Il était vingt et une heure quinze. Margault me dit : « Missiau, on va fermer les poules ? » Sa petite sœur n’était pas prête, elle cherchait à se chausser rapidement. Elle est dégourdie, en une minute elle était à côté de nous qui l’attendions devant la barrière. Je me fais vieux, en quelques foulées, elles avaient pris de l’avance puis, elles m’ont attendu sans rien dire. C’était une halte naturelle, instinctive, il faut attendre, c’est lui qui passe devant. Le terrain est en pente, il nous a dit si vous tombez, vous tombez sur moi. Alors, on ne prend pas de risques, on le suit.
Devant l’enclos des poules, elles sont patientes, elles attendent que j’ouvre, aucune précipitation, c’est parfait. Deux poules, Luna la grise choisie par Margault et Rouge la Harco noire au col doré la préférée de Fanchon, temporisaient devant l’entrée du poulailler. Il faisait nuit, on avait l’impression qu’elles nous attendaient. Elles ont hésité un bon moment et puis se sont engouffrées dans leur dortoir. Nous avons juste vérifié si la blanche n’était pas dans le nid. Tout était normal, toutes étaient sur le perchoir…
En sortant de l’enclos, les filles filaient. Je leur ai demandé d’attendre et de regarder le paysage qui se détache dans le ciel. Je leur ai montré la dentelle du coteau, les chênes vus de loin semblaient ciselés dans la nuit naissante. Margault m’a regardé sans rien dire puis a observé un instant, elle souriait. J’imagine qu’elle avait compris que je cherchais à imprimer des images dans leur esprit. Généralement, on ne sait pas regarder, on file. Là, nous étions côte à côte et je les guidais en montrant du doigt. La nuit devenait plus sombre et les petites ne brochaient plus. J’avais l’impression qu’elles avaient compris qu’il fallait s’attarder un peu, regarder, écouter…
Pendant que nous observions le ciel en attendant les étoiles, une chauve-souris se mit à tourbillonner au-dessus de nos têtes. Un ballet très bas, incessant, chaloupé. C’était la première fois qu’elles en voyaient une. Elles pensaient que c’était un oiseau perdu dans la nuit. Nous sommes restés longtemps à observer ce vol chaotique, je leur racontais des choses, elles me fixaient. Une deuxième chauve-souris se mêla à la danse et les deux se croisaient, nous rasaient et virevoltaient. Un long moment, les filles sont restées scotchées sur cette danse folle. La petite a filé raconter aux parents puis est revenue avec un photophone car j’avais exprimé le regret de ne pas avoir mon appareil sur moi. On verra demain, lui dis-je.
En montant, Margault qui avait quelques foulées d’avance, m’attendait. Lorsque je lui avouai que j’étais vieux en faisant une pause, appuyé sur le mur, elle m’a tendu la main : « Viens ! Missiau, je vais t’aider ! » Là, j’ai compris, j’ai tout compris. Je me fais vraiment vieux, je suis à l’autre bout de la chaîne. Les petites filles ont le sourire, un brin d’inquiétude, Margault cherchait à attraper le témoin. C’est ainsi que j’ai compris cette main tendue.
Le fil de la vie continue.