tes gouttes miracle !
Voilà ce qui se racontait les soirs d’hiver devant la cheminée. Les veillées étaient longues en attendant le sommeil et l’histoire s’étirait comme un élastique pour accompagner le temps.
Point besoin d’aller jusqu’à Paris à l’Âne Qui Rit, le spectacle était au coin du feu. Ce n’était qu’une mise en bouche.
L’Âne qui rit = Cabaret parisien du rire et du fou rire.