Le coup de théâtre.

Rien d’extraordinaire, il ne s’agit pas d’une nouvelle pièce de Racine, c’est un rebondissement dans les choses ordinaires de la vie, qui a son importance du moment.

C’est un retour sur le dernier texte dans lequel j’évoquais un coup de théâtre destiné à marquer la fin d’une histoire et ce fut un rebondissement inattendu qui se produisit.

Je reconduisais la pratique du texte induit par l’image dans ma classe de Lévie espérant provoquer l’émotion toujours féconde dans la production écrite. J’avais lancé le même processus que celui décrit dans le texte précédent « L’écriture spontanée ». Dans cette classe aussi, l’effet déclenchant avait produit les rebondissements espérés. Pour éviter l’usure, je souhaitais mettre un terme à l’histoire pour passer à autre chose et varier les modes d’écriture, il me fallait une bonne raison à cet arrêt. C’est l’actualité d’une nuit qui me donna l’occasion de tenter la diversion. Une tempête peu commune avait sévi sur le village, des arbres avaient été arrachés et quelques toits sérieusement endommagés. Je pensais que cela avait marqué les esprits des enfants, le vent rageur de la nuit ne pouvait passer si fort sans émouvoir son monde.

Le matin, j’étais levé tôt pour constater les dégâts. Par chance, chez moi pas une tuile n’avait bronché, seuls quelques objets métalliques laissés dans la cour avaient valdingué. En quelques minutes, j’avais écrit un communiqué de presse pour informer des frasques de la nuit. Chatouilleuse la chenille avait disparu, sans doute emportée par une bourrasque, il ne restait plus que le fil qui l’arrimait à la branche. J’avais déposé le texte sur chaque table pour que tous les enfants découvrent l’info en même temps au fil de leur lecture. Stupéfaction et soupirs de désolation. Je croyais mettre un terme à l’histoire faute de personnage central porté disparu. Un enfant plus optimiste que les autres nous rassura en disant qu’on allait la retrouver (Chatouilleuse). Devant la déception de mes élèves, j’ai rédigé un nouveau communiqué trois jours plus tard pour signaler que la chenille, déjà dans un cocon, j’avais oublié de le signaler, avait été retrouvée dans un ravin de San Gavinu di Carbini à trois kilomètres de chez nous. En agissant de la sorte je cherchais à alimenter lecture et écriture sans contrainte. Les enfants étaient ravis, Chatouilleuse allait regagner son arbre. Il était impossible de la rattacher à son fil, un élève suggéra de la mettre dans une boîte clouée sur le tronc avec son nom dessus pour que nous sachions qu’elle dormait là. (Nous faisions des dessins) Un autre enfant s’inquiéta, car en cas de pluie, la boîte se remplirait d’eau et risquerait de noyer notre héroïne. Illico, une fille suggéra de faire des trous sur le fond pour éviter le remplissage. Nous étions repartis à l’aventure.

Le citron. On s’amuse comme des fous..

J’avais prévenu les enfants que Chatouilleuse avait pour géniteurs des citrons de Provence et j’avais engagé une recherche sur une planche de lépidoptères pour visualiser les papillons de cette famille. Nous allions étudier la métamorphose en sciences naturelles afin d’anticiper la sortie du nouveau citron. Le jour de l’éclosion, j’avais préparé un dessin tiré en plusieurs exemplaires. J’avais dessiné un papillon bleu. En découvrant l’image ce fut la surprise. Ce n’était pas Chatouilleuse. Au terme d’un petit débat, un enfant fit remarquer que le jour des retrouvailles dans le ravin à San Gavinu, ce n’était pas notre chenille. Les cocons se ressemblaient mais ce n’était pas notre copine. Alors ? Plus d’histoire. Une semaine plus tard, j’écrivais une lettre aux enfants pour leur annoncer une autre nouvelle. En allant à Porto Vecchio, j’ai rencontré Chatouilleuse qui m’a reconnu. Elle m’a expliqué que le jour de la tempête, elle avait été emportée en direction de la cité du sel. Elle vivait désormais près de la mer et ne pensait plus remonter à Lévie. Elle avait un compagnon et tous deux semblaient bien s’entendre…

Voilà comment, je parvins à clore cette histoire, nous étions début juin. Certains enfants venaient me voir régulièrement à la maison pour continuer l’aventure. Je leur faisais des dessins et cela a duré jusqu’à Noël. C’est à ce moment que nous mîmes un terme définitif à l’histoire. Les enfants avaient grandi. Ouf !

Je m’étais embarqué dans un processus nouveau, cela amusait certains parents qui attendaient la suite et me demandaient même, en cachette, ce qui allait se passer. Je n’en savais rien, c’est la vie qui commande.

Les enfants ont compris que l’école c’est la vie et non la vie l’école. J’étais heureux car j’étais resté un enfant parmi les enfants. Vous ne pouvez imaginer le plaisir que cela me procurait. Pourtant, cela faisait près de vingt cinq ans que je n’avais enseigné dans une classe, personne ne savait ou très peu de gens. On m’avait bombardé dans l’école de mon enfance, sans prendre mon avis, pour terminer ma carrière faute de poste adapté à ma qualification. Rentré des Yvelines, expressément pour apporter ma contribution aux enfants en difficulté dans ma région, on me convia à une toute autre histoire. En lettre de motivation, j’écrivais « Comme Ulysse plein d’usage et raison, je souhaite gagner mon département d’origine pour y apporter ma contribution durant le dernier tiers de ma carrière… » On m’avait prédit que cette motivation n’accrocherait pas et que mieux valait invoquer une aide à la famille.. Je n’ai pas démordu, c’était ma réelle motivation, un besoin nécessaire. Cela n’a certainement rien aidé mais je suis resté moi-même, fusse sur une demande de mutation.

Image vue et revue maintes fois mais que voulez-vous, en vieillissant, on radote.

L’histoire est encore plus belle si je vous raconte que je suis parti à la retraite en même temps que Catherine qui me tenait dans ses bras lorsque j’avais quatre ans à la maternelle du village.

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