L’écriture spontanée.

Je suis un adepte de l’écriture spontanée. Je m’écarte franchement des définitions habituelles : écriture destinée à l’introspection et parfois même comparée à l’écriture automatique dictée par une entité astrale ou d’un autre monde. Ce n’est pas ça du tout.

J’appelle écriture spontanée, un besoin de passer à la rédaction d’idées qui m’assaillent soudain, sans aucune sollicitation préalable. C’est comme une envie de fumer qui vous attrape, ma drogue quotidienne c’est l’écriture. Le thème n’est jamais pensé, il surgit et me voilà embarqué sur son chemin comme par enchantement. Certes, les sujets ne naissent pas du néant, ils sont induits par un geste, une parole, une attitude, la remarque de quelqu’un, et d’un coup, les méninges se mettent en mouvement alors qu’elles semblaient sommeiller profondément.  

Le plus étonnant dans mon addiction à ce genre d’écriture c’est que je n’ai jamais lu un seul livre de ma vie. Je n’ai jamais réussi à aller au bout d’un volume, après quelques pages j’abandonne. Quelques pages c’est déjà beaucoup. Au mieux, je commence par la fin, j’ai l’impression que tout se résume là et que le parcours préalable n’était que déambulations pour rendre l’histoire plus attrayante ou mystérieuse. Le plus souvent, je lis en diagonale, je pioche dans des pages sautées par pincées, je ramasse des indices, je crois avoir compris.

Je disais en commençant ce paragraphe : « Le plus étonnant… », ce n’est même pas surprenant car lorsqu’on connait ma vie, on peut comprendre ce cheminement atypique. Je fus un lecteur tardif et mon apprentissage laborieux, très laborieux me conduisit à faire des choix dans mon approche du lire. Souvenez-vous, c’est ma mère qui lisait les livres de bibliothèque et les résumait. De la sorte, je condensais son résumé, ou le dénaturais, pour finalement m’éloigner de la teneur de l’ouvrage. C’est comme la parole rapportée, en troisième répétition, il ne reste plus grand chose de l’originale. Cela mettait la puce à l’oreille du prof qui me demandait si je lisais vraiment. Par la suite, je ne choisissais que les livres lus par mes camarades de classe, je m’appuyais sur leurs résumés afin de fabriquer le mien…

Je pense avoir le goût de l’analyse et de la synthèse. Tous mes textes paraissent calibrés et répondent quasiment au même format. Un jour, me questionnant sur cette habitude, j’ai pensé que c’était ma manière de ne pas ennuyer le lecteur en proposant exclusivement le genre « nouvelle ».

En parcourant les écoles du Chesnay dans les Yvelines, ville limitrophe de Versailles, j’ai tenté une expérience avec les élèves qui avaient du mal à s’exprimer par écrit. Un vrai casse-tête pour les enseignants de France et de Navarre. On ne sait jamais par quel bout prendre l’affaire. Une approche par le texte libre semblait satisfaire le monde mais ce n’était qu’un leurre car pour écrire librement encore faut-il avoir des choses à dire… J’avais pensé à « l’effet déclenchant ». Une sorte d’accroche pour déclencher l’écrire, presque un hochet, sans trop s’appesantir pour éviter de replonger dans les systèmes habituels qui, tous, proposent mise à l’ouvrage, mise au labeur et cette connotation déplait à l’écolier ou le rebute. L’astuce était toute simple. Je proposais un dessin en noir et blanc, à colorier plus tard, avec un bref dialogue, juste quelques mots pour interpeller les enfants sous le coup d’une émotion. Leur réaction spontanée ne se faisait pas attendre, je leur demandais de l’écrire pour garder la trace car c’était le début d’une histoire dont on ne savait jamais quand et comment elle allait se terminer. Une histoire à rebondissements perpétuels engendrés par l’actualité. Chaque enfant lui donnait une direction personnelle en fonction de son ressenti qui n’est pas celui des autres. La première fois, j’avais dessiné un hibou (Lulu) perché sur une branche et qui lorgnait sur une chenille au bout d’un fil. Visiblement, la pauvre Chatouilleuse craignait de finir sa vie dans le bec du rapace nocturne. Le hibou ne disait rien, seule la chenille s’adressait aux enfants : « Tu crois qu’il m’a vue ? » C’est tout. A chacun son émotion. Tous s’exprimèrent pour la conseiller, pour la plaindre ou pour la rassurer. Chacun prenait une direction qui n’était pas celle du voisin. Chacun amorçait son histoire et toutes étaient différentes. Les enfants constituaient leur dossier personnel, cela a duré plus de six mois, je ne parvenais plus à clore l’aventure malgré les subterfuges pour y mettre fin. Ce fut passionnant et cela se ramifia sur divers modes d’écriture (lettre, résumé, commentaire, article de presse…), jusqu’aux sciences naturelles puisque la chenille évoluait vers la métamorphose. Ce fut d’ailleurs un sacré coup de théâtre destiné à abréger l’histoire, qui la relança… J’étais cuit car j’expérimentais ce procédé dans les écoles en dehors de mon travail de rééducation. Cette démarche requiert beaucoup de travail de correction, de mise en page, ce doit être un travail d’équipe sinon l’épuisement est au bout de quelques étapes car à chaque séance il faut proposer une nouveauté dans le parcours. Les enfants ne se rendaient plus compte qu’ils écrivaient, ils étaient acteurs de l’histoire et ne renâclaient plus à l’écriture. Ils en redemandaient sans cesse et parfois nourrissaient le rebondissement. Les enseignants étaient surpris, très amusés aussi, mais personne ne prit le relais, c’était pourtant le but recherché, car l’accompagnement paraissait épuisant.

J’ai tenté, tous ont vu, mais tous s’avouèrent vaincus devant l’ampleur de la tâche et le qui vive perpétuel. Quel dommage ! L’idée demandait à être creusée, elle plongea dans l’oubli le plus profond.

Inutile d’aller chercher plus loin, pour aimer l’écriture, il faut d’abord aimer la vie.  

Papillon du genre citron, allez, disons citron vert… Ces images sont des « bons points » pour les lecteurs et n’ont aucun rapport avec l’écrit du jour.

1 Comments

  1. Ce texte me permet de retrouver des thèmes qui m’ont fait rencontrer et apprécier Simon Dominati voici désormais pas mal d’années. Je parle notamment de l’attention aux enfants, de la quête de voies originales où les accompagner vers plus de lumière. Je parcourais alors un chemin parallèle avec des adultes dits en difficulté.
    Aujourd’hui encore, le lisant, je grandis. Dommage qu’il soit si tard, mais c’est une autre histoire.

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